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SCIENCES ET PHILOSOPHIE

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La philosophie à l'âge de la science

La théorie philosophique de la connaissance scientifique

Les progrès de la science positive ne sont pas sans conséquence sur la pensée philosophique elle-même. Les sciences couvrant désormais l'ensemble du connaissable ou presque, la philosophie semble littéralement sans objet, d'autant qu'il est impensable qu'elle rivalise avec les sciences positives en utilisant ses propres méthodes. Pour sauver et légitimer son existence, elle en vient à abandonner la connaissance de l'étant aux sciences positives et se tourne vers la connaissance scientifique elle-même. En devenant théorie de la connaissance (Erkenntnistheorie), elle retrouve un domaine spécifique, inaccessible, par principe, aux sciences positives. La théorie de la connaissance est en fait aussi ancienne que la philosophie elle-même : dans le Théétète, Platon cherchait déjà à définir l'essence de la science, et, dans l'Organon, Aristote formalisait le raisonnement scientifique. Mais elle a pris une ampleur nouvelle à la fin du xixe siècle. Afin d'en donner un aperçu, nous allons présenter ici deux des principales tendances apparues à cette époque : le néo-kantisme, qui s'est développé principalement en Allemagne, et le positivisme.

Les fondements transcendantaux de la connaissance scientifique : le néo-kantisme

Le néo-kantisme, et singulièrement le néo-kantisme de l'école de Marbourg, fondée par Hermann Cohen, se veut d'abord et avant tout une réflexion sur le fait de la science, et principalement de la science physico-mathématique de la nature. « Quiconque nous est lié, écrivent Cohen et Paul Natorp en lançant le journal de l'école de Marbourg, s'en tient avec nous à la fondation de la méthode transcendantale. La philosophie est liée, selon nous, au fait de la science, selon la manière dont elle s'élabore elle-même. La philosophie est par conséquent la théorie des principes de la science, et plus généralement de toute la culture. » D'une façon générale, les néo-kantiens de Marbourg transforment, chacun à leur manière, le criticisme kantien en ce qu'on pourrait appeler un « idéalisme logique ». La dualité, fondamentale chez Kant, de la sensibilité et de l' entendement disparaît au profit de l'entendement. Cela veut dire qu'il n'y a pas de facteur étranger à la pensée, pas de donné externe, mais que tout être est un être posé par la pensée, est un produit de la pensée elle-même.

Dans son ouvrage principal, La Théorie kantienne de l'expérience (Kants Theorie der Erfahrung), HermannCohen voit dans la Critique de la raison pure de Kant une « critique de l' expérience ». L'expérience n'a pas ici son sens ordinaire, mais désigne la connaissance scientifique ou physico-mathématique de la nature. « On ne doit pas penser, sous le terme expérience, à la vulgaire experientia mater studiorum ; pas davantage à l'histoire naturelle opposée à la science théorique de la nature ; mais l'expérience doit valoir comme expression commune pour tous lesfaits et méthodes de la connaissance scientifique avec lesquels, à l'exclusion de l'éthique, la philosophie a affaire. » Kant est parti d'un donné, à savoir le fait de la science newtonienne de la nature, et a entrepris, dans la Critique de la raison pure, d'en faire la théorie. Il a cherché à dégager les concepts « nécessaires et suffisants pour fonder et légitimer » le savoir physico-mathématique. Ces concepts sont, contrairement à ce qu'on pourrait s'imaginer, peu nombreux, et rares sont ceux qui ont été récemment découverts : « Dans toutes nos méthodes et dans les résultats, nous opérons principalement et de préférence avec les mêmes concepts fondamentaux que ceux que les Grecs, nos maîtres dans les sciences, nous ont transmis. » Les concepts[...]

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Écrit par

  • : ancien élève de l'École polytechnique, agrégé de philosophie, professeur à l'université de Grenoble-II

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Pour citer cet article

Alain BOUTOT. SCIENCES ET PHILOSOPHIE [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 14/03/2009

Médias

Euclide - Alexandrie (Égypte) - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Euclide - Alexandrie (Égypte)

Percy Bridgman - crédits : Keystone/ Hulton Archive/ Getty Images

Percy Bridgman

Ludwig Wittgenstein - crédits : Erich Lessing/ AKG-images

Ludwig Wittgenstein

Autres références

  • SCIENCE, notion de

    • Écrit par
    • 1 954 mots

    La science désigne traditionnellement, pour les philosophes, une opération de l'esprit permettant d'atteindre une connaissance stable et fondée. Platon (428 env.-env. 347 av. J.-C.) oppose ainsi, dans le livre V de La République, la science et l'opinion, cette dernière réputée changeante...

  • ÂGE DE LA TERRE

    • Écrit par
    • 5 143 mots
    • 5 médias
    Tout comme le jour et la nuit, les saisons, les années et les générations semblent se répéter inlassablement. D'un bout à l'autre de la Terre, il en résulta une conception du temps qu’on a qualifié de cyclique. Comme l’a résumé Mircea Eliade dans son classique Mythe de l’éternel...
  • ALEMBERT JEAN LE ROND D' (1717-1783)

    • Écrit par
    • 2 874 mots
    • 2 médias
    En contrepoint à son œuvre scientifique et en relation avec elle, d'Alembert a développé une théorie de la connaissance influencée par Locke et le sensualisme de Condillac, mais centrée avant tout sur une épistémologie de la physique newtonienne. C'est à nos sensations que nous devons...
  • ALTHUSSER LOUIS (1918-1990)

    • Écrit par et
    • 4 570 mots
    On attribue souvent à Althusser le principe d'une séparation tranchée entre « science » et « idéologie ». Dans Pour Marx et Lire « Le Capital », « science » désigne à la fois le projet marxiste de produire des connaissances objectives et l'inscription de ce projet dans le camp des sciences...
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    Si l’anthropologie s’est définie contre la métaphysique classique en remplaçant un discours sur Dieu comme fondement de toutes choses par un discours sur l’homme comme sujet et objet de connaissance (Foucault, 1966), elle a renoué depuis les années 1980 avec l’ontologie, définie comme un...

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