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FRANCOPHONES LITTÉRATURES

Quelle identité culturelle ?

Hors d’Europe, les littératures francophones relèvent de la « francophonie d’implantation » issue de l’expansion coloniale de la France ou appartenant à des zones de rayonnement culturel. Pour ces littératures en contact avec une ou plusieurs autres littératures écrites dans un ou plusieurs autres idiomes, le questionnement identitaire et linguistique est au cœur de la création, d’autant que les décolonisations vont mettre par la suite la préoccupation nationale au premier plan.

L’entre-deux-guerres voit la publication de quelques œuvres autochtones à une époque où fleurit la littérature coloniale. Il s’agit souvent de romans privilégiant le témoignage sur une réalité mal connue de la métropole, tel Ahmed Ben Mostapha, goumier (1920) du caïd et capitaine Benchérif, en Algérie, ou de Batouala, véritable roman nègre (1921, prix Goncourt), écrit par un administrateur français en Oubangui-Chari, René Maran, considéré comme l’un des précurseurs de la négritude. Inauguré dès les années 1930 par Aimé Césaire, Léon Gontran Damas et Léopold Sédar Senghor, ce mouvement, qui participe d’une vaste dynamique partie des États-Unis sur la « question noire », irriguera après la Seconde Guerre mondiale les lettres de l’Afrique subsaharienne et des Caraïbes. Les écritures francophones sont alors élaborées « dans la gueule du loup », selon l’expression de l’Algérien Kateb Yacine, contrecarrant les visées hégémoniques occidentales et affirmant des spécificités culturelles ignorées ou niées par les colonisateurs.

En Afrique subsaharienne, la tradition orale, désormais recueillie et transcrite, est présentée au public de langue française soit sous la forme plaisante de contes (Birago Diop : Contes d’Amadou Koumba, 1947), soit sous celle de versions épiques – Djibril Tamsir Niane, Camara Laye, Massa Makan Diabaté ont donné des versions de l’épopée de Soundiata (ou Sunjata), fondateur de l’empire du Mali au xiiie siècle. L’étude des relations entre oralité et écriture constitue le fondement de l’œuvre polymorphe d’Amadou Hampâté Bâ. Mais la littérature francophone africaine se présente avec éclat au public français en 1948, avec l’Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache de langue française publiée par Senghor et préfacée par Jean-Paul Sartre. Nombre de romanciers africains vont alors se révéler, tels Camara Laye, Cheikh Hamidou Kane, Bernard Dadié, Mongo Beti, Ferdinand Oyono ou encore Ousmane Sembène, certains soucieux de raconter la vie africaine, d’autres militant contre la sujétion coloniale. D’abord publiées par des éditeurs français (et il faut souligner ici le rôle important de Présence africaine, revue fondée en 1947 – puis maison d’édition en 1949 – par Alioune Diop), leurs œuvres vont devenir les premiers « classiques »lorsque l’école cherchera à africaniser ses programmes.

Dans les Caraïbes, la littérature haïtienne, s’affirmant dès le xixe siècle, mais souvent à travers une imitation de la littérature française, se développe d’une manière originale dans les années 1940, par exemple, avec Jacques Roumain. Aux Antilles et en Guyane, deux recueils de poèmes dominent la production littéraire de la période : Cahier d’un retour au pays natal (1939 ; 1956 pour l’édition définitive) d’Aimé Césaire et Pigments de Léon Gontran Damas (1937 ; réédition en 1962).

Après la Seconde Guerre mondiale, les interrogations francophones sur l’identité culturelle se font prégnantes. Selon les cas, elles ont diverses causes : la volonté d’échapper au centralisme littéraire français mais aussi le désir de contrer la vision exotisante européenne, le souci d’accompagner l’ère post-coloniale, l’expression d’une conscience nationale en formation après l’indépendance, la réponse enfin à l’internationalisation croissante[...]

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Écrit par

  • : professeur de littératures francophones et de littérature comparée, université Paris-Nanterre, membre de l'Institut universitaire de France

Classification

Pour citer cet article

Jean-Marc MOURA. FRANCOPHONES LITTÉRATURES [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Salah Stétié - crédits : Ulf Andersen/ Aurimages

Salah Stétié

Scholastique Mukasonga - crédits :  Raphael Gaillarde/ Gamma-Rapho/ Getty Images

Scholastique Mukasonga

Gaston Miron - crédits : Jean Pol Stercq/ Opale/ Leemage

Gaston Miron

Autres références

  • POSTCOLONIALES FRANCOPHONES (LITTÉRATURES)

    • Écrit par Jean-Marc MOURA
    • 4 972 mots
    • 6 médias

    Les littératures postcoloniales ont été identifiées comme telles dans les années 1980 par des théoriciens des littératures anglophones. L’épithète « postcoloniale » concernait d’abord les littératures des pays sous domination de l’ancien empire britannique, bien que certains critiques aient remarqué...

  • AFRIQUE NOIRE (Culture et société) - Littératures

    • Écrit par Jean DERIVE, Jean-Louis JOUBERT, Michel LABAN
    • 16 566 mots
    • 2 médias
    ...d'abord les œuvres de répertoires ethniques, contes et épopées, que certains écrivains ont réécrites et adaptées directement dans une langue européenne. Pour s'en tenir au domaine de la francophonie, on citera, pour ce qui est du conte, le recueil inspiré du répertoire agni de l'Ivoirien Bernard...
  • AILLEURS, Henri Michaux - Fiche de lecture

    • Écrit par Yves LECLAIR
    • 786 mots

    En 1948, l’écrivain et peintre belge Henri Michaux (1899-1984) publie chez Gallimard un carnet de voyages fictifs intitulé Ailleurs. Ce recueil poétique atypique voit le jour après une longue période de voyages réels, de 1927 à 1936, en Amérique du Sud (Ecuador, 1929), en Europe et en Asie...

  • ALEXAKIS VASSILIS (1943-2021)

    • Écrit par Christophe CHICLET
    • 541 mots

    Écrivain grec mais aussi dessinateur, journaliste et cinéaste, Vassilis Alexakis est né le 25 décembre 1943 à Athènes, dans le quartier populaire de Kallithea, peuplé de Grecs venus des îles de la mer Égée fuyant la misère et de réfugiés d’Asie Mineure chassés par les nationalistes turcs en 1922-1923....

  • ALEXIS JACQUES STEPHEN (1922-1961)

    • Écrit par Oruno D. LARA
    • 694 mots

    Le 22 avril 1922 naquit Jacques Stephen Alexis aux Gonaïves, fière cité du nord de la république d'Haïti où fut célébrée l'indépendance le 1er janvier 1804. Son enfance et sa formation d'adolescent ont été fortement marquées par l'influence de sa famille, de la conjoncture politique...

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Voir aussi