Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

REFOULEMENT

Article modifié le

Opération constitutive de l' inconscient, le refoulement a été repéré par Freud dès ses premières observations cliniques. Il consiste à maintenir ou à repousser dans l'inconscient des représentations liées à des pulsions, capables, si elles étaient maintenues ou si elles avaient accès au système préconscient-conscient, d'y provoquer un déplaisir plus important que le plaisir lié à la satisfaction de ces pulsions. Comme à l'égard de tous les concepts introduits par lui dans la doctrine psychanalytique, Freud se place constamment dans une double perspective. La première consiste à donner une description clinique aussi complète que possible des phénomènes qu'il observe : commencée dès les Études sur l'hystérie en 1895, où il constate qu'« il y a des choses que le malade voulait oublier et qu'intentionnellement il maintenait, repoussait, refoulait hors de sa pensée consciente », cette description trouve son aboutissement dans les articles parus vingt ans plus tard sur le refoulement (die Verdrängung) et sur l'inconscient. Elle est d'une précision telle que ni Freud ni ses successeurs n'auront rien à y reprendre. Signalons d'emblée qu'il y distingue trois temps : refoulement primaire ou originaire (Urverdrängung), refoulement secondaire ou après coup (Nachdrängung) et retour du refoulé. C'est du deuxième temps, que Freud nomme également refoulement proprement dit, qu'il est habituellement question lorsqu'on parle de refoulement. La seconde perspective tente de définir l'essence du refoulement ou, plus exactement d'en donner une description métapsychologique, c'est-à-dire précisant son tracé au niveau de l'appareil psychique, déterminant les ressorts de son fonctionnement, évaluant ses effets au niveau de la circulation et de la répartition de l'énergie psychique.

Ces trois points seront constamment remis en question, à partir notamment des remaniements apportés à la théorie par l'introduction, en 1920, de la notion de pulsion de mort et par l'élaboration, entre 1923 et 1925, de ce que l'on a appelé la seconde topique. Sur le plan économique, l'angoisse, d'effet du refoulement, en deviendra un des moteurs ; sur le plan dynamique, Freud hésitera à donner au refoulement le statut de mécanisme défensif ; sur le plan topique, enfin, se posera la question de la double inscription des représentations refoulées et surtout celle de la nature du refoulement originaire. Question qui est encore d'actualité et que même des auteurs comme Jacques Lacan n'abordent qu'avec une grande prudence.

Le mécanisme du refoulement

Le refoulement est l'un des destins possibles d'une motion pulsionnelle. Le concept de pulsion, déclare Freud, « est un concept limite entre le psychique et le somatique, comme le représentant psychique d'excitations issues de l'intérieur du corps et parvenant au psychisme, comme une mesure de l'exigence du travail qui est imposé au psychique en conséquence de la liaison au corporel ». La vie psychique obéit au principe de constance, lui-même soumis au jeu du plaisir-déplaisir, principe constamment menacé par les sources d'excitation venues tant de l'intérieur du corps que du monde extérieur. C'est donc cette liaison entre le corporel et le psychique qui va déterminer le destin de la pulsion. « Le but de la pulsion est toujours la satisfaction, qui ne peut être obtenue qu'en supprimant l'état d'excitation à la source de la pulsion [...] son objet est ce en quoi ou par quoi elle peut atteindre son but » ; il est essentiellement variable : objet étranger ou partie du corps propre, représentation au niveau de l'appareil psychique. On dit que la pulsion est liée à cette représentation, qu'elle l'investit. Mais, et c'est là un fait d'observation clinique, la pulsion n'est pas seulement liée à la représentation ; elle l'est également « à quelque chose d'autre pour lequel le nom de quantum d' affect est admis ; il correspond à la pulsion, en tant qu'elle s'est détachée de la représentation et trouve une expression conforme à sa quantité dans des processus qui sont ressentis sous forme d'affects ». C'est dans cette immobilisation de l'affect que se situe le déplaisir, et le refoulement est une des modalités qui vont permettre la séparation de la représentation et de l'affect.

Dans le refoulement secondaire ou proprement dit, l'opération suppose plusieurs temps. En premier lieu, à la représentation préconsciente ou consciente qui est le support du déplaisir est retiré l'investissement qui appartient au système préconscient. Ensuite, pour empêcher que la représentation refoulée ne fasse irruption de nouveau dans le système préconscient-conscient, un contre-investissement se produit qui renforce l'action de la censure et qui protège le système préconscient contre la poussée de la représentation inconsciente (dans les exemples cliniques, on verra ce que Freud nomme contre-investissement). Enfin, malgré ce contre-investissement, la représentation refoulée peut se manifester au niveau de la conscience par ses rejetons. C'est ce que Freud nomme le retour du refoulé, lequel se traduit par ces formations que sont le lapsus, les oublis de noms, les actes manqués, le mot d'esprit. Dans ce dernier cas, on peut dire que tout se passe comme si le refoulement était momentanément levé. Un des caractères du refoulement est en effet, outre son individualité cliniquement évidente, sa mobilité. Il exige une dépense permanente de force. Si elle venait à cesser, un nouveau refoulement serait nécessaire. Cette mobilité trouve d'ailleurs son expression la plus exemplaire dans la formation du rêve, où le retrait nocturne de l'investissement de refoulement cesse au réveil. Il arrive enfin que le rejeton du refoulé puisse accéder au système préconscient-conscient de façon plus durable en contribuant à la formation du symptôme, qui devient ainsi un compromis entre les exigences des divers systèmes.

Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

Cette description du refoulement secondaire appelle pour Freud plusieurs questions : il ne suffit pas, pense-t-il, qu'une représentation soit désinvestie par le système préconscient pour qu'elle demeure inconsciente ; il faut bien que quelque force déjà présente l'y attire : « Nous sommes donc fondés à admettre un refoulement originaire, une première phase du refoulement qui consiste en ceci que le représentant psychique de la pulsion se voit refuser la prise en charge dans le conscient. Avec lui se produit une fixation ; le représentant correspondant subsiste à partir de là, de façon inaltérable. » La nécessité logique de ce refoulement originaire, dont la dénomination apparaît pour la première fois dans le cas Schreber, était pressentie par Freud dès 1900 dans L'Interprétation des rêves : « L'existence d'un fond de souvenirs infantiles, soustraits dès le début à la surveillance du préconscient, est la première condition du refoulement. » Il devient clair, ainsi, que le refoulement proprement dit (secondaire) va porter sur « les rejetons psychiques du représentant refoulé [originairement] ou bien [sur] telles chaînes de pensées qui, venant d'ailleurs, se trouvent être entrées en relation associative avec lui ». C'est donc un refoulement après coup. Ces représentations sont toujours liées à la sexualité, on verra plus loin comment. Le refoulement originaire ne se constitue pas, par définition, à partir d'un désinvestissement d'une représentation préconsciente, mais uniquement à partir d'un contre-investissement, qui est la censure elle-même.

D'autres questions se posent, et d'abord celle-ci : quel est le moteur du refoulement ? Freud, assez imprécis dans la première partie de ses œuvres (la satisfaction de la pulsion créerait du plaisir à un endroit, du déplaisir à un autre), pointe avec précision par la suite l'angoisse de castration comme étant toujours à l'origine du refoulement. On peut se demander, d'autre part, si le refoulement est pour autant un mécanisme de défense au même titre que l'isolation, l'annulation rétroactive, la projection, etc. Freud n'a jamais soutenu cela qu'avec réticence. Cette question ne saurait en tout cas se poser qu'à propos du refoulement secondaire, la défense ne pouvant se concevoir, analytiquement, avant la constitution de l'inconscient. En troisième lieu se pose le problème de la double inscription : qu'advient-il de la représentation refoulée ? Dans une première hypothèse, que Freud nomme fonctionnelle, inconscient et conscient ne sont que deux états différents d'une seule représentation située dans un même lieu. Dans une deuxième hypothèse, qu'il appelle topique, la représentation est inscrite dans les deux systèmes, le refoulement consistant alors à faire passer d'un système à l'autre l' énergie liée à ces représentations. Enfin, dans son article sur l'inconscient, il conclut ainsi : « Nous croyons maintenant tout d'un coup savoir en quoi une représentation consciente se distingue d'une représentation inconsciente. Ces deux représentations ne sont pas, comme nous l'avons pensé, des inscriptions différentes du même contenu dans des lieux psychiques différents, ni non plus des états d'investissement fonctionnels différents au même lieu : la représentation consciente comprend la représentation de chose plus la représentation du mot qui lui appartient ; la représentation inconsciente est la représentation de chose seule. » Freud amorce ainsi le tournant qui va marquer la seconde partie de son œuvre ; il apporte le germe d'où vont éclore les recherches modernes, notamment celles de Lacan. Une dernière question se pose enfin, touchant le destin de l'affect. C'est lui qui détermine la réussite du refoulement. Il est précisé par l'étude des variétés cliniques.

Accédez à l'intégralité de nos articles

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

Classification

Autres références

  • APRÈS-COUP, psychanalyse

    • Écrit par
    • 378 mots

    Freud a fait de l'après-coup (Nachträglichkeit) le caractère propre de la vie sexuelle. Parmi les souvenirs pénibles, certains seulement sont sujets au refoulement ; certains seulement peuvent susciter un affect que l'incident lui-même n'avait pas provoqué. L'explication de cette action...

  • CENSURE, psychanalyse

    • Écrit par
    • 512 mots

    La comparant aux « blancs » ou aux « passages caviardés » des journaux soumis à un contrôle, Freud a défini la censure comme une fonction ayant pour effet d'interdire aux désirs refoulés, c'est-à-dire inconscients, et aux formations qui en dérivent, le passage au système préconscient. Cette...

  • COMPLEXE, psychanalyse et psychologie

    • Écrit par
    • 1 097 mots
    • 1 média

    Le terme « complexe » appartient au vocabulaire de la psychologie des profondeurs et de la psychanalyse. C'est le psychiatre suisse Carl Gustav Jung qui, en 1902-1903, dénomme ainsi les phénomènes qu'il découvre lorsqu'il réalise son expérience des associations de mots. En effet, Jung,...

  • CONSCIENCE

    • Écrit par
    • 10 482 mots
    • 1 média
    ...faire admettre dans la conscience ce qui en était exclu en qualité d'objet d'une interdiction absolue). Dans cette perspective première, la théorie du refoulement fait intervenir la relation de l'inconscient au conscient et consacre nécessairement la réalité et l'importance de l'instance de la conscience....
  • Afficher les 41 références

Voir aussi