MICHEL-ANGE (1475-1564)

Aborder l'œuvre de Michel-Ange, c'est rencontrer un art placé sous le signe de la complexité essentielle, de la difficulté voulue et du renouvellement incessant. L'extrême richesse, formelle et sémantique, de cette œuvre découle de la diversité des domaines et des techniques dans lesquels Michel-Ange s'est exprimé : sculpture, peinture, architecture et poésie, comme autant d'exercices de style aux lois et contraintes diverses. Or, si ses réalisations les plus considérables sont universellement célèbres, l'omission trop fréquente de ses créations secondaires simplifie à l'excès l'image de l'artiste comme s'il n'avait eu, à la différence de ses contemporains, que des tâches exceptionnelles à accomplir. Ce sentiment d'extrême variété est encore suscité par sa double carrière, florentine et romaine, qui le pousse à adopter des modes bien différents selon qu'il œuvre dans la cité toscane ou dans la capitale de l'Église. Et la durée de sa carrière, exceptionnelle pour l'époque (près de soixante-quinze ans), y contribue certainement. Qu'y a-t-il de commun entre l'artiste qui polit avec tant d'amour la Pietà de Saint-Pierre et, mu par la juste fierté de sa propre virtuosité, la signa, et celui qui, assailli par les doutes, la lassitude et un authentique dégoût pour la vanité de cet art, ébaucha, mutila et recommença la Pietà de Milan ? Et quels changements dans ses conditions de travail et surtout dans sa conception de l'art et de son rôle ! quelle distance, de l'enthousiasme humaniste de ses premiers mécènes, collectionneurs passionnés d'antiques qui voyaient dans la beauté le reflet de la divinité à cette méfiance à l'égard du beau, s'il n'est pas « décent » et strictement subordonné à la doctrine religieuse, des milieux réformateurs qu'il fréquenta à la fin de sa vie !

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La Mise au tombeau, Michel-Ange

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Peu d'œuvres achevées au sens artisanal du terme à inscrire au catalogue de Michel-Ange : un petit nombre de sculptures, datant surtout de sa jeunesse, un seul panneau peint sûrement autographe et les vastes ensembles peints à fresque du Vatican. Mais une grande part d'œuvres inachevées ou terminées par d'autres, comme ses entreprises architecturales tardives, ou bien connues par des dessins qui laissent pressentir seulement le devenir d'un projet sculptural ou architectonique. La distance historique qui nous sépare de Michel-Ange est en outre la cause de malentendus qui pèsent sur l'interprétation de ses œuvres. On se méprendrait sur sa conception de l'art en y voulant trouver des messages personnels, d'ordre psychologique ou philosophique, dissociables de la forme qui les manifeste, alors que les deux ont toujours été élaborés par lui en étroite relation dialectique. À ses yeux, l'art était un langage autonome, dont il recherchait, pour en triompher plus glorieusement, les plus grandes subtilités. On se tromperait encore en imaginant qu'il cherchait à satisfaire l'ensemble du public de son temps, quand il n'a eu pour visée toute sa vie que sa propre « satisfaction du point de vue de l'art » (comme il le disait au pape Jules II à propos de la voûte de la chapelle Sixtine) et l'approbation d'un nombre extrêmement limité de véritables connaisseurs, appartenant au monde artistique ou à l'élite sociale cultivée. Enfin, de même que l'artiste repensait à chaque nouvelle occasion les moyens et le sens de l'art, l'approche de l'œuvre de Michel-Ange est constamment remise en question par des facteurs nouveaux. Redécouvertes d'œuvres, comme celle des dessins muraux du local situé sous l'abside de la chapelle funéraire des Médicis en 1975 ou celle de la première version du torse du Christ de la Pietà de Milan en 1972 ; restaurations spectaculaires comme celles de la Sainte Famille ou Tondo Doni et la chapelle Sixtine (1980-1994) qui ont rendu à ces œuvres un éclat et une limpidité de coloris surprenants au premier abord ; réévaluations d'œuvres comme le Christ en croix de Santo Spirito (Casa Buonarroti, Florence) qui déroute par la candide pureté de ses formes d'adolescent ; confrontations avec de nouveaux documents (des contrats explicites notamment) ou nouvelle lecture de sources anciennes, biographies de l'artiste ou sa propre correspondance ; progrès dans la connaissance des artistes contemporains de Michel-Ange, en relation avec lui comme Sebastiano del Piombo ou Daniele da Volterra ; meilleure étude de ses « dettes » envers les maîtres toscans des xive et xve siècles. Tous ces éléments, conjugués aux curiosités changeantes des générations et à de nouveaux types d'enquêtes portant sur le mécénat (Michel-Ange et les Médicis par exemple) et les aspects sociaux et économiques de la pratique artistique et architecturale, amènent à une vision renouvelée. Michel-Ange y apparaît comme un praticien aux prises avec les mêmes difficultés que ses contemporains pour gagner un concours et emporter une commande, pour convaincre son commanditaire de la validité de ses solutions plastiques ou fonctionnelles, pour tenir ses engagements professionnels, pour concilier enfin sa soif d'honorabilité, de dignité et de liberté avec la nécessité de travailler pour vivre. À la vision romantique du génie saturnien qui fleurit encore dans les livres de grande diffusion se substitue peu à peu l'image, qui ne le diminue en rien, d'un homme pris dans une multi tude de rapports dialectiques, réagissant aux contraintes imposées par son matériau, le lieu où il travaille et bâtit, les éléments édifiés ou peints avant son intervention, les ressources financières des promoteurs de l'entreprise et l'inconstance de leurs intentions. Comme Raphaël, auquel on l'a trop systématiquement opposé dans son style comme dans son caractère, Michel-Ange a su faire preuve d'un prodigieux esprit d'assimilation (« Il lui suffisait de voir une seule fois l'ouvrage d'un autre pour le retenir parfaitement et l'utiliser à l'occasion sans que personne ne s'en aperçoive », dit Vasari) et d'un grand sens de l'adaptation à la demande, preuves mêmes de l'intelligence vive et profonde que lui ont reconnue ses contemporains les plus éclairés.

