ROMAN Le roman français contemporain

Plaisirs et incongruités du récit

Romans ludiques

Éric Chevillard

Éric Chevillard

Éric Chevillard

L'écriture est pour Éric Chevillard un agent de métamorphoses : elle fait éclater le moi dans…

Toutes ces entreprises narratives supposent une confiance retrouvée dans le récit. Après les perturbations dont il fut l'objet, l'époque contemporaine renarrativise le roman. Elle témoigne même d'une fascination nostalgique envers les grandes œuvres romanesques du patrimoine – celles de Conrad, Stevenson, Verne mais aussi de Balzac, salué par Michon, ou de Dickens, salué par Belletto. Nul ne prétend bien sûr réintroduire aujourd'hui cette forme d'écriture et ceux qui s'y essaient paraissent de bien pâles continuateurs. C'est plutôt sur le mode parodique que des narrations virtuoses raffinent sur le souvenir et le savoir de la littérature, qu'elles soient inspirées du roman historique comme chez Renaud Camus (Roman roi, 1983), qu'elles inventent des écrivains fictifs (Benjamin Jordane dont Jean-Benoît Puech publie et commente les œuvres apocryphes) ou qu'elles revisitent avec Echenoz les diverses formes du romanesque : le roman policier dans Cherokee (1983) ; d'aventure dans L'Équipée malaise (1987) ; d'espionnage dans Lac (1989) ; d’anticipation dans Nous Trois, (1992) ; le jeu dans un réalisme illusoire avec Un an (1997) ; la fiction biographique avec Ravel, (2006), Courir(2008), Des éclairs (2010) ; le roman historique dans 14(2012). L’écrivain multiplie les échos décalés à Manchette, Stevenson, Conrad ou Jules Verne, aussi bien qu’à Hitchcock (Les Grandes Blondes). Ces intrigues virtuoses et dérisoires, connaissent une version minimaliste chez Jean-Philippe Toussaint (La Salle de Bain, 1985 ; L’Appareil photo, 1989), chez Christian Oster (Mon Grand Appartement, 1999 ; Une femme de ménage, 2001) dont le ton désinvolte rend désopilants les maigres événements qui accablent d'insignifiants personnages, ou encore chez Christine Montalbetti qui fait de la métalepse (commentaires incongrus de l’auteur au milieu de son récit, à la manière de Sterne ou de Diderot) l’une de ses marques de fabrique (L’origine de l’homme,2002 ; Western, 2005 ; Love hôtel, 2013). Ces pratiques ludiques, avec leur vaste combinatoire de registres et de mondes, se prêtent admirablement aux théorisations parfois contradictoires de la « postmodernité ». Mais la surenchère savante des romans d'Umberto Eco ou les exagérations baroques d'un John Irving n'ont guère d'équivalent dans le roman français et c'est plutôt sous une forme décalée que d'autres romans, plus linéaires, réduisent le romanesque à sa plus simple expression : un tissu de maigres événements survenus à d'insignifiants personnages que seul le ton désinvolte du narrateur fait tenir. En 1989, Jérôme Lindon, directeur des éditions de Minuit, rassemble sous le nom d'« impassibles » plusieurs de ses auteurs : aux côtés de Jean Echenoz figurent Jean-Philippe Toussaint, Christian Oster et Patrick Deville (Cordon bleu, 1987). D'autres, venus plus tard cultiver dans leur voisinage une certaine dérision – plus proche de celle autrefois pratiquée par Robert Pinget – demeurent trop divers pour donner vraiment corps à cette illusion de groupe : Christian Gailly dont les romans mettent en scène des musiciens désabusés, jazzmen ou pianistes classiques, qu'une dernière étincelle ranime (K.622, 1989 ; Be bop, 1995 ; Un soir au club, 2002) ; Tanguy Viel qui démarque ses narrations de réels ou possibles scénarios cinématographiques (Cinéma, 1999 ; L’Absolue Perfection du crime, 2001 ; Insoupçonnable, 2006) ; Éric Chevillard dont la fantaisie moque les absurdités du monde et de ses pratiques littéraires avec une férocité jubilatoire (L’Œuvre posthume de Thomas Pilaster, 1999 ; Oreille rouge, 2005 ; Démolir Nisard, 2006). Cette pratique du second degré ne manque pas d’observations ironiques ou acides sur[...]

