Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

ART SOUS L'OCCUPATION

En France, entre 1940 et 1944, l'art ne resta pas étranger à la situation historique. Sur la scène artistique, rien ni personne n'échappa à la tourmente, ni les dirigeants, ni les médiateurs (critiques ou conservateurs), ni les artistes, rappelés brutalement au chevet d'une communauté désemparée, ni le public ; tous certains que l'art devait résoudre la crise en édifiant les foules ou en soignant les âmes. La fin des couleurs, le retour au beau et vieux métier, l'importance attribuée au dessin, la revendication d'un art pour tous, l'appel à un « nouvel humanisme » et au sacré, le retour au portrait, la convocation d'une identité française : tout cela germe en amont de la catastrophe, mais dérape plus d'une fois dans un contexte de crise favorable à toutes les dérives ou exclusions. On ne sentit peut-être jamais davantage que durant ces années sombres la fragilité de la condition artistique ; en effet, l'art ne pouvait plus exister selon les impératifs qui sont les siens : mouvement permanent, aventure, doute, débat, critique, conflit. Or, si les gouvernants semblaient occuper le terrain de la réaction, rappelant la norme au détriment du caprice, le plus surprenant fut de voir celle-ci réclamée par la base elle-même, dans un curieux mouvement d'accusation et d'instrumentalisation de l'art et des artistes.

La France occupée

Le 22 juin 1940, la convention d'armistice ratifiait la victoire de l'Allemagne nazie. Le 9 juillet 1940, le ministère de la Propagande du IIIe Reich donnait au vaincu un avant-goût du sort qu'il lui réservait : la France ne serait pas considérée comme une « alliée » mais jouerait en Europe le rôle d'une « Suisse agrandie », réserve agricole et touristique pouvant éventuellement assurer certaines productions dans le domaine de la mode. Si Hitler avait en tête de la soumettre à terme, en matière culturelle notamment, il comptait sur le temps pour assurer son hégémonie sur elle, sans voir d'abord d'un mauvais œil les signes de sa prétendue décadence, qu'il annonçait comme autant de faiblesses de l'adversaire. Sa priorité se concentrait sur la lutte contre les exclus de sa vision politique : Juifs, communistes et francs-maçons.

Une véritable machine de propagande se mit en place dès les débuts de l'Occupation, pour contrôler en l'épurant, la scène culturelle française. Armée de services puissants mais rivaux, cette machine, dotée de moyens financiers très larges, occupa plus d'un millier de personnes. La première mission que les nazis se fixèrent concernait le pillage, essentiellement à Paris, des collections d'œuvres appartenant à des Juifs, qui devenaient ainsi des instruments privilégiés de propagande et de gages diplomatiques. Moins de quinze jours après l'armistice, le 30 juin 1940, commença une opération de brigandage sans précédent qui allait s'appuyer sur les lois d'exclusion antisémites et profiter à Hitler ainsi qu'aux dignitaires nazis regroupés en clans : Alfred Rosenberg travaillant pour Hermann Göring, Otto Abetz pour Joachim von Ribbentrop. Au total, ce furent plus de deux cents collections et plusieurs dizaines de milliers d'objets d'art de toute nature qui furent pillés.

L'État français eut beau protester, en particulier le Commissariat aux questions juives – dont les motivations étaient intéressées –, l'Allemagne conserva l'avantage du pillage qui put s'intensifier à loisir, du moins s'agissant des collections des Juifs déchus de leurs droits. Si le maréchal Pétain fit confiance au corps des conservateurs pour protéger les collections nationales, Pierre Laval, lorsqu'il revint au gouvernement en 1942, assisté d'Abel Bonnard, ministre de l'Éducation nationale, n'hésita pas à « négocier » avec[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : professeure des Universités, enseignante à l'université de Picardie et à l'Institut politique de Paris

Classification

Pour citer cet article

Laurence BERTRAND DORLÉAC. ART SOUS L'OCCUPATION [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Spoliation des œuvres d'art - crédits : Horace Abrahams/ Getty Images

Spoliation des œuvres d'art

Max Jacob - crédits : Sasha/ Hulton Archive/ Getty Images

Max Jacob

Autres références

  • LE CORBEAU, film de Henri-Georges Clouzot

    • Écrit par Michel CHION
    • 1 160 mots

    Produit durant la période de l'Occupation, sous contrôle allemand, par la firme Continental, second film d'un jeune réalisateur que vient de révéler le divertissement policier L'assassin habite au 21 (1942), Le Corbeau est un pamphlet, dans lequel une campagne de lettres anonymes...

  • DELAIR SUZY (1916-2020)

    • Écrit par Christian VIVIANI
    • 822 mots
    • 1 média

    Suzanne Pierrette Delaire, dite Suzy Delair, naît le 31 décembre 1917 à Paris, dans un milieu modeste. Suivant la profession de sa mère, elle apprend le métier de modiste, mais rêve de théâtre. Elle survit un temps grâce à de petits rôles au théâtre et déjà au cinéma. Bientôt c’est sa voix, jolie...

  • FRANCE (Arts et culture) - Le cinéma

    • Écrit par Jean-Pierre JEANCOLAS, René PRÉDAL
    • 11 105 mots
    • 7 médias
    ...cinématographique. La guerre puis la défaite n'ont pas permis sa discussion. C'est paradoxalement le pouvoir de Vichy qui en a repris la substance dès l'automne 1940. Le cinéma de la France occupée sera un cinéma encadré, contrôlé par des textes législatifs. La loi du 26 octobre, qui sera validée par le gouvernement...
  • SPOLIATION DES ŒUVRES D'ART, France (1940-1944)

    • Écrit par Didier SCHULMANN
    • 4 785 mots
    ...livre-témoignage de Rose Valland, est épuisé depuis plus de trente ans ; en France, aucun travail universitaire n'a été entrepris sur ce sujet précis. Laurence Bertrand-Dorléac, dans sa thèse (en 1986) puis en consacrant au pillage et aux spoliations le premier chapitre de son livre (en 1993), qui traitait...

Voir aussi