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CHIISME ou SHĪ‘ISME

Le shī‘isme iranien, des Safavides à la Constitution de 1906

En plus de sa dimension théosophique, le shī‘isme a une dimension historique originale sur laquelle la Révolution islamique iranienne a attiré l'attention du monde entier. La théologie shī‘ite entretient, en effet, un rapport particulier avec le pouvoir politique puisque, pendant l'Occultation du XIIe Imām, seul souverain légitime de la communauté, tout pouvoir politique peut être un jour qualifié d'usurpateur. La situation historique de l'Iran ajoute à cette originalité : alors que le sunnisme y était jusque-là majoritaire, le shī‘isme a été imposé dans ce pays par la dynastie safavide au xvie siècle. Il y a été enrichi par la culture persane, mais l'Iran s'est retrouvé isolé entre l'Empire ottoman et l'ensemble afghan-indien. En dépit de l'évolution qui a radicalisé la politisation du shī‘isme en Iran, on n'oubliera pas que cette branche de l'islam n'a pas le monopole de la révolution islamique (qui agite beaucoup de pays sunnites) ; il ne faut donc pas voir systématiquement des shī‘ites khomeynistes derrière tous les mouvements sociaux animés par des musulmans. Sur un total mondial d'environ 750 millions de musulmans en 1984, 85 millions sont shī‘ites, parmi lesquels environ 30 millions en Iran (où ils représentent 85 p. 100 de la population), 17 millions en Inde, 15 millions au Pakistan, 6 millions en Irak (55 p. 100 de la population), 4 millions en Afghanistan, 2 millions en U.R.S.S., 1 million au Liban (ils constituent un tiers de la population et y sont en progrès) ; il existe aussi de fortes minorités shī‘ites dans les pays du golfe Arabo-persique, au Kenya et en Tanzanie.

En raison de l'importance du mouvement et de son rayonnement, l'histoire du shī‘isme en Iran mérite néanmoins une particulière attention. Lorsque Shāh Esmā‘il proclama le shī‘isme religion officielle du royaume qu'il était en train de conquérir, en 1501, il se heurta à l'absence en Iran d'institutions juridico-théologiques shī‘ites. Pour gouverner, il avait besoin d'ulémas qui reconnussent la légitimité de son pouvoir et qui pussent faire appliquer la jurisprudence de l'école ja‘farite (de Ja‘far al-al-Sādeq, le VIe Imām) ; la tradition shī‘ite iranienne antérieure, isolée dans quelques villes et semi-clandestine, n'était pas assez forte pour donner aux groupes extrémistes qui considéraient les Safavides comme des chefs charismatiques (mahdī) le contrepoids institutionnel qui assurât la pérennité du nouveau royaume. Des ulémas shī‘ites originaires de Syrie (Jabal ‘Āmel) et de Bahreyn vinrent donc leur prêter secours : ils trouvaient à la cour des Safavides une protection politique contre les vexations séculaires dont fut marquée l'histoire de leur communauté depuis les Douze Imāms.

Ces théologiens s'assignèrent pour tâche d'éliminer, par étapes successives, les résistances des sunnites, et surtout celles des croyances marginales rivales de la nouvelle orthodoxie : les sectes mystiques musulmanes (noqtavī, horufī) et même les puissantes confréries soufies, qui avaient joué néanmoins un rôle dans l'implantation du shī‘isme en Iran. Les persécutions n'épargnèrent pas les philosophes, ni la tribu des Qezelbāsh (groupe turkmène, dont les Safavides tenaient leur pouvoir charismatique), ni les zoroastriens : beaucoup durent se soumettre, disparaître ou s'enfuirent en Inde.

Le théologien le plus représentatif de ce shī‘isme « safavide », Moḥammad Bāqer Majlesī (mort en 1700), a non seulement animé la répression contre le soufisme, mais a aussi contribué à encombrer le dogme religieux d'une multitude de traditions tardives qui tendent à faire du shī‘isme une doctrine doloriste, focalisée sur le culte[...]

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Écrit par

  • : directeur d'études à l'École pratique des hautes études (Ve section)
  • : professeur à la l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle

Classification

Pour citer cet article

Henry CORBIN et Yann RICHARD. CHIISME ou SHĪ‘ISME [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Rouhollah Moussavi Khomeyni, 1978 - crédits : Keystone/ Getty Images

Rouhollah Moussavi Khomeyni, 1978

Révolution islamique en Iran, 1979 - crédits : Pathé

Révolution islamique en Iran, 1979

Autres références

  • AFGHANISTAN

    • Écrit par Daniel BALLAND, Gilles DORRONSORO, Universalis, Mir Mohammad Sediq FARHANG, Pierre GENTELLE, Sayed Qassem RESHTIA, Olivier ROY, Francine TISSOT
    • 37 316 mots
    • 19 médias
    ...ouzbèkes Dostom. En revanche, ses relations avec Gulbuddin Hekmatyar, Pachtoun lui aussi, mais islamiste fondamentaliste, allié temporairement aux chiites d'Iran, soutenu par le Pakistan, furent toujours extrêmement tendues et lui auraient valu, si Massoud ne l'avait emporté, un sort moins enviable...
  • ALAOUITES ou NUṢAYRĪS

    • Écrit par Jaafar AL-KANGE
    • 1 297 mots

    La secte shī‘ite des Nuṣayrīs (An-Nuṣayriyya), qu'on appelle plus couramment Alaouites (Alawites), représente environ 11 p. 100 de la population syrienne. Elle est implantée principalement dans la région montagneuse du djebel Anṣariyya (anciennement as-Summāk), au nord de l'est côtier du pays....

  • ALGÉRIE

    • Écrit par Charles-Robert AGERON, Universalis, Sid-Ahmed SOUIAH, Benjamin STORA, Pierre VERMEREN
    • 41 835 mots
    • 25 médias
    À cette date, en effet, d'autres hérétiques musulmans, les Chī‘ites, qui avaient réalisé de grands progrès chez les Qotāma de Petite Kabylie et chez certains Sanhaja sédentaires du Titteri, avaient réussi à fonder en Ifriqiya une nouvelle dynastie, celle des Fatimides. Celle-ci devait, par...
  • ‘ALĪ IBN ABĪ ṬĀLIB (600 env.-661)

    • Écrit par Georges BOHAS
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    Cousin de Muḥammad, et l'un des premiers convertis à l'islam. En 623 (ou 624), ‘Alī épouse Fāṭima, fille du Prophète et de sa première épouse, Khadīdja. À la mort du Prophète, en 632, il ne lui succède pas à la tête de la communauté : ce n'est qu'en 656 qu'il sera élu calife. La légende et...

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Voir aussi