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RICŒUR PAUL (1913-2005)

Paul Ricœur - crédits : AGIP/ Bridgeman Images

Paul Ricœur

Paul Ricœur est né le 27 février 1913 à Valence (France). Orphelin de père et de mère il est initié à la philosophie au lycée de Rennes par Roland Dalbiez. Au cours des années 1930, il poursuit son apprentissage philosophique dans le compagnonnage de Gabriel Marcel et d'Emmanuel Mounier. Après son retour de captivité en Poméranie (1940-1945), et au terme de trois années de retraite dans la communauté cévenole du Chambon-sur-Lignon, il est professeur à l'université de Strasbourg (1948-1956), puis de Paris-Sorbonne. Il est nommé à l'université de Nanterre, où il enseigne la philosophie de 1965 à 1970, et où il est doyen de la faculté des lettres pendant les années particulièrement turbulentes de 1969-1970. De 1970 à 1985, il enseigne à l'université de Chicago.

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En 1995 la collection The Library of Living Philosophers a consacré un volume à la philosophie de Paul Ricœur qui atteste l'écho international que rencontre la pensée du philosophe français, en même temps qu'il permet de mesurer l'ampleur et l'originalité d'un itinéraire philosophique qui a commencé au début des années 1950 sous le signe de la philosophie de la volonté. Au terme de cinquante années de travail acharné, ce parcours débouche sur une philosophie de l'action, fortement articulée sur la philosophie morale et politique, y compris le problème de la justice comme vertu et comme institution. Le livre s'ouvre sur une autobiographie intellectuelle, publiée en français sous le titre Réflexion faite. Ce titre marque une dette jamais reniée à l'égard de la tradition de la philosophie réflexive française, tout en se plaçant sous la double égide de la phénoménologie et de l'herméneutique.

« Un cogito militant et blessé »

L'autobiographie montre l'importance de la triple rupture instauratrice qui commande toute la pensée de l'auteur. C'est à l'école de Roland Dalbiez que cet « esprit curieux et inquiet » avait appris à résister à la prétention à l'immédiateté, à l'adéquation et à l'apodicticité, porteuse de caractères d'universalité et de nécessité absolues, qui marquent le cogito cartésien et le « Je pense » kantien. Encore fallait-il transformer ce réflexe en position philosophique réfléchie, en montrant pourquoi l'immédiateté doit laisser la place à la médiation, en quel sens l'adéquation, qui a sa source dans le jugement, peut être dépassée sans remettre en cause l'idée de vérité, comment enfin l'apodicticité du savoir philosophique peut faire droit à l'expérience du soupçon et inclure le moment de l'attestation.

Ce triple déplacement implique une idée déterminée du cogito que Ricœur définit comme un « cogito militant et blessé ». La conjonction de ces épithètes, qui font rarement bon ménage, ne va pas sans un certain nombre de tensions, à commencer par la tension de la critique et de la conviction, dont un livre d'entretiens, publié à la suite de l'autobiographie, révèle les enjeux.

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Bien des aspects de la pensée de Ricœur se laissent comprendre à la lumière de la figure géométrique de l'ellipse à double foyer. Ses pôles furent successivement occupés par différents noms propres : Gabriel Marcel et Edmund Husserl, puis Karl Jaspers, « interlocuteur muet » mais d'autant plus efficace. Le regard rétrospectif sur l'œuvre y découvre une confrontation incessante qui n'élude aucune question critique, comme le montre encore le débat avec Jean-Pierre Changeux au sujet des neurosciences et de l'éthique (La nature et la règle, 1998). Cette ellipse implique un double renoncement : renoncer à construire un système philosophique, en particulier sous la forme hégélienne de la médiation parfaite ; renoncer à une philosophie qui se voudrait libre de toute présupposition. « Qui n'a pas d'abord de sources n'a pas ensuite d'autonomie » : toute l'œuvre ultérieure fait écho à cette conviction du jeune Ricœur dont sa philosophie herméneutique élabore la théorie.

En quel sens peut-on parler d'un « cogito militant », alors que dans sa forme extérieure, l'écriture philosophique de l'auteur ne relève pas du genre littéraire du pamphlet, de la diatribe ou de la « philosophie engagée », telle qu'on l'entend habituellement ? Évoquer le compagnonnage d'Emmanuel Mounier et du mouvement Esprit est certes important, mais insuffisant. Ricœur n'a jamais cessé de militer en faveur d'une idée de la philosophie qui refuse de se couper des débats scientifiques et qui s'intéresse passionnément aux problèmes de la cité et au fonctionnement des institutions politiques, universitaires et juridiques (Histoire et vérité, 1994).

Qu'est-ce qu'un « cogito blessé ? ». Pour découvrir le sens de cette formule, il faut revenir au vaste chantier d'une philosophie de la volonté, telle qu'elle se met en place en 1949 avec Le volontaire et l'involontaire. La description phénoménologique de la sphère du volontaire – allant du projet, du motif, et de la motion au consentement à l'involontaire absolu qui revêt le triple visage du caractère, de la vie et de l'inconscient – se combine avec la dialectique de la maîtrise et du consentement, apprise à l'école de Gabriel Marcel.

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Dans sa réflexion sur son itinéraire, Ricœur découvre l'amorce d'une éthique implicite et inexplorée qui ne prendra forme que bien plus tard. La philosophie de la volonté dut d'abord se donner un soubassement ontologique et anthropologique avec les notions de disproportion et de faillibilité. C'est pourquoi elle problématisait les trois thèmes de la fragilité (anthropologie), de la vulnérabilité (mal moral) et de la disproportion (ontologie) qui correspondent à trois zones constitutives de faillibilité. Ces zones sont autant d'indices de médiation imparfaite entre finitude et infinitude : l'imagination au carrefour du perspectivisme de la perception et de la visée infinie du verbe ; le respect à l'intersection de la finitude du caractère et de la visée infinie du bonheur ; enfin, l'affectivité, qui scinde le cœur humain en une intimité presque ineffable du vécu et une amplitude ontologique des affects qui nous font entrer en résonance avec l'univers entier.

La promesse de développer, à la suite de Jaspers, une philosophie de la transcendance qui soit en même temps une poétique de la volonté engagée n'a pas été tenue. Progressivement, la pensée de Ricœur s'est transformée en une « philosophie sans absolu ». Dans les derniers écrits, elle se présente comme une sorte d'« agnosticisme » qui confie à l'écoute d'une autre parole que celle du concept philosophique le discours sur l'absolu, la transcendance ou le Divin. L'effacement de plus en plus accentué d'une notion de transcendance qui aurait pu donner naissance à une philosophie de la religion est compensé (peut-être même « surcompensé ») par la place accordée à la fonction poétique, cernée à travers la double analyse de l'innovation sémantique, qui caractérise la métaphore vive, puis, au plan du récit, de la mise en intrigue narrative. Tout se passe comme si la nature fondamentalement aporétique de la philosophie avait besoin de s'ouvrir de plus en plus aux ressources d'une poétique.

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Écrit par

  • : docteur en philosophie, professeur émérite de la faculté de philosophie de l'Institut catholique de Paris, titulaire de la chaire "Romano Guardini" à l'université Humboldt de Berlin (2009-2012)

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Média

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