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BLAKE WILLIAM (1757-1827)

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Reconquête de l'innocence perdue

L'œuvre de Blake peut se subdiviser en écrits lyriques, théoriques et prophétiques – qui sont souvent les trois à la fois. On en citera ici les principaux. Les Chants d'Innocence (1789) et Les Chants d'Expérience (1794), chefs-d'œuvre de sa poésie lyrique, mettent en parallèle « deux états contraires de l'âme humaine ». L'innocence enfantine est pour Blake l'état le plus proche de la béatitude éternelle dont la chute dans l'existence incarnée a privé l'humanité. Mais, de sa participation à l'éternité, chaque enfant est à son tour sevré par le passage inéluctable à l'adolescence. Juxtaposés presque terme à terme aux Chants d'Innocence, les Chants d'Expérience en constituent une amère parodie. Là où s'épanouissaient la liberté, la pureté, la tendresse, la joie, et la perception spontanée du divin, règnent maintenant la culpabilité, la contrainte, la misère spirituelle et matérielle. Certes, l'enfant portait en lui la vulnérabilité au mal, mais c'est contre la société de son temps que Blake dresse son réquisitoire, contre l'hypocrisie d'une civilisation qui exploite et humilie l'enfance en se réclamant de la charité chrétienne et de la raison. Cette « petite chose noire » pleurant dans la neige, c'est le petit ramoneur ; ses parents, à l'église,

... louent Dieu et son prêtre et son roi, Qui se construisent un paradis de notre misère.

Et l'horreur de Blake devant la corruption de l'innocence et de l'amour par la moralité conventionnelle – celle des prêtres en noir qui « ligotent avec des ronces mes joies et mes désirs » – éclate avec une violence presque insoutenable dans le poème intitulé « Londres », où

... la malédiction de la jeune putain Étouffe les pleurs de l'enfant nouveau-né, Et accable de fléaux le corbillard du mariage.

La chute originelle est vouée à se reproduire dans chaque être humain jusqu'à la délivrance. Mais cette délivrance ne saurait être précipitée par un retour illusoire à l'innocence (c'est le sujet du Livre de Thel gravé en 1789). Nous ne pouvons pas nous soustraire à notre condition divisée. C'est seulement d'une réintégration dialectique des contraires par la puissance unifiante de l'imagination que nous viendra le salut – par la réconciliation de l'innocence et de l'expérience, le mariage du ciel et de l'enfer. La beauté, à chaque lecture plus surprenante, de ces courts poèmes tient en partie à la fraîcheur d'une vision véritablement enfantine, c'est-à-dire syncrétique, du monde. Les objets conservent intacte toute leur force de présence concrète ; nulle intellectualisation ne vient entamer leur fonction symbolique, qui est de rendre immédiatement sensible la plénitude limpide ou mystérieuse de l'être dans toutes les formes de l'existence finie, et de faire percevoir « l'éternité dans l'instant ».

Il n'y a pas de religion naturelle et Toutes les religions sont une (1788) : ces très courts manifestes théoriques proclament l'humanisme religieux de Blake, son rejet de tout déisme et de tout dogmatisme théologique. « Il n'y a pas de religion naturelle » parce que l'homme perçoit plus et autre chose que la finitude naturelle où se cantonne sa raison. La nature étant déchue, elle ne saurait révéler à l'homme la vérité à laquelle il aspire et qu'il doit tenir de sa seule imagination, ou « génie poétique ». Le génie poétique étant d'autre part universel, toutes les religions en dérivent, et n'en sont que les formes particulières : « Toutes les religions sont une », et l'homme en est l'unique source.

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Classification

Pour citer cet article

Claude DOUBINSKY et Régine LUSSAN. BLAKE WILLIAM (1757-1827) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 14/03/2009

Médias

<it>Baptême du Christ</it>, W. Blake - crédits : W. Blake/  Bridgeman Images

Baptême du Christ, W. Blake

<it>Le Mariage du Ciel et de l'Enfer</it> de William Blake - crédits :  Bridgeman Images

Le Mariage du Ciel et de l'Enfer de William Blake

<it>La Troisième Tentation</it>, W. Blake - crédits : Erich Lessing/ AKG-images

La Troisième Tentation, W. Blake

Autres références

  • WILLIAM BLAKE (exposition)

    • Écrit par
    • 1 035 mots

    On a pu dire que le xviiie siècle avait autant été le siècle des Lumières que de l'illuminisme. Nul doute que William Blake (1757-1827) se situa du côté des illuminés, comme on le voit tout au long de l'exposition présentée au Petit Palais, en partenariat avec le musée de la Vie romantique,...

  • ANGLAIS (ART ET CULTURE) - Littérature

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    Les deux premiers poètes dans lesquels les romantiques reconnurent leurs modèles, Robert Burns (1759-1796) et William Blake (1757-1827), étaient, chacun à sa façon, des révoltés. Spontanés et avec des intonations d'art populaire, ils se ralliaient pourtant à des traditions bien définies ; Burns se...
  • ANGLAIS (ART ET CULTURE) - Peinture

    • Écrit par et
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    ...tragique. L'expression d'une sensibilité personnelle devient avec lui le sujet même de la peinture (Le Cauchemar, 1781, Institute of Arts, Detroit). Son ami William Blake (1757-1827) se pose lui aussi en réaction contre l'académisme, et ses annotations rageuses en marge des Discours de Reynolds montrent...
  • ROMANTISME

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    ... (1759-1796), Écossais, homme simple et primitif, poète direct et fort, et l'un des rares qui aient exprimé une joie physique presque païenne. Le plus grand et le plus complexe est William Blake (1757-1827), isolé, n'ayant rien d'un théoricien, d'un chef d'école ou d'un philosophe comme voudront...
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    Né le 17 juillet 1912 à Sherbrooke (Québec), Northrop Frye est un des critiques littéraires les plus influents de la seconde moitié du xxe siècle. Après des études de théologie dans son pays d'origine, il étudie la littérature à Oxford. De retour au Canada, il entame une carrière universitaire...

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