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DON JUAN

Les multiples adaptations

Premières adaptations étrangères

L' Italie s'est emparée de don Juan. Parallèlement, la comédie littéraire et la commedia dell'arte l'exploitèrent avec un bonheur inégal. Jacopo Cicognini, dans un Convitato di pietra en prose (1650 ?), tout en conservant le dénouement fatal, en a surtout exploité les ressources burlesques. On lui doit notamment l'invention du « catalogue » des innombrables femmes abusées par don Giovanni ; l'échange de vêtements entre le valet (devenu Passarino) et son maître ; enfin la dissonance finale entre le cri de don Giovanni saisi par l'Enfer et celui du valet réclamant ses gages.

Une autre pièce italienne – perdue, celle-là – d'O. Giliberto serait la source directe des deux premières adaptations littéraires en France, dues l'une et l'autre à des comédiens-auteurs, Dorimon, puis Villiers : comédies tragiques en vers, toutes deux intitulées Le Festin de pierre, ou le Fils criminel et représentées aux alentours de 1660. Fort médiocres, elles offraient pourtant deux importantes nouveautés : le séducteur, peu séduisant, est un fils virtuellement parricide ; surtout, c'est un raisonneur qui ressent le besoin de justifier ses débordements par des professions d'incroyance empruntées aux libres-penseurs de l'époque. Toute une idéologie anti-chrétienne – réprouvée ici, mais qui pourra être exaltée par la suite – est en germe dans le piètre héros de ces deux auteurs.

Molière : un chef-d'œuvre ambigu

Grâce à ces auteurs, aux troupes italiennes, au théâtre forain, le mythe était déjà populaire en France quand Molière le reprit pour son compte en 1665, dans une pièce en prose qui, si elle n'est pas la plus belle de toutes ses comédies, en est la plus audacieuse et la plus troublante.

Audacieuse dans sa forme, mais davantage en son propos. Alors que la cabale dévote avait réussi à faire interdire son Tartufe l'année précédente, Molière contre-attaque en stigmatisant l'hypocrisie religieuse par un nouveau biais : il l'incarne dans un « grand seigneur méchant homme » et athée qui, à l'occasion, ne craint pas d'utiliser le masque de la dévotion pour couvrir ses frasques.

Mais cet impie, odieux certes par sa cautèle et par sa cruauté (envers les femmes, envers son père ou les petites gens), n'en apparaît pas moins comme un seigneur prestigieux. Il a de l'esprit, du panache, une vraie bravoure : il vole au secours d'un homme seul attaqué par plusieurs brigands ; jusqu'au dernier instant, il s'obstine dans son orgueilleux refus de la religion. Il séduit vraiment et – cas unique – bien que protagoniste d'une comédie fort comique, il ne l'est lui-même aucunement : s'il fait rire, c'est aux dépens des autres. D'où l'ambiguïté du message moral, malgré le dénouement punitif pieusement conservé. L'auteur – dont les propres amours furent malheureuses – se serait-il lui-même laissé prendre à la séduction de son personnage ? Il nous entraîne en tout cas bien loin de celui de Tirso et de la claire leçon du moine dramaturge !

Le valet, ici Sganarelle, reste plus conforme à la tradition : glouton, cupide et pleutre à souhait. Moralisateur et sermonneur, de surcroît ; mais il est difficile d'imaginer personnage plus propre à discréditer ses sermons qu'un tel sermonnaire. Équivoque en ceci encore l'intention de Molière ; car il s'y serait pris de tout autre sorte s'il avait eu pour principal dessein de flétrir le libertinage.

Aux données initiales du drame, qu'il simplifie pourtant, il ajoutait ici et là des hors-d'œuvre de haut goût : la scène du pauvre, que don Juan tente en vain, avec un louis d'or, de faire blasphémer ; celle du créancier, M. Dimanche, qu'il éconduit avec de belles phrases (car ce seigneur,[...]

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Écrit par

  • : maître de conférences à la faculté des lettres et sciences humaines d'Amiens

Classification

Pour citer cet article

Michel BERVEILLER. DON JUAN [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • DOM JUAN (mise en scène B. Jaques)

    • Écrit par Christian BIET
    • 1 004 mots

    À travers sa mise en scène d'Elvire Jouvet 40, d'après les carnets de travail de Louis Jouvet, Brigitte Jaques s'était intéressée au Dom Juan de Molière, aux rôles et à la manière de les dire. Cette fois, sans abandonner le travail de l'acteur, elle se tourne aussi vers...

  • DOM JUAN, Molière - Fiche de lecture

    • Écrit par Christian BIET
    • 1 130 mots
    • 1 média

    Le 15 février 1665, Molière (1622-1673) donne Dom Juan, une comédie fort dangereuse, à la suite de Tartuffe qui venait d'être interdit. Quinze jours après la première, les pressions de toutes sortes et la prudence font que l'écrivain retire sa pièce : Le Festin de pierre, cette...

  • DON JUAN (G. G. Byron) - Fiche de lecture

    • Écrit par Marc PORÉE
    • 866 mots
    • 1 média

    Long poème inachevé en dix-sept chants, Don Juan (1819-1824) est le chef-d'œuvre incontesté de lord Byron (1788-1824). Prenant à contre-pied le mythe du libertin cynique immortalisé par Tirso de Molina, Molière et Mozart, il fait de son héros un pantin manipulé par les femmes et leurs désirs...

  • DON JUAN TENORIO, José Zorrilla - Fiche de lecture

    • Écrit par Bernard SESÉ
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  • BAROQUE

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    ...puisque l'un prend appui sur l'autre pour s'établir une fonction au sein d'un système de dualité. La principale illustration de ce principe est le mythe de Don Juan, qui naît, s'établit et se diversifie au cours de cette époque, du Burlador de Sevilla de Tirso de Molina au Don Giovanni de Da Ponte...
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    • Écrit par François NATTER
    • 4 444 mots
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    Avec Beppo, conte vénitien (1817) et surtout avec Don Juan (1819-1824), interrompu au seizième chant par la mort de l'auteur, Byron a donné la véritable mesure de son génie. Don Juan est une épopée immense (près de 16 000 vers) et multiforme, écrite sur le modèle de Pulci, en ottava...
  • CASANOVA GIACOMO (1725-1798)

    • Écrit par Denise BRAHIMI, Universalis
    • 1 274 mots
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    ...l'est beaucoup moins à l'égard de ses aventures amoureuses. On a estimé que de 1735 à 1774, il avait eu cent vingt-deux amantes, mais il n'en est pas moins fort différent de Don Juan dont plusieurs critiques, tels que Stefan Zweig et Félicien Marceau ont pris soin de le distinguer. Casanova n'a en effet...
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    • 13 749 mots
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    ...beaucoup gardé en lui du caractère familier de sa période primitive. Les actes et les sentiments y apparaissent sous leur forme élémentaire. Le thème de don Juan qui, dans toute l'Europe, prendra des formes si diverses, autorisant des interprétations aussi variées que profondes, le voici sous sa première...
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