Une vie entre la Florence de Laurent le Magnifique et la Rome de Pie IV

Nouvelle sacristie, Saint-Laurent , Florence - crédits :  Bridgeman Images

Nouvelle sacristie, Saint-Laurent , Florence

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L'art de Michel-Ange, la hauteur de ses conceptions et l'originalité de ses œuvres apparaissent bien souvent sans commune mesure avec les données quotidiennes d'une vie retirée, frugale, plutôt sédentaire, timorée (n'a-t-il pas fui les armées étrangères ou les menaces qu'il croyait peser sur sa vie à six reprises ?), toute consacrée au travail solitaire et acharné, peuplée de rares amitiés et de conversations. Michelangelo Buonarroti est né en territoire florentin, à Caprese, au nord d'Arezzo, d'une famille de notables (son père fut podestat de Caprese et de Chiusi) où on le destinait à devenir, comme ses frères, un « fonctionnaire », c'est-à-dire un intellectuel. Encouragé à dessiner par son ami le peintre Francesco Granacci, il fut mis en apprentissage par son père, le 1er avril 1488, chez les frères Domenico et Davide Ghirlandaio qui dirigeaient l'atelier de peinture le plus actif et le plus renommé de Florence à cette date. Bien que Vasari en ait retrouvé le contrat, cet apprentissage fut dénié plus tard par Michel-Ange parce qu'il nuisait à l'image qu'il voulait donner de lui-même : celle d'un artiste libéral et dilettante, qui ne tient pas « boutique », plus ou moins autodidacte ou, mieux, formé par imprégnation dans le milieu des artistes et des lettrés entourant Laurent le Magnifique. Cet apprentissage fut vraisemblablement de courte durée. De même les critiques ont-ils émis l'hypothèse que Michel-Ange avait dû recevoir une semblable formation, rapide et informelle, également passée sous silence, dans le domaine de la sculpture, chez Benedetto da Maiano, dont il est, à ses débuts, proche stylistiquement par l'ampleur de ses volumes, et dans celui de l'architecture, sans doute vers 1505-1506, chez Giuliano da Sangallo (qui l'a vraisemblablement proposé à Jules II pour son projet de tombeau). Michel-Ange, qui fut plus tard le rival d'Antonio da Sangallo le Jeune, neveu de Giuliano, n'était évidemment pas enclin à reconnaître ce qu'il pouvait devoir à Giuliano, dont il s'inspira pourtant dans ses projets de façade pour l'église de San Lorenzo à Florence et pour l'articulation des murs de la chapelle des Médicis (proche de la sacristie de Santo Spirito de Giuliano). Remarqué par Laurent le Magnifique, Michel-Ange est son hôte au palais Médicis de 1489 à 1492 ; il reçoit des conseils du précepteur familial, Ange Politien, qui prônait en art l'audace et l'impétuosité combinées à une culture ouverte, qualités que Michel-Ange mit aussitôt en pratique. Il s'adonne à la sculpture sous la tutelle de Bertoldo di Giovanni, l'« héritier » de Donatello, très apprécié du Magnifique pour ses petits bronzes qui marquent à Florence le début d'une nouvelle conception du rôle de l'œuvre d'art : pur objet de collection sans destination pratique ou dévotionnelle, conception qui influencera profondément Michel-Ange. Il étudie les pierres gravées et les sculptures antiques de la collection médicéenne. À la mort de Laurent, Michel-Ange est accueilli par le prieur de Santo Spirito, qui lui fournit des occasions de pratiquer des dissections dans son hôpital.

