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BLAKE WILLIAM (1757-1827)

Mythes de la réconciliation

<it>Le Mariage du Ciel et de l'Enfer</it> de William Blake - crédits :  Bridgeman Images

Le Mariage du Ciel et de l'Enfer de William Blake

Le Mariage du Ciel et de l'Enfer(1790-1793), malgré une structure assez composite, demeure l'exposé le plus précis des idées de Blake. La stratégie de ce pamphlet consiste à inverser ironiquement les symboles du Bien et du Mal, l'Ange et le Démon ; à identifier Satan avec l'énergie créatrice et à faire de l'Ange le représentant du dogmatisme ascétique et hypocrite du christianisme traditionnel. Dans la section des « Proverbes de l'Enfer », d'une frappe étonnamment incisive, se dessinent quelques thèmes essentiels :

a) Toute vitalité est sacrée, et la répression de l'instinct en entraîne la perversion : « Celui qui désire mais n'agit pas engendre la pestilence. » « Mieux vaut étouffer un enfant au berceau que de nourrir des désirs non agis. »

b) La loi morale répressive est responsable du mal : « De même que la chenille choisit les plus belles feuilles pour y poser ses œufs, de même le prêtre pose sa malédiction sur les plus belles joies. » « Les prisons sont construites avec les pierres de la loi, les bordels avec les briques de la religion. »

c) L'énergie et l'imagination créatrice l'emportent sur les contraintes dogmatiques de la raison : « La route de l'excès conduit au palais de la sagesse. » « Tu ne peux savoir ce qui est assez, à moins de savoir ce qui est plus qu'assez. » « Les tigres de la colère sont plus sages que les chevaux de l'instruction. » « L'exubérance est beauté. »

L'idéologie du Mariage du Ciel et de l'Enfer sera développée dans les Premiers Livres prophétiques, dont la rédaction s'étale de 1789 à 1795. Les Visions des filles d'Albion (1793) reprennent le thème de la morale puritaine déjà évoqué dans Le Mariage du Ciel et de l'Enfer. Elles sont à la fois le mythe de l'origine de cette morale et la représentation symbolique des conflits psychologiques individuels qui en résultent. Blake y proclame la sainteté de l'amour sexuel : « Heureux, heureux amour ! libre comme le vent des montagnes... »

Révolutions et libération

Les deux révolutions dont Blake fut le contemporain et qui fournissent le sujet de La Révolution française(1791, inachevée) et America (1793) manifestent sur le plan politique l'affrontement éternel entre les forces de l'oppression et celles de la liberté, le combat d'Urizen et Orc. Face à Urizen – caricature de Jéhovah – incarnant la tyrannie de la morale et de la raison, Orc est le héros prométhéen qui inspire les insurgés, réduit en poussière les tables de la Loi, et libère les puissances du désir et de l'imagination. Europe (1794) reprend ce conflit de plus haut, dans la perspective d'un mythe cyclique dont la figure centrale est ici Énitharmon, symbole de la finitude de l'étendue, et du principe de passivité féminine, où Blake voit une cause essentielle de la soumission à la tyrannie d'Urizen.

Le Livre d'Urizen (1794) et les ouvrages qui le complètent – Le Chant de Los, Le Livre d'Ahania, Le Livre de Los (1795) – constituent la première tentative de Blake pour élaborer en un mythe complet sa conception de la Genèse comme chute. Urizen y apparaît comme l'un des éternels qui, en proclamant orgueilleusement le règne séparé de sa loi, s'exclut lui-même de l'éternité. De la contemplation solitaire de sa propre puissance surgiront, par divisions successives, les essences et les catégories du monde créé. Mais Urizen ne sait que diviser et mesurer. C'est à Los, incarnation de l'énergie poétique éternelle, que revient la mission de donner une forme viable à la matière et de forger un à un les éléments du corps humain. L'engeance d'Urizen se multipliant sur terre, le prêtre originel veille à la retenir captive sous sa loi en tissant, à l'image des circonvolutions du cerveau humain, le filet[...]

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Pour citer cet article

Claude DOUBINSKY et Régine LUSSAN. BLAKE WILLIAM (1757-1827) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

<it>Baptême du Christ</it>, W. Blake - crédits : W. Blake/  Bridgeman Images

Baptême du Christ, W. Blake

<it>Le Mariage du Ciel et de l'Enfer</it> de William Blake - crédits :  Bridgeman Images

Le Mariage du Ciel et de l'Enfer de William Blake

<it>La Troisième Tentation</it>, W. Blake - crédits : Erich Lessing/ AKG-images

La Troisième Tentation, W. Blake

Autres références

  • WILLIAM BLAKE (exposition)

    • Écrit par Jean-François POIRIER
    • 1 035 mots

    On a pu dire que le xviiie siècle avait autant été le siècle des Lumières que de l'illuminisme. Nul doute que William Blake (1757-1827) se situa du côté des illuminés, comme on le voit tout au long de l'exposition présentée au Petit Palais, en partenariat avec le musée de la Vie romantique,...

  • ANGLAIS (ART ET CULTURE) - Littérature

    • Écrit par Elisabeth ANGEL-PEREZ, Jacques DARRAS, Jean GATTÉGNO, Vanessa GUIGNERY, Christine JORDIS, Ann LECERCLE, Mario PRAZ
    • 28 170 mots
    • 30 médias
    Les deux premiers poètes dans lesquels les romantiques reconnurent leurs modèles, Robert Burns (1759-1796) et William Blake (1757-1827), étaient, chacun à sa façon, des révoltés. Spontanés et avec des intonations d'art populaire, ils se ralliaient pourtant à des traditions bien définies ; Burns se...
  • ANGLAIS (ART ET CULTURE) - Peinture

    • Écrit par Jacques CARRÉ, Barthélémy JOBERT
    • 8 176 mots
    • 12 médias
    ...tragique. L'expression d'une sensibilité personnelle devient avec lui le sujet même de la peinture (Le Cauchemar, 1781, Institute of Arts, Detroit). Son ami William Blake (1757-1827) se pose lui aussi en réaction contre l'académisme, et ses annotations rageuses en marge des Discours de Reynolds montrent...
  • ROMANTISME

    • Écrit par Henri PEYRE, Henri ZERNER
    • 22 170 mots
    • 24 médias
    ... (1759-1796), Écossais, homme simple et primitif, poète direct et fort, et l'un des rares qui aient exprimé une joie physique presque païenne. Le plus grand et le plus complexe est William Blake (1757-1827), isolé, n'ayant rien d'un théoricien, d'un chef d'école ou d'un philosophe comme voudront...
  • FRYE NORTHROP (1912-1991)

    • Écrit par Jean-Marie SCHAEFFER
    • 636 mots

    Né le 17 juillet 1912 à Sherbrooke (Québec), Northrop Frye est un des critiques littéraires les plus influents de la seconde moitié du xxe siècle. Après des études de théologie dans son pays d'origine, il étudie la littérature à Oxford. De retour au Canada, il entame une carrière universitaire...

  • Afficher les 8 références

Voir aussi