MANUSCRITS La critique génétique
Depuis les années 1970, les études littéraires se sont enrichies d'une nouvelle approche, la « critique génétique », qui se propose de renouveler la connaissance des textes à la lumière de leurs manuscrits, en déplaçant l'interrogation critique de l'auteur vers l'écrivain, de l'écrit vers l'écriture, de la structure vers les processus, de l'œuvre vers sa genèse. Le principe de la critique génétique repose sur un constat de fait : le texte définitif d'une œuvre littéraire est, à de très rares exceptions près, le résultat d'un travail, c'est-à-dire d'une élaboration progressive au cours de laquelle l'auteur s'est consacré, par exemple, à la recherche de documents ou d'informations, à la conception, à la préparation puis à la rédaction de son texte, à diverses campagnes de corrections et de révision, etc. La critique génétique s'est donné pour objet cette dimension temporelle du devenir-texte, en posant pour hypothèse que l'œuvre, dans sa perfection finale, reste l'effet de ses métamorphoses et contient la mémoire de sa propre genèse. Mais pour pouvoir devenir l'objet d'une étude, cette genèse de l'œuvre doit avoir laissé des « traces ». Ce sont ces indices matériels que la génétique textuelle se propose de retrouver et de comprendre : « les manuscrits de l'œuvre », essentiellement variables en quantités et en types selon les époques, les auteurs et les œuvres considérés, mais qui racontent une histoire spécifique et souvent surprenante : par exemple, l'histoire de ce qui s'est passé entre le moment où l'auteur a entrevu la première idée de son projet et le moment où le texte, une fois écrit, est paru sous la forme d'un livre imprimé. En supposant que ces documents de genèse contiennent d'importantes informations sur la fabrication de l'œuvre, la génétique textuelle (qui analyse les manuscrits, les classe et les déchiffre) et la critique génétique (qui interprète les résultats de ce déchiffrement) cherchent à reconstituer la formation du « texte à l'état naissant » avec l'objectif d'élucider son processus de conception et de rédaction.
Naissance d'une problématique
Le manuscrit moderne
Les « manuscrits de travail » qui intéressent la critique génétique peuvent être pensés comme documents de genèse dans la mesure où coexiste une autre forme de réalisation de l'œuvre : celle du livre imprimé qui, en aval de l'écriture, fixe un texte définitif authentifié par l'auteur. Jusqu'à l'invention de l'imprimerie qui, au xve siècle, fait passer la culture occidentale dans les Temps modernes, le manuscrit joue le rôle de support quasi exclusif pour l'enregistrement, la communication et la diffusion des textes, notamment littéraires. Avant cette entrée dans « la galaxie Gutenberg », chaque œuvre n'était connue que par des copies manuscrites toujours uniques qui donnaient du « texte » des versions particulières, présentant des différences plus ou moins importantes d'une copie à l'autre (variantes), sans qu'il soit possible d'identifier ou de reconstituer un état originaire de l'œuvre – cet « Urtexte » plus ou moins mythique – qui reste définitivement perdu. Ces versions aux multiples variantes constituent l'œuvre médiévale comme un écrit pluriel, sans origine précisément assignable (souvent dépositaire de la culture antique), et animé d'un perpétuel inachèvement (Bernard Cerquiglini). Une situation qui ne se transforme pas instantanément lorsque l'imprimé fait son apparition au xve siècle. Il faudra attendre plus de deux siècles, selon Roger Chartier, pour que les progrès techniques de l'imprimerie imposent définitivement le livre imprimé comme médium essentiel[...]
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Écrit par
- Pierre-Marc de BIASI : ancien élève de l'École normale supérieure de Saint-Cloud, agrégé de l'Université, docteur en sémiologie, chargé de recherche au CNRS, directeur adjoint de l'Institut des textes et manuscrits modernes
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