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BENJAMIN WALTER (1892-1940)

L'artiste comme producteur

Aux alentours de 1930, Benjamin, écrivain libre, s'est fait un nom dans la critique littéraire, en suivant des voies qui n'ont pourtant rien d'orthodoxe, puisqu'elles conduisent l'exégèse au seuil d'une praxis subversive. À Gershom Scholem, il écrit : « Je n'ai jamais pu développer mes recherches que dans un sens, si je puis dire, théologique, en conformité avec la doctrine talmudique des quarante-neuf niveaux de sens de chaque passage de la Torah. Or, d'après mon expérience, la platitude communiste la plus usée comporte davantage de sens hiérarchisés que les profondeurs de la pensée bourgeoise contemporaine, qui ne possède jamais que le sens de l'apologie. » Ce type de lecture, Benjamin l'opère tant sur l'héritage culturel que sur des contemporains tels que Kafka, Kraus ou Proust, en variant la distance prise avec son objet, réduite au minimum dans le cas de Brecht. Il procède également ainsi avec la réalité extra-littéraire. Sous son titre trompeur, Sens unique (1928) en témoigne : ce montage d'observations ou d'aphorismes inspiré par la rue présente une succession de carrefours offrant des possibilités de bifurquer. Il en va de même avec la remontée dans le temps que constituent les fragments, plus tardifs, d'Enfance berlinoise aux alentours de 1900.

En tout état de cause, Walter Benjamin ne dissocie pas l'étude et la vie, comme l'indiquent déjà ses tout premiers textes inspirés par le « mouvement de la jeunesse », à l'époque où il se lie d'amitié avec Gershom Scholem. Le rejet de sa thèse d'habilitation par l'université de Francfort, en 1925, va le conduire à chercher des ressources en dehors des institutions, du côté du journalisme, voire de la radio, et à développer de plus en plus un mode de pensée en prise sur une société en crise. Walter Benjamin ne borne pas son regard à la seule Allemagne, entre Berlin, où il a ses origines familiales – dans une bourgeoisie juive fortunée – et Francfort, où il peut débattre de ses travaux avec Adorno. Paris – entre autres celui des surréalistes – est pour lui un deuxième port d'attache. Les impressions de voyage recueillies dans Paysages urbains (publiés en revue entre 1927 et 1930), et qui évoquent Moscou, Marseille, San Gimignano, la mer du Nord, témoignent de la plus grande ouverture. Les Journaux de Moscou (1926-1927) représentent un document de premier ordre sur un monde en mutation. Il y a aussi les séjours privilégiés à Capri – où Benjamin se lie à la révolutionnaire Asja Lacis, à laquelle il dédie Sens unique – et à Ibiza. L'exil, en 1933, fixe Benjamin à Paris, où néanmoins il change constamment d'adresse, intellectuel prolétarisé voué à écrire de plus en plus pour le tiroir, « dans la mesure où nous en avions », précise Günther Anders, son grand-cousin, « car quel émigrant aurait pu s'offrir un bureau avec des tiroirs ? Benjamin a écrit nombre d'essais sur ses genoux, assis au bord de son lit ». La Revue pour la recherche sociale, publication de l'école de Francfort elle-même en exil, en publiera certains. Pour l'émigré, la Bibliothèque nationale reste un dernier refuge, avant l'internement temporaire dans les camps de la République française en 1939, lorsque la guerre éclate, et le suicide, à Port-Bou, aux portes de l'Espagne, sur la route de l'Amérique.

Les études des années 1930, obérées par les difficultés de l'exil, fournissent un apport décisif dans le domaine de la théorie matérialiste de l'art. Parmi elles se détache l'opuscule intitulé L'Œuvre d'art à l'époque de sa reproductibilité technique (1935-1936) flanqué de la Petite Histoire de la photographie (1931) et d'Eduard Fuchs, collectionneur et historien (1937).[...]

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Pour citer cet article

Philippe IVERNEL. BENJAMIN WALTER (1892-1940) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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Walter Benjamin - crédits : AKG-images

Walter Benjamin

Autres références

  • L'ŒUVRE D'ART À L'ÉPOQUE DE SA REPRODUCTION MÉCANISÉE, Walter Benjamin - Fiche de lecture

    • Écrit par Paul-Louis ROUBERT
    • 985 mots
    • 1 média

    L'essai de Walter Benjamin L'Œuvre d'art à l'époque de sa reproduction mécanisée est l'un des textes les plus célèbres de la littérature photographique allemande de l'entre-deux-guerres. Il est également connu en français sous un titre un peu différent : ...

  • SENS UNIQUE, Walter Benjamin - Fiche de lecture

    • Écrit par Yve-Alain BOIS
    • 1 709 mots
    • 1 média

    L'écrivain et critique allemand Walter Benjamin (1892-1940) fut longtemps mal connu en France, où ce n'est qu'à la fin des années 1970 qu'on commence à mesurer l'ampleur et la diversité de son travail. Il avait fallu en effet plus de dix ans pour que s'épuise le recueil d'...

  • WALTER BENJAMIN. LE DÉSIR D'AUTHENTICITÉ (M. Pulliero)

    • Écrit par Lionel RICHARD
    • 1 106 mots

    En 1932, Walter Benjamin (1892-1940), relatant dans Chronique berlinoise ses souvenirs d'enfance et d'adolescence, considère les années qu'il a vécues avant 1914, sous le règne de Guillaume II, comme un « âge d'or ». Le bien-être dans lequel s'étaient ancrés ses parents, qui appartenaient à des familles...

  • ALLÉGORIE, notion d'

    • Écrit par François TRÉMOLIÈRES
    • 1 454 mots
    ...primitives et les plus naturelles de la poésie, reprend sa domination légitime dans l'intelligence illuminée par l'ivresse. » Grand admirateur du poète, Walter Benjamin découvre dans Les Fleurs du mal(1857) une « esthétique de la négativité », un art ironique, réflexif et lucide, profondément mélancolique....
  • ART (L'art et son objet) - La reproduction en art

    • Écrit par Denys RIOUT
    • 2 030 mots
    • 4 médias
    Dans « L'Œuvre d'art à l'époque de sa reproductibilité technique » (1936),Walter Benjamin affirme que les œuvres d'art ont toujours été reproductibles, car « ce que des hommes avaient fait, d'autres pouvaient toujours le refaire ». Néanmoins, au moment où se développe une reproductibilité...
  • ART (notions de base)

    • Écrit par Philippe GRANAROLO
    • 3 282 mots
    ...conserver au film le statut que revêt une peinture de la Renaissance qui exige qu’on se déplace au musée des Offices de Florence pour la contempler ? Dans son essai L’Œuvre d’art à l’époque de sa reproduction mécanisée (1935), Walter Benjamin (1892-1940), avec beaucoup d’avance sur ses contemporains,...
  • CINÉMA (Aspects généraux) - Les théories du cinéma

    • Écrit par Youssef ISHAGHPOUR
    • 5 396 mots
    • 2 médias
    L'essai de Walter Benjamin (1892-1940), L'Œuvre d'art à l'époque de sa reproductibilité technique (1936), doit beaucoup à Vertov. Il coupe court à la synthèse des arts et envisage d'autres possibilités. Pour Benjamin, la reproduction technique détruit l'« aura » propre à l'œuvre d'art...
  • Afficher les 20 références

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