SAINT-EXUPÉRY ANTOINE DE (1900-1944)
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« Pour moi, voler ou écrire, c'est tout un » : ainsi s’exprimait l'aviateur et écrivain français Antoine de Saint-Exupéry. Roger Caillois a souligné l’importance que revêt dans son œuvre la prise de conscience progressive de soi et des autres, la connaissance créatrice dont les moyens furent autant la solitude et la guerre que l'avion, merveilleux « instrument d'analyse », « thème d'inspiration » et tremplin des relations humaines. De L'Aviateur (1926) – qui se réfère à un métier – à Citadelle (1948) – qui évoque un monument – s'élabore dans le courage, l'obstination et la générosité une « expérience morale » à laquelle ont œuvré conjointement l'aventure et l'écriture, sans que la seconde pipe la première ou s'y substitue.
La double vocation
Lorsque, au soir de son baptême de l'air, Antoine de Saint-Exupéry, alors âgé de douze ans, offrit à son professeur de français un poème aéronautique, peut-être pressentait-il la double orientation qu'allait prendre son destin. Cependant, les chemins qui l'y menèrent furent moins directs qu'on le pourrait supposer.
De père limousin, provençal par sa mère, aristocrate des deux côtés, il naît à Lyon le 29 juin 1900 ; il est le troisième de six enfants. Orphelin de père dès ses quatre ans, il reçoit une formation classique dans des instituts religieux. Tôt il manifeste une propension pour la mécanique où l'imagination a sa part. Élève irrégulier, paraît-il, tempérament indiscipliné, il est néanmoins bachelier à dix-sept ans. Après avoir échoué au concours d'entrée à l'École navale, il tente l'architecture pour retrouver volontairement l'avion lors de son service militaire (1921-1923).
Il y commet son premier exploit en s'emparant d'un appareil pour effectuer un vol solitaire qui faillit se terminer en catastrophe, mais révéla le sang-froid du pilote et cette maîtrise qui va chez lui de pair avec une sorte de témérité et presque un goût de l'aventure marginale. L'armée de l'air s'ouvre à lui ; il y renonce devant l'opposition de la famille de sa fiancée. Mais ni la bureaucratie ni la vente de camions pour les usines Saurer ne le consolent de l'avion qu'il rejoint chaque fois qu'il le peut. 1926 est une année décisive : engagé à la société d'aviation Latécoère, il débute en octobre à Toulouse, sous la direction de Didier Daurat, le futur Rivière de Vol de nuit, le type même du chef, à la fois maître et entraîneur. Au début de la même année, il publie une nouvelle, L'Aviateur ; dorénavant, les écrits marqueront les jalons moins d'une carrière que d'une aventure, dont ils feront le point et dont ils seront le prolongement éthique et poétique.
Envoyé en 1927 comme chef de base à Cap Juby (Río de Oro), escale aussi dangereuse que vitale sur la ligne Casablanca-Dakar, Saint-Exupéry découvre à la fois l'action responsable, le désert et les Maures. Maintes fois, il sauve des aviateurs en panne ou captifs des dissidents. Le soir, il écrit Courrier Sud (1929). Dans ce récit, influencé sur le plan romanesque par la manière de Gide, le narrateur rapporte les confidences d'un pilote de l'Aéropostale qui, peu avant de s'écraser sur les sables, a connu la mort d'un amour. « Le roman d'un aviateur l'emporte sur le roman de l'aviation » (Luc Estang), non sans en amorcer les composantes essentielles : le sens de la fraternité virile, et surtout cette optique fondamentale de Saint-Exupéry pour qui l'avion fut l'outil privilégié qui mêle « l'homme à tous les vieux problèmes ».
Simple comme une épure, mais de chair et de sang, Vol de nuit (1931), dans sa sobriété toute classique, est peut-être l'œuvre la plus accomplie de Saint-Exupéry. Son héros, Rivière, autant qu'à Daurat se réfère à l'auteur, directeur depuis octobre 1929 de l'Aeroposta Argentina. Saint-Exupéry a donc éprouvé personnellement les résonances humaines du métier, des responsabilités et de l'exigence du chef à l'héroïque camaraderie de l'équipe, ainsi que cette part d'absolu enclose dans l'immédiat des décisions et des actes. Tel apparaît, lors de la mort de Fabien, le constat de Rivière devant le bonheur détruit de l'épouse : « Si la vie humaine n'a pas de prix, nous agissons toujours comme si quelque chose dépassait, en valeur, la vie humaine... Mais quoi ? »
1931, c'est le mariage avec Consuelo Suncin, le succès du prix Femina pour Vol de nuit, mais aussi les déboires de l'Aéropostale, le départ de Daurat et le début d'ennuis financiers. De son entrée à Air France en 1934 jusqu'à la veille de la Seconde Guerre mondiale, Saint-Exupéry déploie une activité intense qui le mène d'un bout du monde à l'autre, d'inventions en expérimentations et d'exploits en accidents dont, en 1937, le cinquième depuis le début de sa carrière le force à une immobilité propice au travail littéraire.
Terre des hommes (1939) lui vaut le grand prix du roman de l'Académie française, sans doute parce que la « philosophie » et la poétique de l'aviation qui dominent cet essai sont imbriquées dans la texture même des événements. Qu'il s'agisse, en effet, du sauvetage de Guillaumet dans la cordillère des Andes, des cinq jours d'angoisse et d'errance à travers le désert après la chute survenue au cours du raid Paris-Saigon, d'un reportage sur le front de la guerre d'Espagne ou de menus faits comme le parcours en bus avec les travailleurs matinaux et la rencontre avec le jeune émigré polonais (Mozart assassiné), c'est toujours de la matière vivante, fondue au creuset de l'esprit et du cœur, qu'émergent les repères d'un humanisme. Et quand la Seconde Guerre mondiale met tout en question, Saint-Exupéry commence par s'engager en rejoignant, malgré ses handicaps physiques, un groupe de reconnaissance. Puis, lucidement, dans Pilote de guerre(1942), rédigé à New York, il affirme, par-delà l'absurdité du conflit et la détresse de la défaite, la nécessité du combat pour la défense du respect et des droits de l'homme. Lettre à un otage (1943) reprend ce thème.
En novembre 1942, un appel à l'union des Français lancé à la radio des États-Unis lui aliène nombre de compatriotes. Il brûle de reprendre le combat et, malgré son âge, obtient l'autorisation de missions. Son unité est basée à Alghero (Sardaigne), puis à Borgo (Corse). Le 31 juillet 1944, Saint-Exupéry décolle pour une mission de reconnaissance sur la vallée du Rhône. Il n'en reviendra pas. En 2000, des morceaux de son appareil sont retrouvés en Méditerranée, au large de Marseille ; ils seront authentifiés en 2003.
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Écrit par
- Hubert HARDT : professeur honoraire, critique de cinéma
- Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis
Classification
Média
Autres références
-
LE PETIT PRINCE, Antoine de Saint-Exupéry - Fiche de lecture
- Écrit par Michel P. SCHMITT
- 995 mots
Environ un an avant la disparition d'Antoine de Saint-Exupéry (1900-1944) au cours d'une mission aérienne, paraît aux États-Unis Le Petit Prince. Proche du conte (départ du héros, voyages éprouvants, découverte d'un secret), l'œuvre s'inscrit dans le prolongement de ...
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