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VACCINATION

Vers l’obligation vaccinale et sa contestation

La donne change lorsque, à la fin des années 1810, la variole ressurgit dans le monde et fait des ravages y compris en Europe au sein d’une population censée être au moins partiellement vaccinée depuis une bonne décennie. Les cas de contamination par la syphilis et autres incidents sont statistiquement ignorés, les médecins produisent dans l’urgence des atlas dermatologiques permettant de différencier la vraie vaccine de la « fausse vaccine » dont les effets protecteurs sont nuls et les États finissent par se résoudre au rappel puis à l’obligation. C’est chose faite en Bavière dès 1807, suivie par la Suède en 1816 puis l’Angleterre en 1853, dans le cadre des grandes réformes de l’assistance offerte aux pauvres (Poor Laws). Alors qu’il est toujours aussi difficile de garantir la « pureté » du vaccin, ces États n’exercent cependant de contrôle strict que sur les populations les plus dépendantes (soldats, adultes et enfants assistés, employés, ouvriers, esclaves, indigènes des colonies, etc.) à qui on ne laisse guère le choix et qui font parfois tout pour échapper à la scarification salvatrice qu’ils assimilent à une marque de soumission. Dans les colonies, baïonnettes et lancettes sont rejetées d’un même mouvement. On soupçonne le colon de vouloir stériliser les femmes et paralyser le bras des hommes, quand ce n’est pas de les christianiser de force avec du sang de « mécréant » ; de graves émeutes éclatent ainsi à Philippeville (aujourd’hui Skikda), en Algérie, dans la décennie 1860.

Quoi qu’il en soit, la vaccine reste à cette époque le seul exemple d’une prévention vaccinale efficace. Aucun des autres maux (fièvre jaune, syphilis, choléra, typhoïde, tuberculose, etc.) qui font des ravages parmi les populations du xixe siècle ne trouve remède. Les hygiénistes, partagés entre contagionnistes et anticontagionnistes, améliorent lentement les conditions de vie au fur et à mesure que l’industrialisation et l’urbanisation galopantes les dégradent. Certaines maladies comme la peste régressent et d’autres comme la tuberculose prospèrent selon un processus dynamique – et pour des raisons loin d’être toutes biologiques – auquel l’historien de la médecine Mirko Grmek donnera bien plus tard le nom de « pathocénose ».

Après la guerre franco-prussienne de 1870, la variole est toujours là et les gouvernements décident de renforcer leur législation vaccinale – la vaccine est toujours le seul vaccin disponible. Les jeunes nations comme l’Allemagne et l’Italie adoptent des lois coercitives respectivement en 1874 et 1888, et la Grande-Bretagne renforce la sienne en 1871 – la France prend son temps puisque l’obligation n’apparaîtra que dans l’article 6 de la grande loi de santé publique de 1902. Ces lois sont conçues comme un moyen de modernisation à marche forcée de la part de gouvernements qui se veulent « éclairés », à une époque très largement marquée par un scientisme exalté. Mais, lorsqu’on demande au peuple, en l’occurrence le peuple suisse, en 1882, de se prononcer sur une obligation, la proposition de loi fédérale est rejetée à près de 80 % !

Révolte contre la vaccination antivariolique au Brésil - crédits : IEA São Paulo

Révolte contre la vaccination antivariolique au Brésil

L’ère de la contestation de rue contre la vaccination commence ; elle s’étendra des années 1870 jusqu’au lendemain de la Première Guerre mondiale. Auparavant, le mouvement « vaccinophobe » (le mot est d’époque) a surtout été le fait de médecins en marge de l’enseignement académique, partisans des médecines alternatives qui foisonnent depuis le début du xixe siècle. Les lois d’obligation politisent le mouvement, en même temps qu’elles l’internationalisent et le démocratisent. Ces manifestations ont surtout lieu dans les pays anglo-saxons (Angleterre, Canada, États-Unis) mais aussi en Amérique du Sud (Rio de Janeiro, 1904) et plus sporadiquement dans les colonies[...]

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Écrit par

  • : docteure en pharmacie, docteure ès sciences, maître de conférences en immunologie, université de Bourgogne
  • : enseignant-chercheur, maître de conférences en histoire moderne, université de Bourgogne

Classification

Pour citer cet article

Françoise SALVADORI et Laurent-Henri VIGNAUD. VACCINATION [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

<em>The Cow-pock</em>, J. Gillray - crédits : Library of Congress, British Cartoon Prints Collection

The Cow-pock, J. Gillray

Révolte contre la vaccination antivariolique au Brésil - crédits : IEA São Paulo

Révolte contre la vaccination antivariolique au Brésil

File d’attente devant un centre de vaccination antivariolique à New York - crédits : Bettmann/ Getty Images

File d’attente devant un centre de vaccination antivariolique à New York

Autres références

  • CALENDRIER VACCINAL

    • Écrit par Gabriel GACHELIN
    • 2 597 mots
    • 1 média

    Depuis la « vaccine », élaborée par Edward Jenner en 1796 pour prévenir la variole, on dispose d’une multiplicité croissante de vaccins contre nombre de maladies infectieuses. Chaque vaccin possède ses particularités d’activité et de prescription. Médicaments de prévention contre...

  • ANTHROPOLOGIE DES ZOONOSES

    • Écrit par Frédéric KECK, Christos LYNTERIS
    • 3 954 mots
    • 4 médias
    ...avec les animaux, étudiés par l’ethnozoologie, font partie des modes d’interaction mobilisés dans une crise sanitaire causée par une zoonose. Ainsi la vaccination contre la brucellose en Mongolie implique de connaître les conceptions locales de l’élevage pastoral en fonction des transformations du paysage...
  • BACTÉRIOLOGIE

    • Écrit par Jean-Michel ALONSO, Jacques BEJOT, Michel DESMAZEAUD, Didier LAVERGNE, Daniel MAZIGH
    • 18 329 mots
    • 11 médias
    ...possibilité d'immuniser contre une maladie par l'injection du microbe atténué : des cultures vieillies d'une bactérie entraînent, chez l'animal, une maladie peu grave ; mais cet animal est devenu réfractaire au microbe virulent : il est immunisé. C'est le principe desvaccinations.
  • CANCER - Cancer et santé publique

    • Écrit par Maurice TUBIANA
    • 14 762 mots
    • 8 médias
    ...la lenteur de l'évolution des lésions, il est inutile de le pratiquer plus souvent) et leur traitement permet d'éviter l'apparition de cancer invasif. Des vaccins existent contre les variétés de papillomavirus les plus fréquemment en cause. Cette vaccination peut avoir un rôle préventif important,...
  • CANCER - Cancers et virus

    • Écrit par Sophie ALAIN, François DENIS, Sylvie ROGEZ
    • 5 660 mots
    • 6 médias
    Pour les tumeurs viro-induites, quand le lien est très fort, des vaccins dirigés contre le virus peuvent être efficaces pour combattre la tumeur. On distingue des vaccins prophylactiques et des vaccins curatifs.
  • Afficher les 53 références

Voir aussi