ENFANCE (Les connaissances)La petite enfance
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« La psychanalyse des individus, écrivait S. Freud dans Moïse et le monothéisme (1938), nous apprend que les impressions les plus précoces, recueillies à une époque où l'enfant ne fait encore que balbutier, provoquent un jour, sans même resurgir dans le conscient, des effets obsédants. » Dans la continuité de cette intuition géniale, des psychanalystes qui ont consacré une grande part de leur activité au travail clinique avec les jeunes enfants se sont souciés de préciser la teneur de ces émotions infantiles, « plus intenses et inépuisables » que celles des adultes, et qui laissent une empreinte indélébile sur le psychisme. Différents modèles conceptuels de la vie psychique des nourrissons ont été proposés (Melanie Klein, 1932, 1959 ; Anna Freud, 1942, 1965 ; Donald W. Winnicott, 1935, 1963 ; Margaret Mahler, 1975). La reconnaissance de formes de dépression chez des bébés de moins de un an et de séquelles graves que peuvent laisser sur eux les carences de soins parentaux révélait l'importance de ceux-ci sur le développement (René A. Spitz, 1945, 1950 ; John Bowlby, 1951, 1959 ; Jenny Aubry, 1965). L'école culturaliste américaine étendit à l'ensemble de la société et de la culture le rôle de l'environnement sur le comportement maternant et sur les premières organisations psychiques du bébé. C'est alors que, dans les années soixante, le psychanalyste britannique John Bowlby, inspiré par les travaux des éthologistes (K. Lorenz, N. Tinbergen dès 1935 ; H. F. Harlow, 1958) et ceux du psychanalyste hongrois Imre Hermann (1943), montrait la nature primaire de l'attachement qui lie le nouveau-né à sa mère (1969) ; il s'agirait là d'un comportement inné, indépendant de l'évolution libidinale, dont la découverte entraîne une révision des notions généralement admises sur la genèse de la relation objectale. L'éthologie de l'enfant prit dès lors son essor en France avec les travaux de René Zazzo (1972, 1976) et de Hubert Montagner (1973), tandis qu'en Allemagne, avec Irenaus Eibl-Eibesfeldt (1972), la recherche s'engageait dans une perspective comparativiste. L'objectif était alors de retrouver, au-delà des variations culturelles, des schèmes comportementaux universels de l'espèce humaine, relevant d'une programmation innée. Durant la même période se développa aux États-Unis le « courant interactionniste », qui explorait les comportements de la mère et du bébé en milieu naturel (D. Stern, 1974) ou dans une situation aménagée (T. B. Brazelton, 1974). Des auteurs français contemporains estiment que l'interaction fantasmatique entre la mère et le bébé sous-tend l'expression des comportements (S. Lebovici et coll., 1983) et ils en étudient les conséquences psychopathologiques sur l'enfant (École psychosomatique de Paris, avec M. Fain, L. Kreisler, M. Soulé, dès les années soixante).
Les découvertes contemporaines sur la plasticité cérébrale viennent pleinement confirmer, dans le domaine de la neuropsychologie, l'importance attribuée par la psychanalyse aux expériences émotionnelles précoces, en révélant que le vécu peut modifier non seulement la physiologie, mais aussi l'anatomie cérébrale (M. Rosenzweig et coll., 1972 ; D. H. Hubel et T. N. Weisel, 1977 ; B. Will, 1977). Selon sa richesse ou au contraire sa pauvreté en stimulations relationnelles, l'environnement favorise ou entrave, chez le jeune enfant, le développement de « compétences » déjà présentes virtuellement chez lui à la naissance (T. B. Brazelton, 1961, 1971, 1981 ; T. G. R. Bower, 1977). On peut aisément imaginer les implications de telles découvertes dans le domaine de la thérapeutique et dans celui des apprentissages.
Il reste à espérer que la connaissance du psychisme enfantin ainsi renouvelée favorisera une meilleure adaptation de la famille et des structures sociales aux besoins primordiaux des tout-petits, ainsi qu'une véritable prévention dans le domaine de la santé mentale.
Dans cette perspective, on traitera surtout ici de la genèse de la vie psychique durant les deux premières années de la vie. En effet, l'abord du conflit œdipien et sa résolution dans la période [...]
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Écrit par :
- Hélène STORK : docteur en médecine, docteur ès lettres et sciences humaines, professeur de psychologie clinique et anthropologique à l'université de Paris-IV-Sorbonne-René-Descartes
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Pour citer l’article
Hélène STORK, « ENFANCE (Les connaissances) - La petite enfance », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 20 mai 2022. URL : https://www.universalis.fr/encyclopedie/enfance-les-connaissances-la-petite-enfance/