THÉORIE CELLULAIRE
Constituant l’un des fondements de la biologie, la théorie cellulaire est admise de manière quasi universelle par les scientifiques. Selon sa formulation la plus courante, elle stipule que tous les êtres vivants sont composés d’unités structurales et fonctionnelles, les cellules, et que chacune d’elles s’est formée à partir d’une cellule préexistante.
On peut faire remonter l’histoire de cette théorie au xviie siècle, lorsque, peu après l’invention du microscope, on observa pour la première fois la structure des tissus végétaux et qu’on utilisa pour la décrire le mot de « cellules ». Mais l’idée d’une unité structurale et physiologique commune à l’ensemble des organismes n’émergea que plus tard et très progressivement, au cours du xviiie siècle et au début du xixe, et elle n’accéda au rang d’une véritable théorie unificatrice de la biologie que dans les années 1830, grâce aux travaux des Allemands Matthias J. Schleiden (1804-1881) et Theodor Schwann (1810-1882). Il fallut encore quelques décennies pour qu’elle parvienne à sa forme définitive en intégrant l’idée qu’une cellule ne pouvait provenir que d’une autre cellule.
La cellule : une notion centrale et universelle de la biologie
La théorie cellulaire fait partie du petit nombre de grandes notions unificatrices qui sous-tendent la biologie actuelle. Sa formulation exacte varie selon les auteurs, mais elle est toujours fondée sur deux idées principales : la cellule est l’unité structurale et fonctionnelle de tout organisme vivant, tout être vivant est donc composé d’une ou de plusieurs cellules ; toute cellule provient d’une autre cellule.
Quelques nuances importantes y sont généralement apportées. En ce qui concerne le premier point, c’est-à-dire l’universalité de la théorie, il se heurte au cas des virus (et dans une moindre mesure des viroïdes et des prions), dont la structure n’est pas cellulaire mais qui présentent avec les organismes vivants suffisamment de points communs, notamment la reproduction, pour que certains biologistes les considèrent comme appartenant au monde vivant. De plus, l’existence chez certains organismes de structures syncytiales (tissus formés de cellules fusionnées, comme dans les muscles squelettiques et cardiaques) peut également être conçue comme une exception à l’universalité de la cellule au sens strict. Quant au second point de la théorie, il est évident qu’il ne peut s’appliquer aux tout premiers temps de la vie sur Terre : quelles que soient les conceptions adoptées sur l’origine de la vie, il est nécessaire d’admettre qu’à un stade très précoce les premières cellules ont été formées à partir de constituants plus simples.
Hormis ces réserves, la théorie cellulaire demeure la théorie la plus universellement admise en biologie. Si on la compare à d’autres conceptions de portée équivalente, on constate, par exemple, que la théorie fondamentale de la biologie moléculaire – ce qu’on appelait autrefois le « dogme central », à savoir le modèle général d’expression de l’information génétique, de l’ADN aux protéines – pose de nombreux problèmes et ne rend pas compte de certains phénomènes (modifications post-traductionnelles des protéines, épigénétique…). Quant à la théorie de l’évolution par sélection naturelle, elle demeure un sujet délicat : d’une part, la réalité même de l’évolution reste encore contestée par certains courants de pensée (notamment les créationnistes partisans d’une lecture littérale des textes religieux) ; d’autre part, tous les biologistes ne s’accordent pas sur l’importance exacte de la sélection naturelle, et certains mettent l’accent sur d’autres mécanismes évolutifs (neutralisme, contraintes développementales…).
D’un point de vue historique, la théorie cellulaire est l’une des plus anciennes de la biologie, et même de la science actuelle si on la compare, par exemple, à la tectonique des plaques en géologie ou à la relativité et à la théorie quantique en physique, apparues au xxe siècle. On situe généralement sa naissance à la fin des années 1830, lorsque Schleiden et Schwann affirmèrent, respectivement, que les plantes et les animaux étaient tous composés de cellules. De fait, ces travaux représentèrent une étape capitale ; mais l’histoire de la théorie cellulaire est plus complexe : d’une part, elle possède des racines plus lointaines ; d’autre part la version proposée par ces deux savants ne correspond pas exactement à la théorie désormais admise.
Premières observations et réflexions sur les constituants du vivant jusqu’en 1800
On fait parfois remonter les prémices de la théorie cellulaire à la fin du xviie siècle. C’est en effet à cette époque que plusieurs observations importantes furent réalisées à l’aide du microscope. Ce dernier avait été inventé vers 1610 (à peu près en même temps que le télescope), mais ne fut véritablement exploité que quelques décennies plus tard. Ainsi, en 1665, le savant anglais Robert Hooke (1635-1703) publia dans son ouvrage Micrographia les premières planches représentant des cellules végétales observées sous microscope à partir de coupes fines. Dans les années 1670 et 1680, plusieurs autres auteurs réalisèrent des observations similaires, notamment l’Anglais Nehemiah Grew (1641-1712) et l’Italien Marcello Malpighi (1628-1694), qui décrivirent très bien la structure des tissus végétaux formés de « logettes » agglomérées. Tous ces auteurs n’employaient pas le même terme pour les désigner. Malpighi, par exemple, parlait d’« utricules » ou de « saccules ». Mais Hooke introduisit un terme riche d’avenir, celui de « cellule », signifiant littéralement « petite chambre », et qui était jusqu’alors surtout utilisé pour désigner la pièce de vie et de prières d’un moine au sein d’un monastère.
