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LACAN JACQUES (1901-1981)

Le retour à Freud

Lacan fut un lecteur extraordinaire et, avant tout, un lecteur de Freud. Son enseignement peut être mis sous le double signe d'une réforme et d'un retour. Réforme d'une psychanalyse qui a perdu le sens originaire de son expérience et retour à celui dont le nom même est devenu un symptôme, énigme pour qui le profère.

Cette lecture de la situation de la psychanalyse dans les années cinquante et du « symptôme Freud » est une interprétation de l'histoire en termes de cure qui fait appel aux concepts majeurs : refoulement, rejet, filiation, meurtre du père et idéalisation. Elle constitue le sol du renversement lacanien, qui identifie le discours de Freud à l'objet qu'il a lui-même produit – l'inconscient – et en interprète les aléas comme ceux du discours inconscient. En accord avec cette position, Lacan identifiera son propre discours à la vérité de ce dont il fut le porte-parole et il interprétera toute entrave à son enseignement comme un rejet de l'inconscient. Ce destin qu'il se choisit, propre à ceux dont le nom s'identifie pour un temps à l'objet de leur discours, le suivra jusqu'à la fin et ordonnera les voies d'une imaginaire transmission et d'une fantasmatique succession de son œuvre. Une histoire analytique, dont la question est de savoir si Lacan devra, comme Freud, être redécouvert, c'est-à-dire voir son nom libéré du symptôme qui l'enferme.

En 1953, le retour à Freud est un retour au sens de Freud. Renversement de la tendance dominante dans la psychanalyse pour démontrer ce que celle-ci n'est pas et « remettre en vigueur ce qui n'a cessé de la soutenir dans sa déviation même, à savoir le sens premier que Freud y préservait par sa seule présence et qu'il s'agit ici d'expliciter ». Retour qui n'a de pacifique que les apparences. L'histoire est plus tragique – ou comique, c'est selon. La survie de Freud est celle d'un vivant, ou d'un mort, en sursis. Lacan la compare à celle qu'avait imaginée Edgard Poe en écrivant l'histoire extraordinaire du Cas de M. Valdemar. S'ensuit une lecture qui reprend le message du maître conformément à la voie du symbole : « Dans un tel cas pourtant, l'opération du réveil menée avec les mots repris du maître dans un retour à la vie de sa parole, peut venir à se confondre avec les soins d'une sépulture décente. »

Cette sépulture, quel qu'en soit le qualificatif, s'autorise elle-même de Freud. Elle relève le défi que le fondateur avait posé à ses successeurs, dont il n'attendait rien ou presque. « Il n'est pas difficile, écrit Lacan, de montrer quel mépris des hommes était ressenti par Freud, chaque fois que son esprit venait à les confronter avec cette charge tenue par lui au-dessus de leurs possibilités. » D'où cet aveu : « Je crois donc qu'ici Freud a obtenu ce qu'il a voulu : une conservation purement formelle de son message », grâce à quoi ses concepts fondamentaux sont devenus « inébranlables », jusqu'au jour où ils pourraient enfin « être reconnus dans leur ordonnance flexible, mais impossible à rompre sans les dénouer ».

Il reviendra à Lacan de le faire, en une relecture qui va évidemment bien au-delà d'une simple répétition et qui innove dans son exigence avouée de rigueur : « Les conséquences de la découverte de l'inconscient n'ont même pas encore été entrevues dans la théorie. » Mais au Lacan freudien succède le Lacan lacanien ; au Freud lacanien, sans qu'il le sache, succède un Lacan fondateur d'un Freud qui, « incompris, fût-ce de lui-même », a imposé un savoir nouveau, le savoir inconscient, dont personne avant lui n'avait l'idée et « dont personne après lui, écrira Lacan, ne l'a encore, sauf à en tenir de [...]

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Écrit par

  • : psychanalyste, maître assistant au département de psychanalyse de l'université de Paris-VIII

Classification

Pour citer cet article

Patrick GUYOMARD. LACAN JACQUES (1901-1981) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • ACTING OUT

    • Écrit par Pierre-Paul LACAS
    • 1 161 mots

    Acting out, expression anglaise utilisée principalement en psychanalyse et en thérapie de groupe pour désigner une transgression de la règle fondamentale de verbalisation, dans l'association libre, ou celle du « faire comme si », dans le psychodrame, l'acting out définit un...

  • ANTIPSYCHIATRIE

    • Écrit par Robert LEFORT
    • 2 424 mots
    ...aspect théorisé et par son asservissement à une idéologie ambiante, normative, l'antipsychiatrie s'est détournée du fondement même de la psychanalyse que Lacan, à la suite de Freud, a pointé tout au long de son œuvre : le sujet se constitue au niveau du signifiant ; il en est divisé ; le conflit n'est pas...
  • ANZIEU DIDIER (1923-1999)

    • Écrit par Jacques SÉDAT
    • 695 mots

    Didier Anzieu est né le 8 juillet 1923 à Melun en Seine-et-Marne, où ses parents étaient employés des Postes et Télécommunications ; tous deux d'origine méridionale parlaient occitan lorsqu'ils ne voulaient pas être compris de leur fils unique. Sa mère Marguerite, née à la suite du décès d'une jeune...

  • AUTOBIOGRAPHIE

    • Écrit par Daniel OSTER
    • 7 517 mots
    • 5 médias
    ...discours s'officialisent davantage les clivages du sujet que ne s'annonce le retour d'un « langage premier » : au moins conviendra-t-il de ne pas s'en tenir « à l'idée que le moi du sujet est identique à la présence qui vous parle » (Lacan). En définissant la psychanalyse comme « cette assomption...
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Voir aussi