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INDIVIDU

Biologie et collectivité : l'analogie

La métaphore biologique

La critique n'est pas à faire de la démarche hégélienne, si du moins par critique on entend réfutation systématique et scientifique ; mais on peut décrire les procédés de construction philosophique qui permettent à Hegel de faire de l'individuation le ressort d'une similitude entre une totalité organique et une totalité sociale. Cela ne lui est nullement spécifique. Il faudrait pouvoir citer intégralement l'analyse que Georges Canguilhem fait de l'utilisation des modèles sociaux en biologie : c'est la physiologie générale, et plus particulièrement l'usage qu'en fait Claude Bernard, qui règle les relations du tout et de la partie et rend possible l'expérimentation selon la théorie cellulaire. De ce point de vue, Hegel apparaît comme l'un de ces « premiers philosophes qui ont rêvé la théorie cellulaire », au moins en ce qui concerne les analogies réelles entre la façon dont il pense la matière et l'organisme et la façon dont il engendre la société. Canguilhem montre très clairement que la cellule transforme la partie de l'organisme, d'instrumentale qu'elle était dans les modèles technologiques aristotélicien ou cartésien, en individu. Du même coup, elle se trouve liée aux autres cellules par une relation d'intégration : « La physiologie générale, en ramenant à l'échelle de la cellule l'étude de toutes les fonctions, rend compte du fait que la structure de l'organisme total est subordonnée aux fonctions de la partie. Fait de cellules, l'organisme est fait pour les cellules, pour des parties qui sont elles-mêmes des touts de moindre complication. L'utilisation d'un modèle économique et politique a fourni aux biologistes du xixe siècle le moyen de comprendre ce que l'utilisation d'un modèle technologique n'avait pas permis auparavant. La relation des parties au tout est une relation d'intégration – et ce dernier concept a fait fortune en physiologie nerveuse – dont la fin est la partie, car la partie ce n'est plus désormais une pièce ou un instrument, c'est un individu. » On peut faire deux remarques encore à ce sujet. Tout d'abord, il faut constater la réversibilité des modèles et admettre que les modèles organiques retrouvent leur origine sociale par le détour de la métaphore de la naturalité ; ainsi le Parti communiste français a-t-il repris le terme de « cellule » pour qualifier l'élément de base de son organisation. L'utilisation est ici la même que dans la physiologie ; elle tend à lier les individus à l'élément central de façon organique, pour assurer une parfaite coordination des membres de ce tout : les cellules devaient d'abord s'appeler alvéoles, ce qui confirme le caractère « naturel » de l'analogie et de la métaphore. Une seconde remarque introduit à Leibniz : la cellule s'appelait antérieurement monade, note Canguilhem, qui ajoute : « L'influence indirecte mais réelle de la philosophie leibnizienne sur les premiers philosophes et biologistes romantiques qui ont rêvé la théorie cellulaire nous autorise à dire de la cellule ce que Leibniz dit de la monade, elle est pars totalis. Elle n'est pas un instrument, un outil, elle est un individu, un sujet de fonctions. »

C'est presque dans les mêmes termes que Leibniz lui-même définit la substance individuelle, ou plutôt la façon de construire cette notion : « La nature d'une substance individuelle ou d'un être complet est d'avoir une notion si accomplie qu'elle soit suffisante à comprendre et à en faire déduire tous les prédicats du sujet à qui cette notion est attribuée. » Il faut remarquer que l'individu n'est pas ici séparable de sa complétude : celle-ci relève de la totalité indéfinie de tous les possibles[...]

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Écrit par

  • : ancienne élève de l'École normale supérieure, agrégée de l'Université

Classification

Pour citer cet article

Catherine CLÉMENT. INDIVIDU [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

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