LITTÉRATURE La littérature comparée

La comparaison comme raison de la littérature comparée

Préfaçant le « Que sais-je ? » de Marius-François Guyard, Jean-Marie Carré lançait en 1951 une formule qui a fait couler beaucoup d'encre : « La littérature comparée n'est pas la comparaison littéraire. » Prenons-la d'abord pour ce qu'elle est : une mise en garde qui s'adresse au novice, à celui qui pourrait croire que comparer Racine et Corneille, Voltaire et Rousseau, Balzac et Zola, c'est faire de la littérature comparée. Mais certains ont pris la formule au pied de la lettre. Ils y ont vu l'expression la plus intransigeante d'un prétendu comparatisme français qui se serait interdit tout recours à l'analogie pour ne rechercher que des influences. Harry Levin allait croiser le fer en 1968 avec ces imaginaires contempteurs de la comparaison, en affirmant qu'il fallait rendre à la comparaison sa place, selon lui centrale.

L'école française, ou ce qu'il est convenu de nommer ainsi, n'a pas jeté un tel anathème sur la comparaison. Paul Van Tieghem a mis en valeur la notion de « coïncidences ». Comparaison n'est pas raison est un joli titre pour un livre où Etiemble s'en prend, non à la comparaison, mais aux excès de l'école historique. « La comparaison, écrit-il, n'est qu'un des moyens de ce que nous appelons, d'un nom qui dit très mal ce qu'il veut dire, littérature comparée. » Mais elle reste l'un de ses moyens. C. Pichois et A. M. Rousseau vont plus loin, puisqu'ils considèrent la comparaison comme une « orientation essentielle ».

Un procédé heuristique

À première vue, la comparaison semble, pour les études littéraires, un objet plus qu'une méthode. Mais à partir de cet objet même, il est possible d'en préciser l'utilité, de découvrir grâce à elle certains rouages et certains secrets de la littérature.

Ainsi, dans la poésie pétrarquiste et néo-pétrarquiste, elle est devenue un véritable principe d'organisation. Il ne s'agit pas seulement pour Pétrarque d'établir une équivalence entre le cerf blessé par une flèche et lui-même percé au flanc gauche d'un trait d'amour, ou pour Ronsard d'exprimer par la fragilité de la rose la mortalité de Marie. Mais le parallèle justifie la symétrie des deux tercets dans le sonnet de Pétrarque ou le passage des quatrains aux tercets dans celui de Ronsard.

Ce qui était comparaison pure chez les poètes de la Renaissance devient métaphore chez Proust. La métaphore des « jeunes filles en fleurs » trouve sa justification dans une comparaison première, – et aussi, mais au second degré, dans une comparaison implicite avec les Filles-Fleurs qui, dans le drame de Wagner, tentent d'arrêter Parsifal. Cette dernière comparaison est diffuse tout au long du roman.

Proust et Wagner, ou encore Proust et Dostoïevski (le couple est étudié par Karen Haddad-Wotling, et figure déjà parmi les « Problèmes de technique chez Proust et Dostoïevski », dans le premier grand livre de René Girard, Mensonge romantique et vérité romanesque, 1961) : on va ici du modèle à l'écrivain. Mais la comparaison peut se construire au-delà de ce binôme : elle concernera alors Proust et Joyce (Yves-Michel Ergal « Je » devient écrivain, 1996), ou Proust et Faulkner (la thèse de Hugues Azerad).

Les degrés de la comparaison

L'utilisation de la comparaison est si diverse, et son utilité si multiple qu'il serait long et fastidieux de procéder à une énumération. Mieux vaut se contenter d'esquisser une possible gradation.

Ce sera tout d'abord, dans un travail de littérature comparée au sens étroit du terme, la confrontation d'un texte et de son modèle littéraire. L'étude de la traduction passe nécessairement par la comparaison. Celle de l'imitation aussi : Simon Jeune[...]

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Écrit par

  • Pierre BRUNEL : professeur émérite de littérature comparée à l'université de Paris-Sorbonne, membre de l'Académie des sciences morales et politiques

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Pour citer cet article

Pierre BRUNEL, « LITTÉRATURE - La littérature comparée », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le . URL :

Médias

<it>Ophélie</it>, J. E. Millais

Ophélie, J. E. Millais

Ophélie, J. E. Millais

John Everett Millais, «Ophélie», 1852. Huile sur toile, 76 cm × 111 cm. Tate Gallery, Londres.

<it>La Marque Jaune</it>, E. P. Jacobs

La Marque Jaune, E. P. Jacobs

La Marque Jaune, E. P. Jacobs

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