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ROME ET EMPIRE ROMAIN L'Antiquité tardive

Les travaux les plus récents s'efforcent de montrer que le ive siècle, loin d'être une période de profonde « décadence », a connu au contraire une brillante renaissance dans tous les domaines de la civilisation. L'expression « Bas-Empire », jugée péjorative, est délaissée par certains historiens qui préfèrent parler de l'« Antiquité tardive ».

Dioclétien et la tétrarchie (284-305)

Pour la première fois depuis longtemps un règne allait durer plus de vingt ans et se terminer par une abdication volontaire. Tels furent la chance et le mérite de Dioclétien, cet officier dalmate dont l'esprit organisateur et ingénieux créa les institutions du « Bas-Empire », en systématisant l'œuvre de ses prédécesseurs depuis Septime Sévère. Arrivé au pouvoir dans l'idée de régner seul, il en vint après dix-huit mois à tenir pour nécessaire la présence d'un collègue et choisit comme César, puis comme Auguste, en 286, un de ses compagnons d'armes, Maximien, plus spécialement chargé d'administrer l'Occident et d'éliminer l'usurpateur Carausius, chef de l'armée de Bretagne. L'opération se révélant délicate, il alla plus loin : en 293, peut-être le même jour, ou à quelques semaines d'intervalle (mars-mai), il donna à Maximien un César, Flavius Constance, et prit lui-même pour adjoint Galère ; tous deux étaient des officiers illyriens de valeur. Ainsi fut formée la « tétrarchie » (pouvoir à quatre), qui semble résulter moins d'un système prémédité que de la pression des événements. De ce point de vue, le résultat fut excellent : Carausius et son successeur Allectus furent éliminés par Constance ; les Francs et les Alamans en Gaule, puis les Maures en Afrique furent battus par Maximien ; sur le Danube, Dioclétien puis Galère repoussèrent les Iazyges et les Carpes, qui furent détruits, et en Orient, où le Perse Narsès reprenait les projets de Sapor et soulevait contre Rome les nomades égyptiens (Blemmyes), les Bédouins du désert (Saraceni), les Juifs et les Manichéens de Mésopotamie, Galère remporta une belle victoire et, en 298, la paix de Nisibe reconstituait une Mésopotamie romaine, accrue de cinq provinces au-delà du Tigre. La présence de quatre empereurs, deux Augustes au sommet, et deux Césars, leurs exécutants plus jeunes, n'entraîna aucun partage territorial, mais seulement une répartition des troupes et des secteurs d'opération. Les pouvoirs des empereurs et leurs titres étaient ceux du principat (puissance tribunicienne, imperium), mais renforcés de toute la tradition militaire du iiie siècle. Pour les renforcer encore, Dioclétien divinisa la fonction impériale même, se plaçant avec Galère qu'il avait adopté, sous la protection directe de Jupiter, dont il tenait son pouvoir et se disait descendant (dynastie des Jovii), et donnant sur les mêmes bases Hercule pour patron à Maximien et Constance (les Herculii). Bien qu'adorateur de Mithra, il remettait en honneur les dieux traditionnels de Rome, et malgré l'adoratio (proskynèse), il répudiait l'excès d'orientalisme de certains de ses prédécesseurs (Élagabal, Aurélien). Les dieux païens étant les protecteurs et les créateurs des empereurs, le paganisme devait être défendu : après des années d'indifférence, en 303, peut-être poussé par Galère, plus fanatique que lui, il déclencha contre les chrétiens, que leur force rendait imprudents, la dernière et la plus terrible des persécutions. Mais il était trop tard, les rigueurs furent inégalement appliquées, la population ne suivait plus, le christianisme ne put être extirpé. En mai 305, après leurs vingt ans de règne, Dioclétien et Maximien abdiquèrent le même jour, l'un à Nicomédie, l'autre à Milan. Cette initiative étonna les contemporains, mais elle était préméditée et répondait à des vues précises : les Césars furent promus Augustes, et deux nouveaux Césars leur furent adjoints, des amis de Galère, en Occident Sévère auprès de Constance, en Orient Maximim Daia auprès de Galère. En éliminant les fils adultes de Maximien (Maxence) et de Constance (le futur Constantin), Dioclétien prenait un grand risque, car le prestige de l'hérédité survivait chez les troupes et dans les populations. Mais il restait fidèle à son « système », qui n'était autre que le choix du meilleur, avec la protection des dieux.

