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DON JUAN

Depuis qu'il a surgi, aux environs de 1630, le thème de don Juan s'est révélé l'un des plus stimulants dans la création littéraire et, accessoirement, dans l'art musical ; enfin dans l'ordre de la recherche historique, sociologique et psycho-critique. À cet égard, il a même surpassé celui de Faust, avec lequel il a des rapports étroits – allant jusqu'à produire la synthèse, voire la confusion des deux thèmes. Cette fécondité s'explique, en partie, par une très singulière aptitude aux métamorphoses. Elle résulte surtout du fait que le personnage et les aventures de don Juan mettent fondamentalement en question nos idées modernes et occidentales de l'amour.

Non que les âges précédents aient ignoré ce type d'homme, plus jouisseur qu'amoureux à proprement parler, inspirant du goût aux femmes autant qu'il en éprouve pour elles, et révolté contre toutes les restrictions qui peuvent faire obstacle à sa passion dominante ; mais c'est principalement la morale chrétienne qui, par les limites qu'elle imposait aux passions de l'amour et par ses strictes exigences de fidélité monogamique, a suscité la révolte dont ce personnage fictif est l'incarnation. Et ce n'est pas un hasard si l'inventeur de ce personnage, de son nom et de sa légende, fut un religieux mercenaire de la très catholique Espagne : le dramaturge Tirso de Molina.

Mais l'apologue dramatique du moine espagnol s'est profondément altéré à travers les innombrables œuvres, dramatiques et autres, qu'il a inspirées pendant plus de trois siècles, au point que le message de certaines d'entre elles apparaît diamétralement opposé à la leçon primitive. C'est ainsi que le romantisme, dans sa tendance à réhabiliter moralement don Juan, en est venu parfois à le béatifier, ou que notre temps, au contraire, a pu contester l'héroïsme de son défi. Dégradation du mythe ? Peut-être. Mais qui n'exclurait aucunement la possibilité de nouvelles renaissances. Son prestige durable et sa vitalité ne demandent pas d'autre preuve que le succès qu'obtiennent encore dans le monde entier les représentations, au théâtre ou à l'opéra, des Don Juan traditionnels rajeunis par de nouvelles mises en scène.

Le « donjuanisme » avant la lettre

Dans la mesure où « donjuanisme » signifie libertinage des mœurs, on peut en voir déjà des préfigurations, bien avant le Siècle d'or espagnol, dans maintes formes d'insurrection contre la morale communément reçue et l'institution monogamique prévalente en nos sociétés d'Occident (le cas du Genji japonais pose évidemment des problèmes distincts). L'Antiquité gréco-latine en fournirait de très nombreux exemples : des dieux (Zeus), des héros mythiques (Thésée), des personnalités historiques (Alcibiade), des poètes théoriciens de l'amour libre (Ovide, dans son Art d'aimer). En bref, chaque fois que, chez un homme, l'appétit hétérosexuel revêt un aspect de violation audacieuse des normes, de « péché » (notion très antérieure à l'ère chrétienne), de scandale et de fascination tout ensemble, il s'apparente, en quelque façon, au « donjuanisme ».

Il n'en est pas moins vrai que le christianisme, par l'accent qu'il a mis sur le péché de la chair et les châtiments d'outre-tombe, a conféré au type toute son infernale grandeur. Quant au mythe, c'est-à-dire à l'histoire qui a durablement fixé dans l'imagination collective les grands traits de ce type humain, c'est à un moine de la Merci, Gabriel Téllez, qu'on le doit.

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Écrit par

  • : maître de conférences à la faculté des lettres et sciences humaines d'Amiens

Classification

Pour citer cet article

Michel BERVEILLER. DON JUAN [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • DOM JUAN (mise en scène B. Jaques)

    • Écrit par Christian BIET
    • 1 004 mots

    À travers sa mise en scène d'Elvire Jouvet 40, d'après les carnets de travail de Louis Jouvet, Brigitte Jaques s'était intéressée au Dom Juan de Molière, aux rôles et à la manière de les dire. Cette fois, sans abandonner le travail de l'acteur, elle se tourne aussi vers...

  • DOM JUAN, Molière - Fiche de lecture

    • Écrit par Christian BIET
    • 1 130 mots
    • 1 média

    Le 15 février 1665, Molière (1622-1673) donne Dom Juan, une comédie fort dangereuse, à la suite de Tartuffe qui venait d'être interdit. Quinze jours après la première, les pressions de toutes sortes et la prudence font que l'écrivain retire sa pièce : Le Festin de pierre, cette...

  • DON JUAN (G. G. Byron) - Fiche de lecture

    • Écrit par Marc PORÉE
    • 866 mots
    • 1 média

    Long poème inachevé en dix-sept chants, Don Juan (1819-1824) est le chef-d'œuvre incontesté de lord Byron (1788-1824). Prenant à contre-pied le mythe du libertin cynique immortalisé par Tirso de Molina, Molière et Mozart, il fait de son héros un pantin manipulé par les femmes et leurs désirs...

  • DON JUAN TENORIO, José Zorrilla - Fiche de lecture

    • Écrit par Bernard SESÉ
    • 870 mots

    Représenté pour la première fois à Madrid, en 1844, Don Juan Tenorio de José Zorrilla (1817-1893) est vite devenu, dans le monde hispanique, une œuvre extrêmement célèbre. Ce drame « religieux et fantastique » fut longtemps joué chaque année, à l'occasion de la fête des morts. Plus que de ...

  • BAROQUE

    • Écrit par Claude-Gilbert DUBOIS, Pierre-Paul LACAS, Victor-Lucien TAPIÉ
    • 20 831 mots
    • 23 médias
    ...puisque l'un prend appui sur l'autre pour s'établir une fonction au sein d'un système de dualité. La principale illustration de ce principe est le mythe de Don Juan, qui naît, s'établit et se diversifie au cours de cette époque, du Burlador de Sevilla de Tirso de Molina au Don Giovanni de Da Ponte...
  • BYRON GEORGE GORDON (1788-1824)

    • Écrit par François NATTER
    • 4 444 mots
    • 1 média
    Avec Beppo, conte vénitien (1817) et surtout avec Don Juan (1819-1824), interrompu au seizième chant par la mort de l'auteur, Byron a donné la véritable mesure de son génie. Don Juan est une épopée immense (près de 16 000 vers) et multiforme, écrite sur le modèle de Pulci, en ottava...
  • CASANOVA GIACOMO (1725-1798)

    • Écrit par Denise BRAHIMI, Universalis
    • 1 274 mots
    • 1 média
    ...l'est beaucoup moins à l'égard de ses aventures amoureuses. On a estimé que de 1735 à 1774, il avait eu cent vingt-deux amantes, mais il n'en est pas moins fort différent de Don Juan dont plusieurs critiques, tels que Stefan Zweig et Félicien Marceau ont pris soin de le distinguer. Casanova n'a en effet...
  • ESPAGNE (Arts et culture) - La littérature

    • Écrit par Jean CASSOU, Corinne CRISTINI, Jean-Pierre RESSOT
    • 13 749 mots
    • 4 médias
    ...beaucoup gardé en lui du caractère familier de sa période primitive. Les actes et les sentiments y apparaissent sous leur forme élémentaire. Le thème de don Juan qui, dans toute l'Europe, prendra des formes si diverses, autorisant des interprétations aussi variées que profondes, le voici sous sa première...
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