Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

CHIISME ou SHĪ‘ISME

  • Article mis en ligne le
  • Modifié le
  • Écrit par et

Le clergé traditionnel et le modernisme inspiré par l'Occident

La profonde influence de Jamāloddīn et d'autres réformateurs plus ou moins marqués par l'idéal « séculariste » importé d'Occident était une menace pour les ulémas shī‘ites traditionnels. Tantôt par opportunisme, tantôt par conviction, ou bien entraînés par les soulèvements populaires, certains des plus importants mojtahed de cette période, tel Mīrzā Ḥasan Shīrāzī (en ‘Irāq), ont joué cependant un rôle décisif dans la préparation et le succès de la Révolution constitutionnelle de 1906-1909. Contrairement aux ulémas sunnites, qui dépendent généralement de l'État, les ulémas shī‘ites étaient financièrement indépendants, dotés de fondations pieuses ou entretenus par la taxe du khoms (cinquième du revenu superflu), versée directement par les fidèles. La domiciliation en ‘Irāq (dans l'Empire ottoman) des lieux saints et des centres d'études théologiques des shī‘ites, donnait en outre à ceux-ci la possibilité de résister au pouvoir central de Téhéran (cette situation s'est perpétuée pendant les quinze ans d'exil de l'āyatollāh Khomeynī à Najaf).

La Constitution de 1906, qui donnait des droits au peuple, précisait (art. 2 du Supplément) que le pouvoir du Parlement est soumis au droit de veto de cinq ulémas choisis par les mojtahed pour contrôler la conformité à l'islam des lois votées. Celui même qui fut l'auteur de cet article, Sheykh Fazlollāh Nurī, se retourna bientôt contre les révolutionnaires, dans lesquels il dénonçait des ennemis de l'islam et des agents de l'étranger (du modernisme et de la démocratie importés d'Europe). Il s'allia à Moḥammad ‘Ali Shāh, qui, à la faveur d'un coup d'État (juin 1908), suspendit la Constitution. Mais les révolutionnaires reprirent le pouvoir en juillet 1909, déposèrent le souverain absolutiste et firent exécuter le mojtahed intégriste : à partir de cette exécution, les ulémas les plus favorables à la révolution devinrent hésitants. Le modernisme les avait dépassés.

L'aboutissement de ce clivage entre un « clergé » (ruhāniyat) conservateur et un modernisme agressif soumis aux intérêts des puissances occidentales est visible dès le règne de Rezā Shāh (1925-1941) : pour fonder une nouvelle dynastie et sauver l'Iran du chaos, le nouveau chef d'État avait commencé par s'allier aux ulémas en leur donnant une garantie « morale » d'attachement à l'islam. Mais, dès la fin des années 1920, les mesures de laïcisation, parfois imitées du modèle kémaliste turc, soulevèrent l'indignation du clergé, désormais réduit au plus complet silence politique : étatisation de l'enseignement, de la justice, de l'enregistrement des actes notariés, des fondations pieuses ; uniformisation du vêtement (pour porter l'habit de mollā, il fallait se soumettre à un examen contrôlé par l'État) ; conscription obligatoire (sauf pour les étudiants en théologie officiellement reconnus), etc. La colère fut à son comble, notamment dans les villes religieuses de Mashhad et de Qom, lorsqu'un décret interdit aux femmes de se voiler en public et que la police se mit à leur arracher dans la rue le « tchador » traditionnel (1936). Une répression sanglante vint à bout des émeutes.

Le repli des ulémas devant les doctrines sécularistes envahissantes pouvait faire croire à un début d'éradication du shī‘isme. D'une part, il est vrai, on voyait triompher, dans les sphères du pouvoir et chez les intellectuels, une philosophie rationaliste et humaniste porteuse d'un projet de démocratie à l'européenne (qu'on était incapable de concrétiser autrement qu'en l'imposant par la force) : c'était la franc-maçonnerie, ou encore la nouvelle religion du progrès et de la science rêvée par[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : directeur d'études à l'École pratique des hautes études (Ve section)
  • : professeur à la l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle

Classification

Pour citer cet article

Henry CORBIN et Yann RICHARD. CHIISME ou SHĪ‘ISME [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 14/03/2009

Médias

Rouhollah Moussavi Khomeyni, 1978 - crédits : Keystone/ Getty Images

Rouhollah Moussavi Khomeyni, 1978

Révolution islamique en Iran, 1979 - crédits : Pathé

Révolution islamique en Iran, 1979

Autres références

  • AFGHANISTAN

    • Écrit par , , , , , , et
    • 37 316 mots
    • 19 médias
    ...ouzbèkes Dostom. En revanche, ses relations avec Gulbuddin Hekmatyar, Pachtoun lui aussi, mais islamiste fondamentaliste, allié temporairement aux chiites d'Iran, soutenu par le Pakistan, furent toujours extrêmement tendues et lui auraient valu, si Massoud ne l'avait emporté, un sort moins enviable...
  • ALAOUITES ou NUṢAYRĪS

    • Écrit par
    • 1 297 mots

    La secte shī‘ite des Nuṣayrīs (An-Nuṣayriyya), qu'on appelle plus couramment Alaouites (Alawites), représente environ 11 p. 100 de la population syrienne. Elle est implantée principalement dans la région montagneuse du djebel Anṣariyya (anciennement as-Summāk), au nord de l'est côtier du pays....

  • ALGÉRIE

    • Écrit par , , , et
    • 41 835 mots
    • 25 médias
    À cette date, en effet, d'autres hérétiques musulmans, les Chī‘ites, qui avaient réalisé de grands progrès chez les Qotāma de Petite Kabylie et chez certains Sanhaja sédentaires du Titteri, avaient réussi à fonder en Ifriqiya une nouvelle dynastie, celle des Fatimides. Celle-ci devait, par...
  • ‘ALĪ IBN ABĪ ṬĀLIB (600 env.-661)

    • Écrit par
    • 664 mots

    Cousin de Muḥammad, et l'un des premiers convertis à l'islam. En 623 (ou 624), ‘Alī épouse Fāṭima, fille du Prophète et de sa première épouse, Khadīdja. À la mort du Prophète, en 632, il ne lui succède pas à la tête de la communauté : ce n'est qu'en 656 qu'il sera élu calife. La légende et...

  • Afficher les 77 références