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PROGRÈS

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Le théorème sociologique

Énoncés et démonstrations

En tant que loi objective inscrite dans les choses, nécessaire à la nature, étendue du domaine scientifique et technique au plan moral et social, enveloppant changements, transformations, devenir et impliquant un sens défini, une orientation, le progrès a reçu sa dimension proprement sociologique dans la France des Lumières, où il est demeuré associé à des aspirations plus ou moins confuses.

On ne trouve cependant ni dans l' Encyclopédie, où le mot lui-même ne fait l'objet que d'une brève définition, ni chez les auteurs du xviiie siècle – hormis Turgot et Condorcet – de théorie générale du progrès : quant aux registres sur lesquels il opère aussi bien qu'aux facteurs qui le déterminent, d'Alembert, d'Holbach, Helvétius... varient sensiblement. Ce qui fait écrire à R. Hubert que les philosophes ont été davantage « les agents que les théoriciens du progrès ».

Mais si Diderot, dans l'Avertissement du huitième volume de l'Encyclopédie, va jusqu'à déclarer : « Le monde a beau vieillir, il ne change pas ; il se peut que l'individu se perfectionne, mais la masse de l'espèce ne devient ni meilleure ni pire », et Rousseau, dans Émile, que « tous les esprits partent toujours du même point [...] il n'y a point de vrai progrès de raison dans l'espèce humaine », le siècle dans son ensemble pense que le progrès est cumulatif, que la raison se développe, que le bien, la vertu, le bonheur sont devant nous. L'éducation, de nouvelles lois rendront les hommes meilleurs. Enfin, le Moyen Âge est perçu par le xviiie siècle comme une coupure – ce qui met en question la linéarité et la continuité du progrès.

Turgot est le seul à n'avoir vu ni dans cette période des siècles d'ignorance ni dans le christianisme un adversaire des Lumières. Son Premier Discours (4 juill. 1750) porte « sur les avantages que l'établissement du christianisme a procurés au genre humain », le Second Discours (11 déc. 1750), « sur les progrès successifs de l'esprit humain ». Il est un des premiers à avoir, dans le plan de ses Discours sur l'histoire universelle, associé étroitement science, civilisation, progrès, moralité, bonheur, raison et justice. Mais il faudra attendre Guizot pour que s'amorce véritablement la médiation sur les rapports qu'entretiennent la civilisation et le progrès.

Dans l'Esquisse d'un tableau historique des progrès de l'esprit humain (1795), Condorcet a également établi un lien entre ignorance et vice, lumières et vertu. Pour l'ami de Turgot, la somme des vérités ne peut que s'accroître, le collectif et l'individuel s'associant dans la fonction qui détermine la courbe du progrès ; le progrès est progrès historique, et l'histoire est celle de la raison qui échappe à la dégénération. Mais l'intérêt de l'Esquisse est ailleurs. Il réside à la fois dans l'algébrisation analytique d'un problème psychologique, le passage du fait de hasard constaté à la loi des observations calculées et l'apparition d'une théorie combinatoire du progrès fondée sur le calcul des probabilités. Il a été méconnu par Comte qui a reproché à Condorcet (Cours de philosophie positive, IV) de n'avoir pas suivi jusqu'au bout « la notion scientifique vraiment primordiale de la progression sociale de l'humanité », et de troubler par le hasard des événements la marche lente et régulière de la nature.

C'est, en effet, chez Turgot et non dans l'Esquisse, où le progrès quantitatif prime la différenciation qualitative, que l'on trouve l'anticipation de la loi des trois états. L'Ébauche du second discours expose que l'explication des causes des phénomènes a été successivement référée à[...]

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Écrit par

  • : professeur à l'université de Paris-V-Sorbonne, secrétaire général de L'Année sociologique

Classification

Pour citer cet article

Bernard VALADE. PROGRÈS [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 14/03/2009

Médias

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G.W. Leibniz

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John Stuart Mill

Autres références

  • ANCIENS ET MODERNES

    • Écrit par et
    • 5 024 mots
    • 4 médias
    ...Pourtant, l'assimilation du modèle antique comme forme et comme règle, qui est l'un des fondements de la pensée renaissante, n'excluait pas une certaine idée du progrès, voire celle d'un dépassement possible des modèles, au point que même ceux qui ne doutaient pas de la prééminence des artistes antiques...
  • BACON chancelier FRANCIS (1560 ou 1561-1626)

    • Écrit par
    • 2 170 mots
    • 1 média

    Né à Londres dans une famille qui a déjà fourni à la Couronne anglaise quelques grands serviteurs mais qui n'appartient pas à la noblesse terrienne, Bacon fut élève de Trinity College (Cambridge) et étudia le droit à Gray's Inn (Londres). Il séjourna en France de 1576 à 1578 (ou 1579) auprès de l'ambassadeur...

  • CIVILISATION

    • Écrit par
    • 7 138 mots
    • 1 média
    Lorsqu'on fait de la civilisation la marque d'un certain degré du progrès de l'humanité, il faut pouvoir dire à quoi l'on reconnaît qu'un peuple ou une société est rangé parmi les civilisés ou les non-civilisés. Cette démarche n'est pas seulement l'inverse de celle qui consiste à définir les sociétés...
  • COLONISATION, notion de

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    • 1 618 mots
    On ne saurait cependant associer le siècle des Lumières à l'établissement d'un anticolonialisme radical. Bien au contraire, au nom de la raison universelle, qui permet d'accéder en même temps à la vérité et au bonheur, les philosophes construisent un paradigme européocentrique du progrès...
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