Il convient de souligner qu’aucun de ces savants n’est à l’origine d’une véritable « théorie cellulaire », d’abord parce que, au sens strict, ce ne sont pas de vraies cellules qu’ils décrivirent : ils observèrent en réalité des parois de cellules végétales, dans des tissus où les cellules elles-mêmes (au sens moderne, avec leur membrane, leur cytoplasme et leur noyau) étaient mortes et avaient disparu. En outre, ils ne virent dans ces loges apparemment vides qu’une simple structure : ils ne songeaient absolument pas à en faire des unités fonctionnelles et n’y voyaient aucunement un élément constitutif universel des plantes et des animaux. Aucun lien, en particulier, ne fut établi avec les observations réalisées à la même époque par le Néerlandais Antoni van Leeuwenhoek (1632-1723), qui put voir, avec ses propres microscopes (les plus performants de l’époque), des spermatozoïdes et divers micro-organismes unicellulaires, y compris des bactéries. Leeuwenhoek considérait toutes ces structures comme des animaux et des plantes en miniature, et n’imaginait absolument pas qu’elles puissent être équivalentes à des unités structurales d’organismes de plus grande taille.
Parallèlement, vers la même époque et de manière totalement indépendante, apparut une interrogation sur l’existence de composants élémentaires du vivant, et plusieurs conceptions virent le jour à ce sujet à partir de la seconde moitié du xviie siècle. Toutes ces idées étaient très différentes de la théorie cellulaire, et en aucun cas on ne peut voir en elles des « précurseurs ». Mais elles recélaient chacune des notions très générales, qui favorisèrent sans doute par la suite l’émergence d’une véritable théorie cellulaire.
L’une de ces théories, qui allait avoir beaucoup de succès jusqu’au xixe siècle, était celle des fibres : elle fut formulée par plusieurs auteurs, notamment le médecin anglais Francis Glisson (1597-1677), l’Italien Giorgio Baglivi (1668-1707), le Néerlandais Herman Boerhaave (1668-1738) et surtout le Suisse Albrecht von Haller (1708-1777), qui lui donna sa forme la plus aboutie. Il s’agissait d’une approche avant tout physiologique puisqu’elle supposait que les organismes animaux étaient composés de trois grands types d’éléments, dotés chacun d’une fonction précise : des fibres musculaires, irritables (c’est-à-dire capables de se contracter en réponse à un stimulus) ; des fibres nerveuses, pourvues de sensibilité ; et un « tissu cellulaire » n’ayant qu’un rôle de soutien. Cette théorie des fibres ne reconnaissait donc pas de constituant universel équivalent à la cellule au sens actuel, puisqu’elle se limitait aux nerfs et aux muscles, mais avait pour caractéristique de mettre l’accent sur le rapport structure-fonction.
Selon une autre théorie, proposée en 1749 par le naturaliste français Georges Louis Leclerc de Buffon (1707-1788), tous les êtres vivants, animaux et plantes, étaient composés du même type de particules, les « molécules organiques » (le mot « molécule » n’ayant ici aucun rapport avec son sens chimique actuel). Celles-ci parcouraient selon lui un cycle infini : intégrées aux êtres vivants par le moyen de la nutrition, elles s’en dissociaient à la mort de ces organismes. Contrairement à la théorie des fibres, celle-ci était universelle. Mais les molécules organiques telles que Buffon les concevait étaient beaucoup plus simples que des cellules au sens actuel et n’avaient aucune autonomie physiologique.
L’Allemand Caspar Friedrich Wolff (1734-1794), qui s’intéressait surtout à l’embryologie, imagina quant à lui en 1759 une théorie dans laquelle les tissus animaux et végétaux étaient formés de « globules » remplis de liquide, qui bourgeonnaient, en quelque sorte, durant la croissance de l’organisme. Là encore, ces structures étaient beaucoup plus simples que des cellules, mais la théorie de Wolff mettait l’accent sur un aspect qui allait devenir important par la suite dans la théorie cellulaire, celui de la genèse et du mode de formation des entités élémentaires.