Arc de Galère, Thessalonique - crédits : Marco Verch/ FLickr ; CC BY 2.0

Arc de Galère, Thessalonique

Arc de Galère (détail) - crédits : Brad Hostetler/ FLickr ; CC BY 2.0

Arc de Galère (détail)

Ses réformes durèrent plus que sa tétrarchie. Il diminua l'effectif de chaque légion mais en porta le nombre de 39 à 60, et l'armée compta environ 400 000 hommes. Parmi eux, les limitanei, de valeur moindre, souvent barbares, gardaient les forts et les fortins (castella, burgi) du limes, qui fut partout soigneusement revu, et grandement amélioré en bordure du désert syrien notamment (strata diocletiana, révélée par la photographie aérienne et les fouilles). L'armée de manœuvres, fantassins et cavaliers, placée sous le commandement direct des empereurs, était chargée de réduire les Barbares qui auraient percé la frontière. Les généraux, tous des chevaliers, sont des duces et des praepositi. Le recrutement fut facilité par l'obligation faite aux propriétaires de fournir des recrues (praebitio tironum) sur la base de leurs charges fiscales. L'organisation territoriale de l'Empire est modifiée : Rome n'est plus qu'une capitale nominale, chaque empereur ayant sa résidence, plus proche des frontières, Trèves, Milan, Sirmium, Nicomédie. Les provinces « volent en éclats » (Lactance), sont morcelées et portées à plus d'une centaine. Leurs gouverneurs sont soit des sénateurs, soit des chevaliers (praesides) ; l'Italie elle-même est « provincialisée », découpée en secteurs confiés à des « correcteurs » sénateurs. De grands «   diocèses » regroupent ces provinces, sous l'autorité de « vicaires » équestres, placés sous les ordres directs des empereurs. Les préfets du prétoire, toujours au nombre de deux, sont surtout des législateurs et des juges, mais, par le biais de l'annone, ils ravitaillent les armées et contrôlent la vie économique. L'administration centrale est formée de bureaux (scrinia), peuplés d'officiales enrégimentés dans une militia, commandés par des magistri. La hiérarchie des fonctionnaires se précise et les hauts postes confèrent à leurs titulaires (préfets du prétoire, gouverneurs de provinces importantes) le clarissimat, c'est-à-dire la dignité sénatoriale. Dioclétien et ses bureaux ont réformé l'annone, qui assure l'essentiel des ressources publiques : chaque bien foncier est estimé, au point de vue fiscal, en unités de même valeur imposable, appelées tantôt juga, tantôt capita, mais équivalentes, le nombre de ces unités étant fonction de la valeur du sol, de ses cultures, de son équipement en hommes et en matériel. Chaque année les bureaux fixent la quantité de produits à livrer par unité fiscale, et une simple multiplication indique la quote-part de chacun. Tous les cinq ans, puis, après 312, tous les quinze ans, l'indictio corrige les estimations, en tenant compte des modifications survenues dans l'intervalle. Ce système complexe et technocratique ne fut pas appliqué d'un coup ni partout, et rendit nécessaires beaucoup de déclarations, de contrôles, de recensements, mais il marque un réel progrès dans l'égalité fiscale, ce qui permit à l'administration de se montrer plus exigeante. Pour restaurer la vie et l'équilibre économiques, après avoir rétabli la sécurité aux frontières et la stabilité politique, restait à juguler l'inflation. Dioclétien n'y réussit qu'imparfaitement, en frappant de meilleures pièces (argenteus, nummus, deniers) et en fixant des équivalences (la livre d'or valait 50 000 deniers). L'anarchie monétaire fut atténuée, mais les prix montaient toujours et Dioclétien échoua dans sa tentative originale de fixer pour les denrées, les objets et les services des prix plafond (édit du Maximum, de 301). Cependant, l'armée et les fonctionnaires, qui recevaient avec leurs soldes des rations en nature (les annones), souffraient moins que la population civile. Au total, les réformes de Dioclétien ont eu des effets durables et ont fondé l'essentiel des institutions qui devaient permettre à l'Empire de survivre, parfois de prospérer, au ive siècle, mais au prix d'une organisation minutieuse et stricte, socialement étouffante.

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Écrit par

  • : professeur à l'université de Grenoble
  • : professeur à la faculté des lettres et sciences humaines de Grenoble

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Médias

Arc de Galère, Thessalonique - crédits : Marco Verch/ FLickr ; CC BY 2.0

Arc de Galère, Thessalonique

Arc de Galère (détail) - crédits : Brad Hostetler/ FLickr ; CC BY 2.0

Arc de Galère (détail)

300 à 400. Christianisme - crédits : Encyclopædia Universalis France

300 à 400. Christianisme

Autres références

  • CIVILISATION ROMAINE (notions de base)

    • Écrit par
    • 4 295 mots
    • 17 médias

    Le destin de Rome est celui d’une obscure bourgade de la péninsule italienne devenue, en l’espace de quatre siècles, une mégapole, capitale d’un immense empire s’étendant de l’Écosse à l’Arabie, des confins sahariens aux rives du Danube. Ce processus historique s’accompagna de la disparition de la ...

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