ART SOUS L'OCCUPATION
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La propagande de Vichy
Par ses actions de propagande, l'Allemagne démontrait qu'il était possible d'impressionner les foules en instrumentalisant les œuvres d'art et leurs producteurs. Cette propagande se forgeait des armes d'autant plus efficaces qu'elles n'étaient pas encore bien repérées. Les modèles venaient d'ailleurs, mais les Français n'étaient pas en reste d'expériences : le gouvernement de Vichy se donna lui aussi pour mission de convaincre en réutilisant les matériaux déjà en son pouvoir, affiches, publications, discours, imagerie. Il sut occulter les sujets les moins consensuels (la persécution ou la collaboration) au profit de l'image rassurante d'une France mythique, éternelle, agraire, unie autour de sa Terre, de sa Famille, de sa Jeunesse. Unie autour de son Maréchal, figure centrale et véritable icône pour le pays, qui ne souffrait aucun partage, sinon avec Jeanne d'Arc.
Vichy n'eut pas de projet esthétique bien arrêté, mais forgea sinon un style du moins une image obsédante du chef, s'appuyant sur des formes, des couleurs, des traditions artistiques maniées comme des armes politiques. La véritable originalité de l'art officiel sous Vichy ne venait pas de son unité ou de sa nouveauté mais de la répétition et de la diffusion massive de son sujet central, le Maréchal, qui finissait par devenir un style en soi.
S'il n'avait pas de conception bien arrêtée de l'art, le maréchal Pétain soignait son image et suivait de près le travail de ses portraitistes, qu'il exigeait dociles. Il encouragea trois registres qui servirent à diffuser une image flatteuse de lui : photographique, symbolique, populaire, au service desquels œuvraient une centaine d'artistes, dont trois favoris. François Cogné, sculpteur officiel de la IIIe République, le représenta avec brio, donnant l'impression au public d'être devant sa photographie en relief, donc devant lui. Son buste devait remplacer la Marianne républicaine dans les lieux publics. Robert Lallemant multiplia, quant à lui, les attributs symboliques du chef de l'État, la francisque en particulier, qu'il maniait comme un signe éloquent et décoratif soumis à son esthétique moderne et fonctionnaliste. Enfin, Gérard Ambroselli soignait la version bon enfant, folklorique et populaire du régime en fabriquant un Pétain image d'Épinal. Cogné et Ambroselli avaient servi le régime de Vichy comme ils avaient servi la IIIe République et comme ils se retrouveraient au service de la IVe après la Libération, le premier pour la décoration du monument à Georges Mandel, érigé à l'endroit où l'avait assassiné la milice ; le second, engagé dans l'armée de libération, pour réinventer, à la demande du maréchal de Lattre de Tassigny, les images d'une France héroïque, révolutionnaire et désormais libérée.
Que restait-il de leurs spécialités vichyssoises ? Au moins le Service artistique du Maréchal, mis sur pied par Robert Lallemant, une première dans l'histoire officielle, en marge des traditionnelles directions artistiques et de l'information, rompant avec les coutumes républicaines françaises qui n'avaient jamais pratiqué un tel culte autocratique. Cet organisme, entièrement dévoué à la personne du chef de l'État, devait assurer une partie au moins de la confection de sa propagande : tous les objets décoratifs ou utilitaires diffusés en France ou à l'étranger portaient la marque du pouvoir : son effigie ou sa francisque. Ce service devait encourager un « art-Maréchal », en mettant à contribution les grandes industries françaises de décoration : Baccarat, Degroote ou Puitforcat. Robert Lallemant, qui avait adhéré à l'Union des artistes modernes en 1934, imposait une orientation résolument moderne, où art devait rimer avec industrie, série, au besoin avec anonymat.
Dans la propagande officielle française, ce qui dominait pourtant était davantage une image passéiste et rassurante du pouvoir, associée au petit artisanat local ou à l'imagerie populaire, la même que donnait le très célèbre album d'Ambroselli, où la vie du Maréchal était contée comme on le ferait à des enfants et diffusée massivement dans la France entière, à destination des petits et des grands.
La force de l'art-Maréchal résidait dans son abondance et dans la faculté de l'État de solliciter une infinité de supports, de matériaux, de producteurs et de réseaux de distribution. Vichy innova en inondant la France et les Français de sa bimbeloterie idéologique dans ses boutiques, ses centres de propagande, ses chantiers de jeunesse, son Secours national. Vichy innova encore en faisant voyager son chef sur les timbres français : six milliards de timbres émis en hommage à sa personne. En retour, les offrandes au « sauveur » arrivaient de la France entière à l'hôtel du Parc, fabriquées par des propagandistes improvisés, au nom de leur région, de leur village, de leur métier ou de leur confrérie : tapisseries, mouchoirs brodées, cannes, képis, boîtes de biscuits, objets décoratifs en tout genre. Ce qui démontrait l'efficacité des relais du pouvoir : municipalités, directions de chantiers, corps de métiers, institutions religieuses et même scolaires, puisque les enfants étaient alors utilisés comme les agents les plus « émouvants » de la propagande.
Vichy visait tout particulièrement la jeunesse en lui distribuant des bons points lorsqu'elle se montrait à la hauteur de son espérance. Dès Noël 1940, deux millions de dessins arrivèrent de toute la France à Vichy pour saluer – sur commande – la figure du Maréchal. Quant aux jeunes gens, ils devaient s'inspirer des valeurs officielles : joie ou effort, au moment où l'on invitait partout au ressaisissement du corps et des esprits. Des thèmes en vogue qui circulaient largement, y compris dans les Salons artistiques traditionnels ou les expositions thématiques : sur le sport en particulier, ainsi en février 1942, à l'hôtel de ville de Vichy, lors d'une grande exposition qui présentait les œuvres des habitués des Salons parisiens : Vlaminck, Belmondo, Desnoyer, Lhote, Goerg, Dufy, Gromaire, Dunoyer de Segonzac ou Jacques Villon.
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Écrit par
- Laurence BERTRAND DORLÉAC : professeure des Universités, enseignante à l'université de Picardie et à l'Institut politique de Paris
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Médias
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