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Les manuscrits enluminés
Donner à des textes didactiques et narratifs un appui et un commentaire visuels grâce à l'insertion d'images est une pratique attestée dès la fin de l'Antiquité ; mais le développement en est lié à la transformation qui s'est opérée, à partir du ier siècle de notre ère, dans la forme même du livre. La généralisation, à partir du ive siècle, du codex a en effet offert à l'image une surface autonome, la page, ou folio, ainsi qu'un support capable de recevoir une ou plusieurs couches de peinture et, le cas échéant, de l'or en feuille. L'illustration du livre – son enluminure –, conçue en fonction du nouvel espace de la page, est ainsi une invention spécifiquement médiévale.
Formes de l'illustration
Cette illustration présente trois formes essentielles. La plus ancienne, attestée dès la fin du vie siècle, consiste à souligner le début du texte et ses principales articulations par des lettres ornées, agrandies et décorées de motifs abstraits, géométriques, d'entrelacs ou de motifs végétaux, floraux, zoomorphes, etc. Vers le milieu du viiie siècle apparaissent des lettres historiées qui représentent un objet, un personnage, une scène dont le rapport au texte est plus particulièrement signifiant. Avec la lettre historiée s'affirme le caractère narratif de l'image et s'établit, de manière synthétique et condensée, un système de relation entre le texte et son illustration. Lettres ornées et historiées témoignent ainsi des différentes fonctions attribuées dès l'origine à l'illustration du livre manuscrit : sa dimension esthétique et ornementale ; son aspect fonctionnel, qui est d'assurer un repérage de l'écrit, d'en faciliter la lecture littérale ; le rôle enfin de relais, de commentaire visuel, d'interprétation qu'elle peut jouer dans son face-à-face avec le texte.
Première page de la séquence de Pâques Laudes Salvatori de Notker Balbulus (ou le Bègue) figurant dans le recueil manuscrit Liber hymnorum (vers 880). Des neumes figurent en regard du texte, en bas à droite. Manuscrit conservé au monastère d'Einsiedeln (Suisse).
Crédits : AKG-images
La Création d'Adam, Bible d'Étienne Harding
La Création d'Adam. Lettrine enluminée, Bible d'Étienne Harding.
Crédits : M. Seemuller/ De Agostini/ Getty Images
La décoration marginale, qui occupe un ou plusieurs des bords du folio, de l'espace laissé vide autour de la justification, a essentiellement une fonction ornementale. Elle est souvent constituée, à partir du xiiie siècle, de motifs végétaux et floraux entrelacés (de petites feuilles de vigne ou vignettes ou, à partir de 1400, sous l'influence italienne, de feuilles d'acanthe). Mais elle peut aussi intégrer des éléments d'information comme les armes, devises, emblèmes du possesseur du manuscrit. Au xve siècle, elle devient l'espace privilégié des effets de mise en perspective et de trompe-l'œil. À partir du xiiie siècle apparaissent fréquemment dans les marges des figures et des scènes drolatiques, grotesques voire obscènes, qui constituent autant de contrepoints, d'interprétation souvent délicate, au texte sacré ou profane qu'elles accompagnent.
Les enluminures proprement dites, souvent précédées ou suivies de rubriques, qui commentent aussi bien le contenu de l'image que celui du texte dans lequel elle est insérée, sont très généralement situées, dans la période gothique (xiiie-xve s.), à l'intérieur de la justification et dans la proximité du passage qu'elles illustrent. Dans les manuscrits d'origine italienne, en revanche, elles sont souvent disposées dans la marge inférieure du folio. Elles peuvent occuper la largeur d'une ou de plusieurs colonnes du manuscrit, voire du folio entier. Un rôle particulièrement important est dévolu, au seuil du texte, à la lettre initiale et/ou à l'enluminure initiale, chargées d'en illustrer synthétiquement le contenu et d'en orienter la lecture. Ces enluminures initiales représentent très souvent, dans les copies des Évangiles, l'évangéliste au travail recevant son inspiration soit du Saint-Esprit, soit du symbole qui lui est attaché. Un autre scénario particulièrement fréquent dans l'illustration religieuse puis profane est la remise par son auteur du livre achevé à son destinataire. Mais l'image initiale peut aussi proposer en une scène unique, ou plus souvent subdivisée en deux ou plusieurs scènes par le biais d'une construction en carrés ou en médaillons superposés, une vision synoptique de l'ensemble ou des constituants essentiels du récit à venir. Le déroulement des images dans l'espace pictural vient alors recouper et préfigurer le déroulement du récit dans le temps de la lecture. La disposition en médaillons superposés, fréquente au xiiie siècle, s'apparente étroitement à la disposition des scènes dans les vitraux. Dans l'un et l'autre cas est également soulignée la f [...]
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Crédits : Erich Lessing/ AKG-images
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Écrit par :
- Emmanuèle BAUMGARTNER : professeur de littérature française à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle
- Geneviève HASENOHR : archiviste-paléolographe, docteur ès- lettres, directeur de recherche au C.N.R.S.
- Jean VEZIN : directeur d'études à l'École pratique des hautes études (IVe section, sciences historiques et philologiques)
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Pour citer l’article
Emmanuèle BAUMGARTNER, Geneviève HASENOHR, Jean VEZIN, « MANUSCRITS - Histoire », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 25 janvier 2023. URL : https://www.universalis.fr/encyclopedie/manuscrits-histoire/