À l'approche des troupes du roi de France Charles VIII, en 1494, Michel-Ange s'enfuit de Florence à Venise puis à Bologne, où il trouve refuge et travail auprès du noble bolonais Gianfrancesco Aldovrandi, qui lui fait lire Dante et les poètes toscans, et lui commande trois statuettes pour compléter le tombeau de saint Dominique dans l'église homonyme de Bologne. La République instaurée à Florence en 1494, Michel-Ange y retourne et observe, non sans en être affecté, ce régime inspiré par les prédications de Savonarole. Il est logé chez Lorenzo di Pierfrancesco de' Medici, d'une branche de la famille qui avait pris parti en faveur de la République, et travaille pour lui (une sculpture, perdue, de saint Jean-Baptiste enfant). Sans doute désireux de quitter la ville où les partisans extrémistes de Savonarole, les Piagnoni (pleurnicheurs), répandent un climat hostile à l'art et à la culture et multiplient les autodafés, plus curieux encore, comme tant de ses prédécesseurs florentins, de découvrir les vestiges de cet art antique qu'il s'était déjà exercé à imiter, Michel-Ange se rend à Rome en 1496 où il est l'hôte du cardinal Raffaelle Riario dans son palais de la Chancellerie. Il travaille pour le cardinal et pour son cercle d'humanistes, dont le banquier Jacopo Galli (un Cupidon endormi, perdu). Grâce à ce dernier, il signe en 1498 un contrat avec le cardinal Jean Bilhères de Lagraulas, ambassadeur de Charles VIII auprès du pape Alexandre VI (1492-1503), pour une Pietà destinée à une chapelle annexe de l'ancienne basilique Saint-Pierre.

<i>David</i>, Michel-Ange - crédits : Rabatti - Domingie/ AKG-images

David, Michel-Ange

Au printemps de 1501, il revient à Florence où la République se consolide et se modère (après l'exécution de Savonarole en 1498) sous l'autorité du gonfalonier Piero Soderini. Il y est sans doute attiré par le projet des membres de la fabrique de la cathédrale d'attribuer à un sculpteur volontaire un bloc de marbre déjà ébauché par un autre artiste pour une figure colossale de prophète qui devait orner un des contreforts de la cathédrale : ce sera le David. Un aréopage, comprenant une quinzaine d'artistes les plus prestigieux de Florence dont Léonard de Vinci, Botticelli, Piero di Cosimo et Pérugin, décida de placer le « géant » devant le palais de la Seigneurie, lui reconnaissant ainsi une signification beaucoup plus civique que biblique. Soderini commanda aussitôt après à Michel-Ange une fresque pour la salle du Conseil du même palais représentant un épisode de la guerre contre Pise en 1364, la bataille de Cascina ; cette commande reflète des préoccupations semblables : donner aux Florentins un exemple de patriotisme, les inciter à la vigilance armée contre les ennemis de l'extérieur ; cela en accord avec les idées du secrétaire de la République, Nicolas Machiavel, qui tentait de promouvoir une milice permanente de citoyens au lieu de recourir aux services d'un condottiere, chef de troupes mercenaires. La fresque n'eut qu'un commencement d'exécution mais le carton, exposé au palais de la Seigneurie, puis au palais Médicis, sera « l'école du monde », pour reprendre l'expression de Benvenuto Cellini, avant d'être dispersé en morceaux. Durant les années suivantes, Michel-Ange travaille à Florence pour de riches marchands, notamment des membres de la corporation de la laine (Agnolo Doni, Taddeo Taddei), ainsi qu'à un retable sculpté pour le cardinal Francesco Piccolomini (qui régna en 1503 sous le nom de Pie III) à la cathédrale de Sienne.

