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BLAKE WILLIAM (1757-1827)

Des livres qui sont autant de tableaux

L'artiste était en Blake indissolublement lié au poète. Il refusa toujours d'abandonner ses œuvres à l'anonymat de l'impression, préférant les graver et les illustrer une à une, plaque par plaque. On ne saurait donc vraiment lire Blake comme il voulait être lu sans regarder ses livres comme autant de tableaux, sans embrasser du regard l'entrelacs de branches, de nuages et de lettres que dessinent ses titres, la flore et la faune minuscules évoluant en délicates arabesques entre les lignes du texte, et surtout – richement colorées – les puissantes figures qui l'encadrent, le complètent et le commentent. Les visions de Blake l'étaient au sens propre du terme : révélations à la vue autant qu'à l'intellect.

Les essences spirituelles que découvrait en lui-même le prophète, il incombait au graveur de les rendre visibles. L'imagination, c'était aussi pour lui le pouvoir de projeter ces images. On comprend assez que le modèle n'ait pu en être qu'intérieur. Très tôt, Blake s'est insurgé contre l'imitation servile de la nature, préférant de même aux « formes mathématiques » et desséchées du néo-classicisme celles, plus vivantes et plus humaines à ses yeux, de la sculpture gothique. Son humanisme intransigeant explique d'autre part qu'il ait toujours insisté sur la nécessité d'un tracé ferme, net et précis, et que ce soit à l'exemple de Michel-Ange qu'il ait dû le plus clair de son style graphique. C'est que rien n'était plus défini pour Blake que la perception de l'infini. Car l'infini est en l'homme, il a donc forme humaine, et la mission quasi religieuse de l'artiste est de la lui dévoiler.

Urizen-Jéhovah sera donc un vieillard massif à la longue barbe blanche et au regard de pierre. On le voit, sur le célèbre frontispice d'Europe, un genou en terre, délimitant et divisant l'univers matériel au moyen d'un gigantesque compas. Contrastant avec l'opacité rocheuse d'Urizen, la jeunesse éternelle de l'imagination éclate dans la forme conquérante d'Orc, ou d'Albion régénéré, vu de face, bondissant radieux par-dessus les montagnes, les bras grands ouverts à la liberté et à la vie.

<it>La Troisième Tentation</it>, W. Blake - crédits : Erich Lessing/ AKG-images

La Troisième Tentation, W. Blake

La composition de Blake est toujours frappante par sa simplicité : à l'horizontalité cadavérique des créatures pétrifiées dans le sommeil de l'existence incarnée, aux arceaux des branches et des rochers pesant de tout leur poids de formes matérielles répondent le hiératisme vertical des figures contemplatives et surtout la torsion flamboyante des corps qui s'élancent vers l'infini, et que Blake saisit parfois dans un raccourci dramatique. Ce symbolisme expressionniste ne va pas toujours sans gaucherie. Mais la franchise des visions de Blake, leur raideur même leur confèrent un pouvoir de fascination onirique. Elles obsèdent l'imagination tels les hiéroglyphes d'un langage à la fois mystérieux et familier, issu d'un au-delà qui serait en nous, et dont l'intelligence ne saurait être que de l'ordre de la révélation.

— Claude DOUBINSKY

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Pour citer cet article

Claude DOUBINSKY et Régine LUSSAN. BLAKE WILLIAM (1757-1827) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

<it>Baptême du Christ</it>, W. Blake - crédits : W. Blake/  Bridgeman Images

Baptême du Christ, W. Blake

<it>Le Mariage du Ciel et de l'Enfer</it> de William Blake - crédits :  Bridgeman Images

Le Mariage du Ciel et de l'Enfer de William Blake

<it>La Troisième Tentation</it>, W. Blake - crédits : Erich Lessing/ AKG-images

La Troisième Tentation, W. Blake

Autres références

  • WILLIAM BLAKE (exposition)

    • Écrit par Jean-François POIRIER
    • 1 035 mots

    On a pu dire que le xviiie siècle avait autant été le siècle des Lumières que de l'illuminisme. Nul doute que William Blake (1757-1827) se situa du côté des illuminés, comme on le voit tout au long de l'exposition présentée au Petit Palais, en partenariat avec le musée de la Vie romantique,...

  • ANGLAIS (ART ET CULTURE) - Littérature

    • Écrit par Elisabeth ANGEL-PEREZ, Jacques DARRAS, Jean GATTÉGNO, Vanessa GUIGNERY, Christine JORDIS, Ann LECERCLE, Mario PRAZ
    • 28 170 mots
    • 30 médias
    Les deux premiers poètes dans lesquels les romantiques reconnurent leurs modèles, Robert Burns (1759-1796) et William Blake (1757-1827), étaient, chacun à sa façon, des révoltés. Spontanés et avec des intonations d'art populaire, ils se ralliaient pourtant à des traditions bien définies ; Burns se...
  • ANGLAIS (ART ET CULTURE) - Peinture

    • Écrit par Jacques CARRÉ, Barthélémy JOBERT
    • 8 176 mots
    • 12 médias
    ...tragique. L'expression d'une sensibilité personnelle devient avec lui le sujet même de la peinture (Le Cauchemar, 1781, Institute of Arts, Detroit). Son ami William Blake (1757-1827) se pose lui aussi en réaction contre l'académisme, et ses annotations rageuses en marge des Discours de Reynolds montrent...
  • ROMANTISME

    • Écrit par Henri PEYRE, Henri ZERNER
    • 22 170 mots
    • 24 médias
    ... (1759-1796), Écossais, homme simple et primitif, poète direct et fort, et l'un des rares qui aient exprimé une joie physique presque païenne. Le plus grand et le plus complexe est William Blake (1757-1827), isolé, n'ayant rien d'un théoricien, d'un chef d'école ou d'un philosophe comme voudront...
  • FRYE NORTHROP (1912-1991)

    • Écrit par Jean-Marie SCHAEFFER
    • 636 mots

    Né le 17 juillet 1912 à Sherbrooke (Québec), Northrop Frye est un des critiques littéraires les plus influents de la seconde moitié du xxe siècle. Après des études de théologie dans son pays d'origine, il étudie la littérature à Oxford. De retour au Canada, il entame une carrière universitaire...

  • Afficher les 8 références

Voir aussi