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YUEFU [YUE-FOU]

Le terme yuefu, l'un des plus originaux et des plus significatifs de l'histoire de la littérature chinoise, désigne d'abord, pendant un peu plus de cent ans, un département de l'administration impériale des Han antérieurs (206 av.-9 apr. J.-C.), le «  Bureau de la musique », responsable de la collecte des chansons populaires et de la direction de la musique de cour ; puis il désigne les « poèmes à chanter » qu'ont élaborés ce conservatoire ou les services qui lui ont succédé ; puis les paroles nouvelles composées sur les mêmes airs par des poètes lettrés, ou encore les pièces de vers qui, sans être mises en musique, ont imité le style des précédentes et se sont donné pour titre le nom d'un « timbre » ancien ou nouveau ; enfin, par-delà même la dynastie des Tang, ces descendants lointains que furent les genres poétiques du ci et du qu. La fortune de ce terme et l'ampleur croissante de ses acceptions rappellent deux propriétés fondamentales de la poésie chinoise : son association avec la musique et sa régénération périodique aux sources du lyrisme populaire.

Le Bureau de la musique, laboratoire du lyrisme classique

Les contradictions des historiens anciens ne permettent pas d'affirmer que l'empereur Wudi des Han (140-87 av. J.-C.) ait créé lui-même le Bureau de la musique. Du moins a-t-il assigné vers 111 à ce service, sous la direction de son favori, le musicien Li Yannian, une mission originale : fournir à de nouvelles cérémonies religieuses, que l'empereur voulait splendides, une musique digne d'elles, c'est-à-dire libérée des contraintes de l'insipide musique ancienne et hardie à s'inspirer des airs populaires ou même barbares. Outre la supervision de ces liturgies, le Yuefu eut la charge d'assurer les divertissements musicaux de la cour et rassembla des spécialistes venus de tout l'Empire, chanteurs, acteurs et musiciens. Foyer de perdition aux yeux des confucianistes, le Yuefu fut aboli en 7 avant J.-C. par l'empereur Aidi, qui souhaitait restaurer l'ordre moral et bannir la musique dite nouvelle. Mais d'autres services prirent ensuite la relève : la plupart des poèmes qui ont été conservés sous le nom de yuefu sont postérieurs à la disparition du conservatoire de Wudi.

Malgré sa suppression prématurée, les expériences du Bureau de la musique ont donné à la poésie une impulsion décisive. Ce service a pris le relais des antiques collecteurs de chansons populaires (les probables compilateurs du Shijing) – encore que sa mission fût d'ordre artistique, la leur ayant été plutôt d'enquêter sur les variations de l'opinion publique. Réformateur de cette tradition vénérable, le Yuefu a préparé directement le premier apogée de la poésie classique, celui de l'époque Jian'an (196-220), où les poètes lettrés, férus de yuefu, exploitent à fond les ressources du genre.

Plus tard, à partir du ive siècle, la Chine divisée connaîtra au Nord comme au Sud un puissant réveil de la chanson populaire, ou, plus exactement, un renouveau de l'engouement des lettrés pour la chanson populaire. Si la dynastie des Han est l'âge d'or des yuefu, l'époque des Six Dynasties en voit renaître la fraîcheur et la sincérité. Les grands poètes des Tang recueilleront l'héritage de ces deux floraisons, ainsi que des maîtres de l'époque Jian'an, ces virtuoses du yuefu dont ils feront leurs modèles favoris.

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Pour citer cet article

Jean-Pierre DIÉNY. YUEFU [YUE-FOU] [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • BO JUYI [PO KIU-YI] (772-846)

    • Écrit par Jean-Pierre DIÉNY
    • 1 636 mots
    ...– prenaient place cent soixante-dix pièces environ, les plus chères au cœur du poète réformateur. Le noyau en était constitué par cinquante « nouveaux yuefu », où revivait l'esprit satirique des chansons des Han, héritières directes du Shi jing. Ces chansons, pensait Bo, auraient dû voler de...
  • CAO PI [TS'AO P'I] ou CAO PEI [TS'AO P'EI] (187-226) empereur sous le nom de WENDI [WEN-TI] (220-226)

    • Écrit par Jean-Pierre DIÉNY
    • 402 mots

    À la mort de Cao Cao (220), le vainqueur de la guerre civile où sombra la dynastie des Han, Cao Pi (ou Cao Pei), son fils aîné, lui succéda comme roi de Wei et Premier ministre du dernier empereur des Han. Quelques mois plus tard, celui-ci renonçait à son trône en faveur de Cao Pi, qui fonda...

  • CAO ZHI [TS'AO TCHE] (192-232)

    • Écrit par Jean-Pierre DIÉNY
    • 1 385 mots
    .... Mais c'est comme poète lyrique que Cao Zhi s'est élevé au premier rang. Dans les quelque quatre-vingt-dix pièces qu'il a laissées, en majorité des « poèmes à chanter » ( yuefu), la critique a très tôt remarqué l'harmonieux équilibre de l'inspiration et de l'expression.
  • CHINE - Histoire jusqu'en 1949

    • Écrit par Jean CHESNEAUX, Jacques GERNET
    • 44 594 mots
    • 50 médias
    ...de Chu (Chu ci) et qui consiste en longues descriptions rythmées dénommées fu. En 110 avant J.-C. est créé, à la cour de l'empereur Wu, un Bureau de la musique (Yue fu) qui, par des emprunts aux populations étrangères et aux milieux populaires, renouvelle les formes poétiques héritées de l'antique...
  • Afficher les 7 références

Voir aussi