Cette période de création aisée d'œuvres domestiques s'interrompit en 1506 avec l'invitation faite par Jules II à l'artiste de se rendre à Rome pour réaliser son tombeau. Vasari a raconté, avec force anecdotes hautes en couleurs sur le caractère emporté de Michel-Ange, les débuts malchanceux de ce qui devait être pour lui pendant quarante ans la « tragédie du tombeau », le mettant aux prises jusqu'en 1545 avec les héritiers du pape qui exigeaient le respect de ses engagements. Soucieux, dans un premier temps, de reconstruire la basilique constantinienne de Saint-Pierre, très délabrée, où sa sépulture devait prendre place, Jules II avait en effet remis à plus tard la réalisation de celle-ci. Ne pouvant obtenir une entrevue du pape et craignant d'avoir perdu sa confiance, Michel-Ange, sentant l'hostilité de la cour pontificale, s'enfuit à Florence quelques mois plus tard et ce ne fut que sur la pression du gouvernement qu'il accepta de se rendre à Bologne que le pape venait d'investir. La « pénitence » imposée à l'artiste fut la réalisation d'une statue colossale en bronze du pontife placée sur la façade de la cathédrale San Petronio, statue que les Bolonais devaient transformer en canon dès 1511 lorsqu'ils retrouvèrent leur indépendance. Dès le mois d'avril 1508, Michel-Ange est à Rome, contraint d'accepter une commande de substitution à celle du tombeau : la décoration à fresque, beaucoup moins onéreuse, de la voûte de la chapelle Sixtine, édifiée vers 1475 par Giovannino de' Dolci pour Sixte IV Della Rovere (1471-1484), l'oncle du pape Jules II. Michel-Ange y travailla quatre ans, puis, après la mort du pontife en février 1513, passa un nouveau contrat pour la sépulture de celui-ci avec ses héritiers.

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Mais les projets du nouveau pape, Léon X Médicis (1513-1521), ne devaient pas tarder à retarder l'exécution des statues. Le pape florentin désirait en effet imprimer sa marque à sa ville en faisant édifier une façade somptueuse à l'église inachevée des Médicis, San Lorenzo. Michel-Ange s'empressa de participer au concours aux côtés des architectes les plus éminents de l'époque, les Sangallo, les Sansovino, Raphaël, et, de façon plus ou moins honorable, il évinça ses rivaux et les collaborateurs qu'on voulait lui donner. De 1513 à 1518, il fit de nombreux séjours dans les carrières de marbre de Carrare pour surveiller l'extraction des blocs qu'il avait choisis pour le tombeau de Jules II et pour la façade de San Lorenzo. Mais Léon X renonça finalement à réaliser cette façade dispendieuse et fit passer en priorité une entreprise qui lui semblait essentielle après la mort des deux membres de la famille Médicis qui avaient gouverné Florence en son nom, Julien, duc de Nemours (1513-1516) et Laurent, duc d'Urbin (1516-1519) : une chapelle funéraire qui aurait réuni leurs tombes et celles de Laurent le Magnifique (mort en 1492), père de Léon X, et de son frère Julien, assassiné lors de la conjuration des Pazzi en 1478. Michel-Ange, chargé d'un projet sans doute assez modeste, réussit, comme dans le cas de la Sixtine, à faire approuver par les Médicis (le cardinal Giulio, le futur pape Clément VII, s'étant chargé des relations avec l'artiste) un projet beaucoup plus ambitieux où entraient à la fois un cadre architectural très riche et de nombreuses sculptures qu'il désirait exécuter de sa main. À cet important chantier s'ajouta, à partir de 1524, celui de la bibliothèque Laurentienne, située sur le côté ouest du cloître de San Lorenzo. Première bibliothèque publique de la Renaissance, elle était destinée à abriter les manuscrits de Laurent le Magnifique. Ces travaux s'éternisèrent car les Médicis, à la suite du sac de Rome en 1527, furent de nouveau chassés de Florence et une dernière république instaurée dans la ville. Retrouvant ses sympathies républicaines antérieures, Michel-Ange se mit au service du gouvernement et, le 6 avril 1529, il était nommé gouverneur général des fortifications. Sentant la faiblesse de Florence et redoutant la contre-offensive des armées pontificales et impériales, désormais unies, il profita d'une tournée d'inspection des fortifications de Ferrare, alors les plus modernes d'Italie, pour s'enfuir jusqu'à Venise, formant même un moment le projet de répondre à l'invitation de François Ier et de passer en France. Il revint cependant à Florence à la fin de l'année 1529, où il dirigea des travaux défensifs en terre battue sur la colline de San Miniato, position clé pour la maîtrise de la cité, et participa à la défense de la ville assiégée par les impériaux. Après la reddition des républicains, il fut caché dans San Lorenzo par le prieur, sans doute dans ce petit local sous la chapelle des Médicis où l'on a retrouvé plusieurs dizaines de dessins tracés par lui sur les murs. Le prieur s'entremit pour lui faire obtenir le pardon de Clément VII (1523-1534), et l'artiste se remit au travail à San Lorenzo jusqu'à la mort du pape. Privé de cet appui, il se sentit en danger à Florence, gouvernée par le cruel Alessandro de' Medici, et il s'établit définitivement à Rome, malgré les invitations répétées de Côme Ier de Médicis, grand duc de Toscane (1537-1574), secondé par Vasari dans son désir de faire revenir dans sa patrie l'artiste le plus illustre de l'époque.

