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ROMAN D'AVENTURES

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Crépuscule de l’aventurier

Cette morale paradoxale, qui consiste à utiliser abondamment le motif de l’aventure tout en refusant de considérer que la quête des aventures soit en soi positive, s’efface brutalement au tournant des xixe et xxe siècles. Plus exactement, une morale concurrente apparaît alors, qui eut pour effet de cantonner strictement le roman d’aventures au seul domaine de la littérature enfantine. Cela contribue d’ailleurs à expliquer que Jules Verne meure en 1905 sans véritable successeur. Les romanciers qui, par la suite, essaieront de se faire un nom dans le roman d’aventures – songeons, par exemple, au jeune Georges Simenon – n’y parviendront jamais.

Robert Louis Stevenson - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Robert Louis Stevenson

L’influence de la littérature en langue anglaise est ici déterminante. En 1913, dans une série d’articles pour la Nouvelle Revue française, Jacques Rivière en appelle à l’avènement d’un nouveau genre littéraire, dans lequel les aventures ne sont plus seulement une péripétie du roman, mais en constituent bel et bien le thème. Albert Thibaudet et Pierre Mac Orlan feront ensuite de même, désignant les modèles à suivre pour les romanciers français: Robert Louis Stevenson (1850-1894), Rudyard Kipling (1865-1936), bientôt Jack London (1876-1916) et, surtout, Joseph Conrad (1857-1924), dont André Gide, une des sommités de la Nouvelle Revue française, traduisit Typhon en 1923.

Rudyard Kipling - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Rudyard Kipling

Joseph Conrad - crédits : Bettmann/ Getty Images

Joseph Conrad

Or les personnages de Conrad vivent moins des aventures qu’ils ne les rêvent en dissertant sur le sens à leur donner. Lord Jim, publié en 1901, est de ce point de vue un livre emblématique. Par ailleurs, en s’adressant à un public de lecteurs adultes, Conrad réalise l’assomption de la figure de l’aventurier, admettant progressivement, au cours de son œuvre, qu’il représente une figure désormais digne d’être héroïsée. Ce processus triomphera en France au cours de l’entre-deux-guerres. En 1920, Pierre Mac Orlan, dans son Petit Manuel du parfait aventurier, vante le « joli nom d’aventurier » et expose les règles nouvelles que doivent suivre désormais le roman d’aventures. De nombreux auteurs vont faire de même en renouvelant l’ancienne logique de brouillage de la réalité et de la fiction. Blaise Cendrars, Joseph Kessel, Henry de Monfreid et tant d’autres, désireux de marcher dans les pas de Stevenson, Conrad ou London, assurent en effet avoir construit leurs romans à partir des aventures bien réelles qu’ils auraient vécues. C’est aussi le cas des deux auteurs qui apparaissent alors comme les deux plus sérieux prétendants au titre de « Conrad français » (c’est ainsi en tout cas que les jugèrent leurs éditeurs Bernard Grasset et Gaston Gallimard) : André Malraux (1901-1976) et Antoine de Saint-Exupéry (1900-1944).

L’aventure est alors parée de vertus nouvelles. Elle permet de s’accomplir tout entier dans l’instant même, de saisir son propre destin dans la confrontation recherchée avec la mort. Elle devient le moyen, surtout, d’un dévoilement du sens caché du monde, d’une traversée décisive des apparences grâce à laquelle l’aventurier parvient à identifier, mieux que n’importe quel homme, son propre rapport au monde. Elle est finalement perçue comme une modalité esthétique de l’existence.

Comment expliquer que tant de romanciers aient alors célébré l’aventure elle-même, indépendamment de tout autre but ? L’explication majeure tient au bouleversement du sentiment de l’espace qui secoue les sociétés occidentales à la fin du xixe siècle. L’assomption de la mystique moderne de l’aventure est en effet contemporaine de l’avènement d’un second discours postulant que, pour le dire comme Conrad au début de son premier roman, « le temps des exploits hardis et aventureux était passé » (La Folie-Almayer, 1894). Bien des auteurs ont souligné le perfectionnement considérable des moyens de transport modernes, lesquels étaient encore renouvelés,[...]

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Écrit par

  • : professeur d'histoire contemporaine à l'université Grenoble Alpes

Classification

Pour citer cet article

Sylvain VENAYRE. ROMAN D'AVENTURES [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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Médias

Ulysse et les sirènes - crédits : Encyclopædia Universalis France

Ulysse et les sirènes

Jules Verne - crédits : skeeze/ pixabay.fr

Jules Verne

<it>Vingt Mille Lieues sous les mers</it>, J. Verne - crédits : AKG-images

Vingt Mille Lieues sous les mers, J. Verne

Autres références

  • AIMARD GUSTAVE (1818-1883)

    • Écrit par
    • 110 mots

    Romancier populaire français. De son véritable nom Olivier Gloux, Gustave Aimard est l'auteur de nombreux romans d'aventures. Les Trappeurs de l'Arkansas (1858) constitue le premier d'une longue série de livres dont l'Ouest américain est le cadre. Par là, Aimard se trouve être un précurseur...

  • ANGLAIS (ART ET CULTURE) - Littérature

    • Écrit par , , , , , et
    • 28 170 mots
    • 30 médias
    ...L'Île au trésor (Treasure Island), de R. L. Stevenson, annonce, onze ans après la première traduction de Jules Verne, l'apparition du roman d'aventures, donc d'une littérature pour adolescents, dont les frontières supérieures vont devenir indistinctes lorsque, par exemple, H. Rider...
  • L'ASTRÉE, Honoré d'Urfé - Fiche de lecture

    • Écrit par
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    On a, de nos jours, trop tendance à négliger les grands romans des xvie et xviie siècles. On se fie à Cervantès pour repousser les romans de chevalerie, on croit sur parole les Scarron, Sorel et autres Furetière, qui parodient les auteurs d'Amadis, de L'Astrée et du Grand Cyrus, en...

  • AU BORD DE L'EAU (SHUI HU ZHUAN), anonyme - Fiche de lecture

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    Au bord de l'eau, dont l'action se déroule au xiie siècle, met en scène cent huit brigands, qui ont coutume de se retrouver autour d'un lac leur servant de refuge. Plus que d'un roman suivi, il s'agit d'une succession d'épisodes plus ou moins indépendants, reliés entre eux par les retrouvailles...
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