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COMTE AUGUSTE (1798-1857)

De la science à la philosophie

L'idée comtienne de la science

Pourquoi Auguste Comte, contrairement à Saint-Simon, présente-t-il une réflexion sur la science en préambule à un plan de réforme sociale ? Cela tient à l'idée qu'il se fait de la science, non pas seulement somme de savoirs, mais rapport global de l'homme au monde. Par suite, elle s'offre avant tout comme un principe et un système de croyances. Or toute organisation sociale repose, en dernière analyse, sur un système de cette sorte. Si la science se révèle comme le seul type de croyance actuellement efficace, alors la réforme sociale repose sur la science. De cela Comte est profondément convaincu parce que lui-même a perdu la foi en recevant une éducation scientifique. Désormais, toute vérité doit être prouvée. Au juste, seul un petit nombre d'hommes est susceptible de comprendre les démonstrations scientifiques ; cela n'a pas d'importance car la science fournira même aux ignorants une foi suffisante pour établir un ordre social. On voit donc que les deux formules qui résument la science dans la première leçon du Cours : «  Savoir pour pouvoir afin de pourvoir » et « Savoir pour savoir » ne sont pas incompatibles comme un pur pragmatisme et un pur intellectualisme. Le but le plus haut : « Savoir pour savoir », exprime le lien entre les hommes et n'exclut pas une certaine utilité.

Cependant, alors que les croyances théologiques permettaient une représentation organisée, et, par suite, fondaient une société durable, les sciences, au début du xixe siècle, demeurent des ensembles partiels, impropres à produire une vue d'ensemble. Il est impossible de concilier la théologie et la science. Il n'y a pas à proprement parler conflit logique ou dialectique entre elles. Un nouveau mode d' explication frappe les dogmes d'obsolescence. Aussi l'esprit positif prétend-il éviter la polémique et aspire à s'établir pacifiquement dans les institutions d'Église. Forte d'un consensus universel qu'elle est la première à réaliser, la science doit triompher par le seule arme de la preuve, triomphe à la longue inévitable.

Nous avons bien l'expérience d'une certaine coexistence des deux types d'explication. Mais, faute de cohérence logique, cette coexistence se caractérise par l'anarchie de l'entendement, l'absence de gouvernement spirituel ou intellectuel, la critique négative ou corrosive, la cacophonie des opinions individuelles. C'est le moment, désastreux, de l'anarchie ou de la métaphysique. Elle croît sur un déficit des sciences qui n'ont pas encore pris en général conscience de leur essence, ni constitué un système organisé qui réponde à l'exigence d'unité de l'esprit humain. La philosophie positive aura pour tâche de remédier à ces défauts.

Un certain nombre de sciences sont parvenues à l'état positif ; ce sont la mécanique, l'astronomie, la physique, la chimie et la biologie. Elles fourniront des modèles, ou du moins des exemples à méditer. D'autre part, Comte prétend s'inspirer de Descartes, de Hobbes, de Galilée, de leurs successeurs... Pourtant, l'esprit positif a des racines populaires. Il est né des efforts pour satisfaire des besoins ; à toute science doit correspondre un art qui utilise les relations afin de modifier les séries d'événements : savoir pour pourvoir ! Mais nulle science ne saurait se développer qu'en mettant entre parenthèses son usage immédiat. Savoir pour savoir se donne pour un plus haut idéal, mais, en définitive, se révèle à la longue plus utile. De là la valeur de la création d'une caste sacerdotale qui se consacrera à la spéculation et accordera de plus en plus d'attention aux phénomènes et aux lois pour engendrer les hommes de science. L'intelligence humaine est une,[...]

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Pour citer cet article

Bernard GUILLEMAIN. COMTE AUGUSTE (1798-1857) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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Auguste Comte - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Auguste Comte

Autres références

  • COURS DE PHILOSOPHIE POSITIVE, Auguste Comte - Fiche de lecture

    • Écrit par Éric LETONTURIER
    • 926 mots
    • 1 média

    Le Cours se situe dans la seconde des trois grandes périodes que traditionnellement la postérité voit dans la production d'Auguste Comte (1798-1857), juste entre les Opuscules (1820-1826) et le Système de politique positive (1851-1854). D'abord professé à partir d'avril 1826 à son domicile,...

  • CAUSALITÉ

    • Écrit par Raymond BOUDON, Marie GAUTIER, Bertrand SAINT-SERNIN
    • 12 987 mots
    • 3 médias
    ...substance. Or nous ne disposons que des informations fournies par l'expérience. Dès lors, et c'est la conviction du fondateur du positivisme, Auguste Comte : « nos études réelles sont strictement circonscrites à l'analyse des phénomènes pour découvrir leurs lois effectives, c'est-à-dire leurs...
  • CONSENSUS

    • Écrit par André AKOUN
    • 2 723 mots
    Ainsi Auguste Comte comme Émile Durkheim pensent que toute société est, par nature, fondée sur le consensus, expression et condition de l'unité de la conscience collective. Pour eux, les conflits ne sont pas le ressort caché de l'histoire ; ils sont le symptôme d'un dérèglement qui naît de...
  • DURKHEIM (ÉCOLE DE)

    • Écrit par Claude JAVEAU
    • 2 538 mots
    ...s'est assigné la tâche de créer la science sociologique, avec ses propres objets, sa méthodologie et ses modèles explicatifs. Philosophe de formation, il se situe dans la lignée positiviste de Comte (1798-1857), l'inventeur du mot sociologie. Le positivisme ne s'intéresse ni aux causes premières...
  • ÉPISTÉMOLOGIE

    • Écrit par Gilles Gaston GRANGER
    • 13 112 mots
    • 4 médias
    ...seulement dégager des formes, mais encore décrire des contenus a priori de la pensée scientifique. En un autre sens encore, l'épistémologie positiviste d' Auguste Comte et de ses émules, au milieu du xixe siècle, est essentiellement post-kantienne. D'une part, elle met en vedette le caractère « phénoménal...
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