Vestibule de la bibliothèque Laurentienne, Florence - crédits :  Bridgeman Images

Vestibule de la bibliothèque Laurentienne, Florence

Salle de lecture de la bibliothèque Laurentienne, Florence - crédits :  Bridgeman Images

Salle de lecture de la bibliothèque Laurentienne, Florence

Voûte de la chapelle Sixtine, Michel-Ange - crédits :  Bridgeman Images

Voûte de la chapelle Sixtine, Michel-Ange

Michel-Ange sera en revanche en relations d'amitié suivies avec des exilés florentins, hostiles au régime autoritaire et policier de Côme : le cardinal Ridolfi pour lequel il exécuta, fait unique dans son œuvre, un buste de marbre de Brutus, le tyrannicide, assassin de César : sur le visage énergique se lisent, de façon complexe selon l'angle de vue, la noblesse et la détermination ou le mépris de l'adversaire (musée du Bargello, Florence) ; Donato Giannotti, auteur d'un Dialogue où Michel-Ange est le principal intervenant ; Luigi del Riccio et son neveu Francesco Bracci, jeune homme d'une grande beauté mort dans la fleur de l'âge pour lequel l'artiste composa une cinquantaine d'Épitaphes en vers et dont il dessina la tombe à Santa Maria in Aracoeli. Dans les années 1530, Michel-Ange noua également des amitiés romaines qui lui inspirèrent des œuvres originales : avec un jeune gentilhomme cultivé, Tommaso Cavalieri, auquel il dédia des sonnets pétrarquisants et des dessins allégoriques d'une exécution raffinée, où une sensualité franchement érotique et la philosophie néo-platonicienne de l'amour sublimé jouent à cache-cache ; puis avec Vittoria Colonna, marquise de Pescara, muse dévote d'un cercle d'hommes d'Église et de culture soucieux de réforme morale, pour laquelle Michel-Ange rima et dessina aussi, sur des sujets chrétiens et austères cette fois. Dès 1535, le nouveau pape Paul III Farnèse (1534-1549) désira s'attacher l'artiste et lui confirma la commande de la fresque du Jugement dernier pour le mur de l'autel de la chapelle Sixtine, exécutée de 1537 à 1541. Les réactions du public à cette œuvre totalement inédite montrent bien l'évolution des goûts et des idées depuis l'époque de la voûte. D'un côté, la lecture maniériste de Vasari : « Dans la pensée de cet homme extraordinaire, il ne s'est agi que de montrer la perfection et l'harmonie du corps humain dans la diversité de ses attitudes et en outre les mouvements passionnels et ceux qui comblent l'âme ; content de s'en tenir à ce registre – où il l'emporte sur tous les artistes – en montrant la route du grand style, du nu et la science du dessin. » De l'autre, celle des esprits touchés par le vent de rigorisme de la Contre-Réforme qui reprochèrent violemment à l'artiste les « obscénités » de la composition et les atteintes à l'orthodoxie théologique. En 1542, Michel-Ange signa un contrat fixant la sixième et dernière version du Tombeau de Jules II qui fut érigé à Rome dans l'église Saint-Pierre-aux-Liens sur un plan et avec des ornements considérablement réduits par rapport au triomphal projet initial. Paul III lui commanda aussitôt la décoration de la nouvelle chapelle qu'il s'était fait bâtir au palais du Vatican, la chapelle dite Pauline. Michel-Ange exécuta là, de 1542 à 1550, ses dernières peintures.