De nombreuses autres conceptions virent ainsi le jour à la fin du xviiie siècle et au début du xixe siècle. La plupart d’entre elles évoquaient l’un ou l’autre aspect de la future théorie cellulaire. Mais certaines, à l’inverse, allaient dans une direction totalement différente. Par exemple, le médecin français Marie François Xavier Bichat (1771-1802) promut plutôt la notion de tissu, considérant que c’était surtout cette échelle d’organisation qu’il était pertinent d’étudier d’un point de vue physiologique. Ses idées, qui eurent beaucoup de succès en France, contribuèrent par la suite à freiner l’acceptation de la théorie cellulaire dans ce pays.
L’émergence de la théorie cellulaire et ses premières formulations (1800-1839)
Ce foisonnement théorique au sujet des constituants du vivant ne fit que s’intensifier lors des premières décennies du xixe siècle. Pour ne citer qu’un exemple, le biologiste allemand Lorenz Oken (1779-1851) imagina en 1805 la théorie des infusoires. Selon lui, les êtres vivants étaient composés d’organismes élémentaires répandus dans le monde, s’associant lors du développement embryonnaire et se dispersant de nouveau dans la nature après la mort. En un sens, sa théorie ressemblait à celle des molécules organiques de Buffon, mais avec une différence importante, puisque les entités élémentaires, les « infusoires », étaient dotées d’une organisation relativement complexe et d’une vie propre. Il pensait d’ailleurs que les micro-organismes observés dans les bouillons de culture étaient des infusoires isolés. Cependant, sa conception se distinguait aussi de la théorie cellulaire par le fait que ces infusoires, une fois agglomérés, perdaient toute individualité pour se fondre totalement dans l’organisme.
Ce type de considérations était généralement très spéculatif et pas toujours fondé sur des faits. Cependant, l’amélioration de la qualité des microscopes et l’introduction de nouvelles techniques d’observation eurent d’importantes conséquences à partir de 1820. Ainsi, en 1824, le médecin français Henri Dutrochet (1776-1847), parvint à désagréger des tissus animaux et végétaux à l’aide d’une solution acide et obtint dans tous les cas des vésicules qu’il estima être les unités physiologiques universelles du vivant.
Pour ses travaux, Dutrochet est parfois considéré comme le premier auteur d’une théorie cellulaire. Cependant, le plus souvent, il est admis que la théorie moderne a nécessité un élément supplémentaire dont il n’avait pas connaissance, à savoir le rôle du noyau. Celui-ci avait été observé depuis très longtemps, sans doute même par Leeuwenhoek, mais aucun auteur n’avait mis en évidence sa présence dans toutes les cellules, et personne n’avait soupçonné qu’il pût s’agir d’un constituant important. C’est le botaniste écossais Robert Brown (1773-1858) qui établit ces deux points, du moins en ce qui concerne les cellules végétales, en 1833. Toute une série de nouvelles observations et de réflexions s’exprimèrent alors, surtout de la part de savants allemands.
Le botaniste Schleiden, partant du constat de cette présence constante d’un noyau (qu’il appelait « cytoblaste ») à l’intérieur des jeunes cellules végétales, attribua à cette structure un rôle organisateur, comme lorsqu’un germe cristallin apparaît dans une solution (nucléation) et qu’à partir de ce germe le cristal croît ensuite peu à peu, conformément à une structure géométrique précise. Selon Schleiden, toute nouvelle cellule se formait ainsi par une sorte de nucléation de ce type dans un liquide, suivie d’une croissance. Parallèlement, il reconnaissait aux cellules une certaine autonomie physiologique : « Toute cellule, écrivait-il, a une double vie ; l’une est tout à fait indépendante et isolée, l’autre est une vie dépendante dans la mesure où la cellule est devenue une partie intégrante de la plante. » Sa théorie ressemblait donc par certains aspects à la théorie cellulaire actuelle (idée de constituants élémentaires à la fois structuraux et fonctionnels, prise en compte de la question de l’origine des cellules) ; mais elle s’en distinguait fortement par le mécanisme de formation imaginé. En outre, Schleiden ne considérait que les organismes végétaux.
C’est le physiologiste Schwann qui, à la suite d’une rencontre avec Schleiden, en 1837, fit le rapprochement avec ses propres observations sur des tissus animaux, en particulier sur le noyau des cellules de la chorde dorsale des vertébrés (une structure embryologique transitoire qui occupe l’emplacement de la future colonne vertébrale). Il jugea dès lors que ces cellules et ces noyaux devaient avoir le même rôle que leurs équivalents végétaux, et il étendit donc à l’ensemble du monde vivant la théorie de Schleiden, qu’il ne modifia quasiment pas par ailleurs, de sorte que leurs noms sont généralement associés. Les travaux de Schleiden et Schwann furent publiés, respectivement, en 1838 et 1839 et sont généralement considérés comme l’acte de naissance de la théorie cellulaire moderne.
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Écrit par
- Stéphane SCHMITT : directeur de recherche au CNRS
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