ORIENTALISME, art et littérature
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Par sa longévité et son ampleur, l'orientalisme apparaît aujourd'hui comme l'une des tendances importantes de l'art du xixe siècle. Cette curiosité passionnée pour les pays musulmans – dessinant alors un « Orient » qui conduit du « Couchant » (Maghreb) au « Levant » – s'impose en effet au lendemain de la campagne d'Égypte (1798) et connaît ensuite diverses métamorphoses qui nourrissent aussi l'expression de la modernité, de Matisse à Picasso. Toutes les écoles occidentales ont apporté à cet élan leur concours, même si l'on y remarque l'adhésion plus massive des Français et des Britanniques. Enfin, si l'expression plastique – surtout la peinture – occupe au sein du mouvement une place rayonnante, on ne saurait sous-estimer les accents littéraires et musicaux qui ont accompagné sa diffusion.
Phénomène reconnu, l’orientalisme est entouré cependant d'une notoriété ambiguë. Dès le xixe siècle, on a contesté l'engouement excessif de peintres partant en caravane pour ranimer aux soleils exotiques une inspiration trop pâle. La multiplication de scènes faciles, associant couleur et volupté, a souvent fait de l'orientalisme un caprice ornemental, une frivolité de flâneur. Pourtant, comme l'indique dès 1829 Victor Hugo dans la Préface des Orientales, le monde islamique apparaît alors « pour les intelligences autant que pour les imaginations, une sorte de préoccupation générale ». Les rebondissements de la « Question d'Orient », c'est-à-dire le démembrement progressif de l'Empire ottoman – dont l'insurrection grecque de 1821 est l'une des étapes essentielles – liés aux ambitions coloniales brutalement exprimées par la prise d'Alger en 1830, soulignent clairement les enjeux politiques. On a accusé les artistes d'en être les témoins impassibles ou, suivant le modèle impérialiste, de se conduire en prédateurs d'une culture qui leur restait étrangère. Quoique naturellement porté vers les effets lumineux, l'orientalisme apparaissait ainsi, selon Linda Nochlin, à l’occasion de la rétrospective organisée en 1982 par D. Rosenthal à l'université de Rochester, comme « une zone d'ombre » de l'histoire de l'art.
Grâce aux recherches qui ont exhumé bien des œuvres enfouies et précisé les circonstances de leur élaboration, il est possible désormais d'écrire sans passion l'histoire du mouvement orientaliste, en lui restituant son ampleur et sa portée.
La rêverie et l'Histoire
Avant le xixe siècle, les artistes ont entrevu dans l'ailleurs levantin la lumière d'un renouveau. Confronté aux échos des échanges cosmopolites, Rembrandt (1606-1669) peint à Amsterdam un Orient imaginaire que n'oublieront pas les voyageurs futurs. Plus attendues et plus précises, les références exotiques sont nombreuses dans l'art vénitien : après le séjour précoce à Constantinople de Gentile Bellini (1429-1507), portraitiste de Mahomet II, le turban décoratif du Turc rappelle souvent dans les tableaux les conflits incessants dont la bataille de Lépante (1571) reste le plus célèbre. Dans la France du xviiie siècle, la traduction par Galland des Mille et Une Nuits (1704-1717) et les Lettres persanes (1721) de Montesquieu, aiguisent la curiosité pour l'Orient, dont les sultanes de François Boucher (1703-1770) ou d'Amédée Van Loo (1719-1795) expriment la volupté. Plusieurs artistes, installés à Constantinople, formant l'escouade des « peintres du Bosphore », vont donner à ce caprice une tournure plus authentique qui préfigure l'approche du siècle suivant. Parmi eux, le Genevois Jean Étienne Liotard (1702-1789) réalise une étonnante galerie de portraits, toujours empreints d'un grand souci du détail (Dame franque et sa servante, musée d'Art et d'Histoire, Genève). C'est à l'univers ottoman que Jean Auguste Dominique Ingres (1780-1867) va bientôt emprunter l'un des thèmes essentiels de sa peinture, répété en variations multiples depuis la Baigneuse dite « de Valpinçon » (1808, musée du Louvre, Paris) jusqu’au Bain turc (1862, musée du Louvre) – inspiration nourrie par la lecture des Lettres (1764) de Lady Montagüe, femme de l'ambassadeur d'Angleterre à Constantinople. Mais si le sujet galant de l'odalisque au bain joue un rôle important dans l'attirance pour Constantinople, la description du décor n'est pas ignorée. Ains [...]
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Écrit par :
- Daniel-Henri PAGEAUX : professeur de littérature générale et comparée à l'université de Paris-III
- Christine PELTRE : professeur d'histoire de l'art contemporain à l'université des sciences humaines de Strasbourg
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Pour citer l’article
Daniel-Henri PAGEAUX, Christine PELTRE, « ORIENTALISME, art et littérature », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 08 août 2022. URL : https://www.universalis.fr/encyclopedie/orientalisme-art-et-litterature/