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CRISES ÉCONOMIQUES

Crises commerciales, industrielles et financières des XVIIIe et XIXe siècles

Au-delà des échecs individuels et des difficultés sectorielles et régionales, qui sont inhérents à la dynamique de la croissance, dès le xviiie siècle des crises plus générales, sans antécédent agricole, gonflaient de temps à autre le flux des faillites dans le négoce et l'industrie. À leur origine, il y avait soit un accident financier, soit une soudaine modification des courants commerciaux, des prix des matières premières, et donc des conditions de la concurrence, souvent contrecoup des guerres.

Les « excès du crédit » et les « engorgements des marchés »

En 1715, « la désolation règne partout », écrivait John Law. Les expéditions de draps du Languedoc par le port de Marseille avaient chuté de moitié ; sur toutes les places de commerce, les espèces sortaient de la circulation et les faillites se multipliaient ; c'était la retombée d'une explosion spéculative des affaires et des crédits née de la paix avec l'Angleterre. En 1729-1730, même emballement du crédit, même enchaînement de ruines, mais désormais les places commerciales étrangères, Cadix, Amsterdam, Venise ou Londres, étaient aussi touchées. Les années 1770 furent désastreuses partout en Europe : apogée des faillites en Angleterre en 1772-1773, à Marseille en 1774, à Paris en 1777. Sans poursuivre une fastidieuse énumération, on citera encore la crise de 1810, conséquence du blocus continental et d'un remodelage de la carte européenne, qui, attisant l'instabilité des prix, des approvisionnements et des marchés multipliaient les opportunités de gains, mais aussi de pertes spéculatives. La faillite du négociant Rodde à Lübeck et celle de la banque Smith & Atkinson à Londres faisaient ainsi tomber De Smeth à Amsterdam, Biderman à Paris, Lousberg à Gand... ; à court de crédit, nombre de fabricants du textile devaient suspendre leur activité : en 1811, seules trois cents filatures de coton sur mille sept cents étaient encore en activité en France ; à Paris, sur cinquante et un mille ouvriers, vingt mille étaient au chômage. Plus que sur l'accident qui donnait la première impulsion à cette chaîne d'effondrements, on insistera sur la vulnérabilité des structures commerciales et financières qui permettaient une telle amplification des dérèglements initiaux.

Le profit commercial était fondé sur l'imperfection des marchés, c'est-à-dire sur les différences de prix des marchandises, des traites, des métaux précieux entre places. Ces écarts, parfois considérables, tiraient leur origine non seulement de la lenteur des transports de marchandises et de la propagation de l'information, mais aussi du faible poids des opérations des arbitragistes. Qu'une anticipation sur les cours ou sur l'état des marchés fût déjouée, et une ou plusieurs maisons risquaient de suspendre leurs paiements. Comme la monnaie métallique ne suffisait pas à financer les transactions, les opérations commerciales étaient réglées par des effets, qui – instruments de crédit à court terme – maintes fois endossés, puis escomptés, jouaient pour ainsi dire un rôle de substitut monétaire. Des réseaux d'engagements de paiement liaient ainsi les grandes maisons de commerce dans chaque pays, et les marchands-banquiers de Londres, Amsterdam ou Paris entre eux. Il suffisait de la défaillance d'un des maillons pour interrompre la chaîne des paiements et des crédits. Cette pyramide de crédits descendait jusqu'aux maisons secondaires et aux fabricants. La suspension d'une grande maison entraînait la perte de liquidité de tout le système et une flambée des taux de l'argent, faute d'établissements bancaires qui, par leurs réescomptes, auraient été des « prêteurs en dernier ressort ».

Ces crises, qui affectaient surtout[...]

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Écrit par

  • : correspondant de l'Institut, professeur émérite à l'université de Bordeaux-IV-Montesquieu
  • : économiste
  • : ancien élève de l'École normale supérieure, agrégé d'histoire, enseignant en classe préparatoire
  • : docteur ès lettres, maître de conférences à l'université de Paris-I

Classification

Pour citer cet article

Jean-Charles ASSELAIN, Anne DEMARTINI, Pascal GAUCHON et Patrick VERLEY. CRISES ÉCONOMIQUES [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Crise sous l'Ancien Régime - crédits : Encyclopædia Universalis France

Crise sous l'Ancien Régime

1914 à 1939. De Sarajevo à Dantzig - crédits : Encyclopædia Universalis France

1914 à 1939. De Sarajevo à Dantzig

<em>Walking Along</em>, D. Lange - crédits : Dorothea Lange/ Keystone/ Getty Images

Walking Along, D. Lange

Autres références

  • CRISES ÉCONOMIQUES (1980-2012)

    • Écrit par Dominique PLIHON
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    Depuis ses origines, l'histoire du capitalisme est ponctuée par des crises financières : envolée puis effondrement du cours des bulbes de tulipes en Hollande, en 1634-1637 ; en 1720, crises sur les cours des titres de la Compagnie des Indes en France, et de la South Sea Company en Angleterre. Le ...

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Voir aussi