COMTE AUGUSTE (1798-1857)
De la nature humaine à l'ordre social
Bien entendu, la religion de l'humanité, proclamée en 1847, ne pouvait pas apparaître dans le Cours. En revanche, dans le Système de politique positive, outre sa fonction de connaissance, la sociologie fonde directement la religion. Comte examine d'abord l'ordre humain « comme s'il était immobile » (Système, t. II, p. 3). C'est la fonction de la statique sociale, qui doit précéder l'étude de l'évolution humaine.
On trouve d'abord un préambule étonnant et hasardeux : Comte prétend définir la nature humaine à partir de la physiologie ; son « tableau cérébral » s'inspire de Gall. Comte veut faire « reposer » la sociologie sur la biologie. Mais n'a-t-on pas affaire à un artifice ? Tout cela pour exposer que l'homme possède une triple nature : il est actif, animé de sentiments et intelligent. Sa nature est action, comme en témoignent ses organes moteurs et c'est pourquoi il se détourne de la spéculation. Mais l'activité est lancée par le cœur (le sentiment), la pensée abstraite ne suffit pas à déterminer l'action. Enfin, l' intelligence n'a qu'une fonction de contrôle. L'activité comporte trois tendances : le courage, la prudence et la persévérance. Les sentiments peuvent être égoïstes (nutrition, sexualité, maternité), égo-altruistes (instincts militaire et industriel, qui poussent à la collaboration ; vanité, qui demande l'admiration des autres ; orgueil, qui veut les dominer) ou altruistes (attachement, vénération, bonté universelle). Les sentiments sont localisés en arrière du cerveau pour se tenir près des organes moteurs et d'autant plus en arrière qu'ils sont plus égoïstes. L'intelligence se décompose en conception et expression : passive, la conception est abstraite ou concrète ; active, elle est induction ou déduction ; l'expression est mimique, orale ou écrite. L'intelligence se localise en avant du cerveau, près des organes des sens. L'histoire ne change pas cette organisation, mais la civilisation renforce les parties les plus nobles et les plus faibles, l'intelligence, et, du fait surtout de la religion, la bonté.
Dans le tome II du Système de politique positive, Comte décrit les fonctions sociales – religion, propriété, famille, langage, division du travail –, puis il décrit la société positiviste, organisée par le sacerdoce ; enfin, il fait voir comment la dynamique dépend des lois de la statique. La religion produit le consensus. Comte croit que le mot dérive de religare, étymologie fantaisiste que Littré, pourtant, reprendra. Elle s'adresse à l'intelligence par le dogme, au sentiment par le culte, enfin à l'action par le « régime », sorte de règle d'ensemble pratique. On ne peut dissocier les trois chapitres qui traitent de la propriété, de la famille et du langage. La propriété (contrairement à Marx, Comte ne se préoccupe guère du mode d'appropriation) projette dans la société l'activité ; la famille y projette le sentiment ; le langage y projette l'intelligence. La famille, où se concrétise les sentiments d'attirance mutuelle (frères) et de vénération (parents), joue le rôle de cellule sociale : pas d'individus isolés. Elle assure la reproduction de l'humanité, ce qui permet à la propriété de jouer son rôle, en accumulant les biens transmis par les ancêtres, et au langage de jouer le sien, en accumulant le savoir acquis par l'intelligence. Une loi d'accumulation règne, qui permet les formules passées en proverbe : « L'humanité se compose de plus de morts que de vivants » ou « Les morts gouvernent de plus en plus les vivants ». Comte valorise la culture, en homme de tradition qu'il est. Ce n'est pas le moindre de ses paradoxes que de[...]
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Écrit par
- Bernard GUILLEMAIN : professeur émérite à l'université de Rouen
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