Place du Capitole, Rome - crédits :  Bridgeman Images

Place du Capitole, Rome

Sa carrière prit alors une tournure nouvelle à partir de 1546, date de la mort d'Antonio da Sangallo, le dernier « héritier » de Bramante et l'architecte le plus important de Rome à cette date. Dès le début des années 1540 avait commencé, sous la direction et sur les dessins de Michel-Ange, l'aménagement de la place du Capitole, cœur de la Rome antique et siège du gouvernement civil de la Rome moderne, dont l'aspect vétuste, disparate et rustique (accès par des chemins de terre abrupts) avait produit un piètre effet lors de l'entrée de Charles Quint à Rome en 1536. Mais, en 1546, Michel-Ange hérita des charges et des chantiers de Sangallo : l'achèvement du palais familial du pape, le palais Farnèse, le plus vaste de Rome alors, prévu pour abriter une « maison » de trois cents personnes ; la supervision des fortifications vaticanes et des aménagements du palais apostolique ; et le chantier de la nouvelle basilique Saint-Pierre. Expertises techniques, comme les avis donnés sur la consolidation du pont Santa Maria, projets architecturaux traduits sous forme de dessins, maquettes en terre cuite et modèles en bois constituent désormais la quasi-totalité de l'activité de Michel-Ange jusqu'à sa mort, si l'on excepte quelques dessins et quelques poèmes sur des thèmes religieux composés pour lui-même, ainsi que les ébauches des deux Pietà sculptées de Florence et de Rome. La fabrique de Saint-Pierre fut son principal souci ; en proie à l'hostilité des monsignori commis à la construction, des fournisseurs, des entrepreneurs et conducteurs de travaux lésés dans leurs ressources par la réduction qu'il apportait au projet de Sangallo et par son intention de lutter contre la corruption, Michel-Ange exigea de Paul III une autorité absolue sur le chantier et, pour parer à toute insinuation, lui fit ajouter une apostille au motu proprio le nommant chef de la construction, dans laquelle il était dit que Michel-Ange renonçait à toute rémunération, travaillant « pour la gloire de Dieu ». Ces fonctions lui furent confirmées par les papes suivants, après la mort de Paul III en 1549 : Jules III (1550-1555), Paul IV (1555-1559) et Pie IV (1559-1565). Jules III Ciocchi del Monte fit appel à ses avis pour divers projets, et Michel-Ange lui dessina la façade du palais familial qu'il voulait construire au champ de Mars en utilisant les structures du mausolée d'Auguste ; il lui donna également des conseils pour les tombes de la famille del Monte à San Pietro in Montorio, ainsi que sur les premiers projets pour la villa Giulia. Mais ce fut surtout le troisième pape Médicis, Pie IV, qui sut l'employer malgré son grand âge et l'impliqua dans un vaste projet d'urbanisme, à caractère avant tout esthétique : la via Pia qui, partant des statues antiques des Dioscures du Quirinal, rejoignait au nord-est les remparts de Rome au milieu des villas et des jardins des riches romains. Dans les dernières années de sa vie, Michel-Ange dessina la porta Pia qui marquait l'extrémité de la rue comme le point de fuite d'une perspective scénographique, pièce indéfendable et purement ornementale de fortifications jugées désormais désuètes ; il dirigea aussi l'aménagement de la grande salle des thermes de Dioclétien en l'église Sainte-Marie-des-Anges, l'un des temps forts de la via Pia. Parmi ses derniers projets figurent les trois plans si différents faits à la demande des consuls de la nation florentine à Rome pour l'église de leur colonie, Saint-Jean-des-Florentins. Faute des fonds nécessaires, le magnifique projet qui avait reçu leur accord demeura à l'état de maquette en bois, connue par des gravures ; et, en reconnaissance de ses talents, Michel-Ange fut désigné comme chef de l'Académie florentine de dessin fondée en 1563. C'était un an avant sa mort dans le quartier appelé Macel de' Corvi, près du forum de Trajan sur l'aménagement duquel il avait été consulté.

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  • : ancienne élève de l'École normale supérieure de Sèvres, maître de conférences en histoire de l'art des Temps modernes à l'université de Provence

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<it>La Mise au tombeau</it>, Michel-Ange - crédits :  Bridgeman Images

La Mise au tombeau, Michel-Ange

Nouvelle sacristie, Saint-Laurent , Florence - crédits :  Bridgeman Images

Nouvelle sacristie, Saint-Laurent , Florence

<i>David</i>, Michel-Ange - crédits : Rabatti - Domingie/ AKG-images

David, Michel-Ange

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