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CHAPLIN CHARLIE (1889-1977)

Chaplin cinéaste

Il demeure aujourd'hui encore un paradoxe de la critique chaplinienne. Celui que les critiques unanimes célèbrent comme un des plus grands créateurs de l'histoire du cinéma est aussi un des moins reconnus en tant que réalisateur proprement dit. Plusieurs ouvrages publiés depuis la fin des années 1980 ont remis en question ce préjugé, que Chaplin, il est vrai, a contribué à renforcer : non seulement la virtuosité du comédien détourne notre attention de l'écriture du réalisateur, mais le cinéaste s'est toujours moqué dans ses entretiens des angles bizarres et des mouvements d'appareil compliqués. En ce sens, il adhère pleinement à l'esthétique du cinéma classique hollywoodien, qui prône un style discret, « transparent », et requiert avant tout « cette franchise, cette loyauté sur le corps de l'acteur qui est le secret de la mise en scène » (Michel Mourlet). Tout ce que l'on connaît aujourd'hui des méthodes de travail de Chaplin – notamment grâce à la biographie de David Robinson et au documentaire de Kevin Brownlow et David Gill sur Chaplin inconnu – et tout ce que révèlent les analyses détaillées de ses films – en France, parmi d'autres, celles de Michel Chion ou de Francis Bordat – témoigne d'un souci maniaque de la forme qui excède largement la seule préoccupation de la qualité de l'interprétation. L'étude de la scénographie, des mouvements d'appareil, du découpage-montage et de la photographie de ses quatre-vingts films, loin de faire apparaître une soumission aux conventions hollywoodiennes, révèle elle aussi le goût de la recherche et le défi des habitudes.

<it>Monsieur Verdoux</it>, de C. Chaplin - crédits : John Springer Collection/ Getty Images

Monsieur Verdoux, de C. Chaplin

Les problèmes posés par le passage au parlant fournissent un bon exemple de cette exigence. Le Dictateur (1940), premier film entièrement parlant de Chaplin, sort plus de dix ans après l'arrivée des talkies. Mais on aurait tort d'y voir une simple preuve de résistance à la nouveauté. Certes, Chaplin redoutait l'inadaptation de son personnage au parlant. Il savait trop combien le génie de Charlot était lié à l'art de la pantomime. Il renonce donc à tout dialogue dans Les Lumières de la ville (1931), dont la bande sonore offre cependant une satire très drôle des talkies, et il se contente de faire chanter Charlot sur l'air de Titine à la fin des Temps modernes (1936). Quant au Barbier du Dictateur, le scénario le rend astucieusement amnésique et un peu aphasique, ce qui permet de privilégier l'expression corporelle. Charlie Chaplin n'en était pas moins fasciné par les possibilités du son et de la parole au cinéma. Il était en outre convaincu que ce sont les mots qui mènent le monde. Les quatre héros qui succèdent à Charlot (Hynkel, Verdoux, Calvero et Shahdov), s'avèrent être des discoureurs impénitents – comme Chaplin l'était lui-même à la ville. Par ailleurs, les films des années 1930 semblent vouloir explorer méthodiquement toutes les possibilités expressives de la bande sonore (celle des Temps modernes est d'une richesse infinie), comme si le son au cinéma était une chose trop importante pour qu'on le traite à la hâte.

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Écrit par

  • : professeur de civilisation américaine à l'université de Paris-X-Nanterre

Classification

Pour citer cet article

Francis BORDAT. CHAPLIN CHARLIE (1889-1977) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

<it>Le Dictateur</it>, de Charlie Chaplin - crédits : United Artists Corporation/ Collection privée

Le Dictateur, de Charlie Chaplin

Les Temps modernes, C. Chaplin - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Les Temps modernes, C. Chaplin

<it>Monsieur Verdoux</it>, de C. Chaplin - crédits : John Springer Collection/ Getty Images

Monsieur Verdoux, de C. Chaplin

Autres références

  • CHARLIE CHAPLIN CRÉE "CHARLOT"

    • Écrit par Joël MAGNY
    • 234 mots
    • 1 média

    Dans Pour gagner sa vie, son premier film pour la compagnie Keystone, où il vient d'être engagé en février 1914 afin de tourner sous la direction de Henry Lehrman, Charlie Chaplin (1889-1977), tel un lord anglais, s'est vu affubler d'une moustache tombante, d'une redingote, d'un huit-reflets,...

  • LES TEMPS MODERNES, film de Charlie Chaplin

    • Écrit par Michel CHION
    • 913 mots
    • 1 média

    Fort du triomphe, cinq ans plus tôt, d'un film encore muet, Les Lumières de la ville (City Lights, 1931), dans une Amérique déjà convertie au parlant, Charlie Chaplin (1889-1977) sort, avec Les Temps modernes (Modern Times), un film sans dialogues audibles. Plus exactement, ce qu'on appelait...

  • BURLESQUE COMÉDIE, cinéma

    • Écrit par Claude-Jean PHILIPPE
    • 3 086 mots
    • 10 médias
    ...lied de Schubert, tantôt il crachait en l'air des miettes de biscuit sec, tantôt il arrosait son voisin avec des oranges pourries. » Cet acteur se nomme Charles Chaplin, à qui Hollywood vient de proposer son premier contrat et qui hésite à l'accepter. Le salaire élevé qu'on lui offre lui paraît disproportionné...
  • CINÉMA (Aspects généraux) - Histoire

    • Écrit par Marc CERISUELO, Jean COLLET, Claude-Jean PHILIPPE
    • 21 694 mots
    • 41 médias
    ...humaniste Franklin D. Roosevelt. C'est l'Amérique de La Chevauchée fantastique (Stagecoach, 1939) et des Raisins de la colère (The Grapes of Wrath, 1940), celle aussi des Lumières de la ville (City Lights, 1931) et des Temps modernes (1936) de Chaplin. De cette période, on retiendra surtout des visages :...
  • CINÉMA (Réalisation d'un film) - Musique de film

    • Écrit par Alain GAREL
    • 6 489 mots
    • 5 médias
    C'est à partir de 1932 que la musique de fosse s'affirma de nouveau. Il est difficile d'en déterminer les causes. Il semblerait cependant que l'immense succès de City Lights (Les Lumières de la ville), de Charles Chaplin (1931), ait joué là un rôle. Ennemi des talkies, le créateur de...
  • COMÉDIE AMÉRICAINE, cinéma

    • Écrit par Joël MAGNY
    • 5 126 mots
    • 18 médias
    ...Crichton, 1919), Why Change Your Wife ? (L'Échange, 1920) ou The Affairs of Anatol (Le cœur nous trompe, 1921). La subtilité du mélodrame mondain de Chaplin, A Woman of Paris (L'Opinion publique, 1923), exerce également une grande influence sur les comédies de Monta Bell (The King on Main...
  • Afficher les 11 références

Voir aussi