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GIDE ANDRÉ (1869-1951)

André Gide - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

André Gide

Chaque écrivain possède son image d'Épinal, au travers de laquelle la société le glorifie pour mieux l'assimiler ; or l'œuvre de Gide, dont toute la vie fut préoccupée par le rôle et la responsabilité de l'écrivain, est une sorte de machine à déjouer et à déconstruire les images, à défaire les mythes. La formule qu'il place en épigraphe à ses Morceaux choisis (1921) le portraiture en un aphorisme bref : « Les extrêmes me touchent. » Il y a un désir gidien d'être insaisissable, quitte à décevoir ou à scandaliser. Ainsi écrit-il L'Immoraliste (1902), apparente apologie du désir comme volonté de puissance, mais pour lui faire succéder La Porte étroite (1909), qui semble au contraire magnifier une éthique du renoncement au désir même ; ou encore compose-t-il les provocantes Caves du Vatican (1914) à la grande joie des jeunes surréalistes, mais c'est apparemment pour mieux assurer leur déconvenue en publiant en 1919 La Symphonie pastorale, tout imprégnée de protestantisme.

Il ne s'agit pas seulement d'une « morale de l'ambiguïté ». Dans cette attitude, il y a une sorte de compulsion joyeuse à brouiller les cartes, mais également la certitude plus grave que le destin de l'artiste et celui de l'œuvre ne s'exaucent que dans le parcours total de tous leurs possibles. C'est peut-être par cette dernière dimension que Gide peut fasciner : d'autres écrivains ont pu paraître plus audacieux, aucun n'a mis tant d'obstination à explorer la subjectivité conçue comme l'espace du multiple, du dialogique, de l'ambivalence, et à faire de cette exploration un destin, une œuvre, ou, pour mieux le dire : une œuvre-vie.

De l'enfance à l'écriture

L'enfance de Gide, né à Paris, n'est pas le lieu d'un enracinement : la mort de son père lorsqu'il a onze ans, la vie austère avec sa mère, pieuse et riche protestante, les crises nerveuses qu'il connaît très tôt, cet onanisme précoce qui lui vaut à huit ans d'être renvoyé de l'école, une scolarité très erratique, le sentiment intense d'angoisse mêlé de jouissance que, à côté de la réalité, existe une « seconde réalité » (« La croyance indistincte, indéfinissable à je ne sais quoi d'autre, à côté du réel, du quotidien, de l'avoué »)... Tout Si le grain ne meurt (1926) sera composé de séquences où l'enfance apparaît comme un univers désorienté, tour à tour divisé, obscur et dédoublé. On a le sentiment d'assister à des scènes traumatiques dans lesquelles le héros, comme hébété et anxieux, suit obscurément un itinéraire chaotique et nébuleux : avec, à onze ans, un cri étouffé par les sanglots, qu'il répète devant sa mère, lors d'un Schaudern (« tremblement ») de tout l'être : « Je ne suis pas pareil aux autres. »

<em>Une lecture</em>, T. van Rysselberghe - crédits : Erich Lessing/ AKG-images

Une lecture, T. van Rysselberghe

Parmi toutes ces scènes, il en est une plus fondamentale ; c'est la découverte, à treize ans, de sa jeune cousine Madeleine Rondeaux, en pleurs et en prière du fait de l'inconduite de sa propre mère, Mathilde : « Je sentais que, dans ce petit être que déjà je chérissais, habitait une grande, une intolérable tristesse, un chagrin tel que je n'aurais pas trop de tout mon amour, toute ma vie pour l'en guérir. [...] Je découvrais soudain un nouvel orient à ma vie. » Ce « nouvel orient », dans ce mouvement enfantin d'amour et de compassion pour sa cousine, constitue l'une des premières dimensions de l'aventure littéraire de Gide. Certes, Les Cahiers d'André Walter, publiés en 1891, à vingt-deux ans, sont largement tributaires d'autres rencontres : celle de Pierre Louÿs à l'École alsacienne en 1887, qui lui fera connaître Mallarmé, Valéry et l'entraînera dans les salons littéraires du post-symbolisme. Gide, du petit garçon rechigné[...]

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Pour citer cet article

Éric MARTY. GIDE ANDRÉ (1869-1951) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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André Gide - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

André Gide

<em>Une lecture</em>, T. van Rysselberghe - crédits : Erich Lessing/ AKG-images

Une lecture, T. van Rysselberghe

Autres références

  • LES FAUX-MONNAYEURS, André Gide - Fiche de lecture

    • Écrit par Alain CLERVAL
    • 1 002 mots
    • 1 média

    André Gide (1869-1951), Prix Nobel de littérature en 1947, et en qui Malraux a vu « le contemporain capital », aura exercé une influence considérable tout au long de l'entre-deux-guerres, notamment sur la jeunesse. À partir des années 1920, Les Nourritures terrestres (1897) furent l'évangile...

  • LES NOURRITURES TERRESTRES, André Gide - Fiche de lecture

    • Écrit par Guy BELZANE
    • 1 291 mots

    En avril 1897, lorsque Les Nourritures terrestres paraissent au Mercure de France, à compte d’auteur et en tirage limité, André Gide (1869-1951) a déjà publié plusieurs ouvrages – Les Cahiers dAndré Walter (1891), LesPoésies dAndré Walter (1892), Le Voyage dUrien (1893) et ...

  • L'IMMORALISTE, André Gide - Fiche de lecture

    • Écrit par Guy BELZANE
    • 1 775 mots
    • 1 média

    Bien qu'âgé de quarante-trois ans, André Gide (1869-1951) est encore peu connu en dehors des milieux littéraires lorsqu’il publie son récit L’Immoraliste (1902). Les Nourritures terrestres(1897) sont passées relativement inaperçues et ne deviendront le bréviaire d’une génération qu'une...

  • AUTOFICTION

    • Écrit par Jacques LECARME
    • 2 426 mots
    • 2 médias
    ...la personne réelle de l'auteur avec la figure que le romancier entend représenter ou induire. » Or cette règle était déjà transgressée victorieusement par André Gide qui, dans ses fictions, au nom de la sincérité ou de l'authenticité, imposait l'idée d'une adéquation entre une figure corporelle de l'auteur...
  • DELAY JEAN (1907-1987)

    • Écrit par Jean MÉTELLUS
    • 1 038 mots

    De sa naissance à Bayonne le 14 novembre 1907 jusqu'à sa tétralogie généalogique Avant mémoire, en passant par l'Académie de médecine et l'Académie francaise, chaque moment de la vie de Jean Delay a fait l'objet d'enquêtes, de réflexions, et tout n'a suscité qu'admiration. Delay a-t-il pu...

  • ENGAGEMENT

    • Écrit par Jean LADRIÈRE, Jacques LECARME, Christiane MOATTI
    • 11 615 mots
    • 1 média
    ...s'assombrit. La plupart des écrivains choisissent l'engagement polémique et mettent ouvertement leur talent au service d'une cause. Des gestes comme celui de Gide et Malraux, portant en janvier 1934, à la demande du P.C.F., une pétition à Berlin pour réclamer la libération du Bulgare Dimitrov, secrétaire de...
  • RÉCIT DE VOYAGE

    • Écrit par Jean ROUDAUT
    • 7 128 mots
    • 1 média
    ...Gide au Congo, il reprend La Fontaine, Molière et, de Bossuet, le Traité de la concupiscence. Michel Leiris, dans L'Afrique fantôme, lit André Gide, mais c'est pour critiquer ses descriptions. Gide et Leiris se rejoignent pour admirer Au cœur des ténèbres de Conrad. Le récit de voyage...
  • Afficher les 19 références

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