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PROGRÈS

Schémas de croissance : les modèles leibniziens

G.W. Leibniz - crédits : Photos.com/ Jupiterimages

G.W. Leibniz

C'est précisément sur le mode problématique qu'entre 1694 et 1716 Leibniz a pensé le progrès. Substituant un idéal d'invention à l'exigence cartésienne de certitudes, il a échappé à la régression dubitative vers le fameux point ferme auquel on est toujours tenu de revenir. L'utilisation de la méthode de l'indétermination lui a permis de poser les questions essentielles (y a-t-il progrès, régression, stabilité ?) et le recours à la différenciation de reconnaître dans l'idée de progrès une notion sommatrice d'une infinité de mouvements partiels, d'avances, de reculs, d'équilibres. Sans imposer une vision de l'histoire, sa combinatoire explore formellement une totalité. Michel Serres l'a remarqué avec beaucoup de justesse dans son admirable travail sur Le Système de Leibniz et ses modèles mathématiques : de l'éternel retour des choses à l'indéfini progrès des Lumières, tout schème du monde et de l'histoire peut se réduire à une des solutions énoncées dans une lettre à Sophie du 3 septembre 1694 – la droite, le cercle, la spirale, l'ovale.

Mais, en raison du caractère crucial des idées qui leur étaient associées (bonheur et croissance, mal et régression, mémoire et accumulation...), les figures possibles des cas prévisibles ne pouvaient qu'être rejetées dans l'apparence par Leibniz, qui entendait établir une correspondance rigoureuse entre « l'évolution cyclique et l'évolution globale monodrome », le cycle de la vie humaine et la « monodromie universelle ».

Le problème se dénoue, en effet, en une loi d'évolution qui permet de penser la stabilité et la régression comme des projections obliques du progrès, loi d'évolution continue dont l'avance, le recul et l'arrêt ne sont que des spécifications singulières, loi saisie, selon Michel Serres, à partir d'un point qui n'est pour nous qu'un moment du chemin dans un progrès évolutif, qui est à son tour l'image de l'évolution mondiale. C'est dire que, si l'harmonie universelle correspond à un point, il n'y a pas de point fixe ; ce point est partout.

La question de l'origine et du terme de l'évolution perd, dès lors, de son intérêt, tandis que se pose celle d'une harmonisation du champ des possibilités. Une théorie de la croissance infinie y répond, fondée sur la notion de série : l'évolution, quelle que soit sa forme, peut être considérée comme une série qui comporte des variations et des inversions de signes. Puisque l'on peut tout rapporter à une méthode générale de transformations, l'essentiel est de mettre en évidence, par une variation des référentiels, ce qui demeure invariant. Leibniz finit ainsi par harmoniser globalement l'indétermination au travers des variations : le monde varie selon une loi, celle du meilleur. Ce qui reste invariant, c'est le meilleur. « Le meilleur des mondes se métamorphose au cours de la meilleure des histoires. »

On sait toutes les conséquences de cette intégration leibnizienne née d'une hésitation entre un idéal de progrès et un idéal de conservation ou de stabilité, intégration qui est aussi celle de l'histoire en tant que domaine épistémologique, rejeté par le cartésianisme : le passage d'une logique des idées claires et distinctes à une philosophie dynamique de la nature, la substitution d'un principe de continuité, d'infinité, d'harmonie à la logique analytique, logique de l'identité, et, finalement, le glissement du mécanisme vers l'organicisme.

Ainsi, dans L'Éducation du genre humain (Die Erziehung des Menschengeschlechts, 1780), Lessing, tout en affirmant le primat de l'universel et des vérités éternelles, a lui aussi déclaré que l'individuel[...]

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Écrit par

  • : professeur à l'université de Paris-V-Sorbonne, secrétaire général de L'Année sociologique

Classification

Pour citer cet article

Bernard VALADE. PROGRÈS [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

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G.W. Leibniz

John Stuart Mill - crédits : London Stereoscopic Company/ Hulton Archive/ Getty Images

John Stuart Mill

Autres références

  • ANCIENS ET MODERNES

    • Écrit par Milovan STANIC, François TRÉMOLIÈRES
    • 5 024 mots
    • 4 médias
    ...Pourtant, l'assimilation du modèle antique comme forme et comme règle, qui est l'un des fondements de la pensée renaissante, n'excluait pas une certaine idée du progrès, voire celle d'un dépassement possible des modèles, au point que même ceux qui ne doutaient pas de la prééminence des artistes antiques...
  • BACON chancelier FRANCIS (1560 ou 1561-1626)

    • Écrit par Michèle LE DŒUFF
    • 2 170 mots
    • 1 média

    Né à Londres dans une famille qui a déjà fourni à la Couronne anglaise quelques grands serviteurs mais qui n'appartient pas à la noblesse terrienne, Bacon fut élève de Trinity College (Cambridge) et étudia le droit à Gray's Inn (Londres). Il séjourna en France de 1576 à 1578 (ou 1579) auprès de l'ambassadeur...

  • CIVILISATION

    • Écrit par Jean CAZENEUVE
    • 7 138 mots
    • 1 média
    Lorsqu'on fait de la civilisation la marque d'un certain degré du progrès de l'humanité, il faut pouvoir dire à quoi l'on reconnaît qu'un peuple ou une société est rangé parmi les civilisés ou les non-civilisés. Cette démarche n'est pas seulement l'inverse de celle qui consiste à définir les sociétés...
  • COLONISATION, notion de

    • Écrit par Myriam COTTIAS
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    On ne saurait cependant associer le siècle des Lumières à l'établissement d'un anticolonialisme radical. Bien au contraire, au nom de la raison universelle, qui permet d'accéder en même temps à la vérité et au bonheur, les philosophes construisent un paradigme européocentrique du progrès...
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