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Écrit par

  • Dominique VIART : professeur des Universités, université Paris Nanterre, Institut universitaire de France

Classification

. In Encyclopædia Universalis []. Disponible sur : (consulté le )

Médias

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De Fils et Un Amour de soi au Monstre, Serge Doubrovsky a placé son œuvre sous le signe de l'aveu et…

Pierre Bergougnioux

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Si elle s'enracine dans les paysages de Corrèze, l'oeuvre de Pierre Bergounioux est aux antipodes de…

Pierre Michon

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L'écrivain français Pierre Michon, portaitiste précis des parts d'ombre chez les êtres.

Autres références

  • ROMAN D'AVENTURES

    • Écrit par Sylvain VENAYRE
    • 3 878 mots
    • 9 médias

    À la fin du xviiie siècle, une mutation remarquable vient affecter le genre du récit de voyage : alors que l’âge classique avait privilégié les connaissances rapportées par le voyageur, le nouveau récit s’organisa autour de la personnalité de ce dernier, de ses sentiments, des aventures survenues...

  • ROMAN FAMILIAL

    • Écrit par Catherine CLÉMENT
    • 847 mots

    C'est dans le livre d'Otto Rank, Le Mythe de la naissance du héros (1909), que Freud inséra un petit texte intitulé « Le Roman familial des névrosés ». Le phénomène auquel se rattache ledit « roman » est le processus général de distanciation entre parents et enfants, processus...

  • ROMAN HISTORIQUE

    • Écrit par Claude BURGELIN
    • 1 009 mots

    Le roman a toujours puisé dans l'histoire de quoi nourrir ses fictions et leur donner les prestiges du vraisemblable. Mais, en tant que genre spécifiquement déterminé, le roman historique a pris son essor — comme la plupart des formes romanesques — au xixe siècle, alors que la bourgeoisie...

  • ROMAN POPULAIRE

    • Écrit par Jean TULARD
    • 4 060 mots

    C'est au moment où la narration hésite entre différentes formes d'expression que s'effectue un retour aux sources populaires, à cette littérature qui privilégia l'imagination aux dépens de l'intelligence, le style direct contre le langage obscur, le respect des valeurs établies face à la remise en question...

  • ROMAN SENTIMENTAL

    • Écrit par Isabelle ANTONUTTI
    • 2 475 mots
    • 1 média

    En 2015, tandis que 12 p. 100 des Français se déclarent lecteurs de romans sentimentaux (Les Français et la lecture, mars 2015), Marc Levy est l’auteur français contemporain le plus lu dans le monde (sondage Opinionway, 18 mars 2015). Roman à l’eau de rose, littérature sentimentale, romance : voici...

  • AFRIQUE DU SUD RÉPUBLIQUE D' ou AFRIQUE DU SUD

    • Écrit par Ivan CROUZEL, Dominique DARBON, Benoît DUPIN, Universalis, Philippe GERVAIS-LAMBONY, Philippe-Joseph SALAZAR, Jean SÉVRY, Ernst VAN HEERDEN
    • 29 787 mots
    • 28 médias
    Le roman forme l'essentiel de l'activité littéraire. Le romancier afrikaner choisit, durant cette période, de donner à sa langue une dimension qu'elle ne possède pas encore. Il s'agit de produire, aussi rapidement que possible, l'équivalent d'une quelconque littérature romanesque européenne. Le roman,...
  • ANGLAIS (ART ET CULTURE) - Littérature

    • Écrit par Elisabeth ANGEL-PEREZ, Jacques DARRAS, Jean GATTÉGNO, Vanessa GUIGNERY, Christine JORDIS, Ann LECERCLE, Mario PRAZ
    • 28 170 mots
    • 30 médias
    La publication, en 1922, de Ulysses changea radicalement la conception du roman. Joyce avait révélé les possibilités illimitées offertes par le jeu avec et sur le langage. Dès les années 1930, cependant, les romanciers anglais réagissaient contre les innovations de leurs grands prédécesseurs, pour en...
  • ARABE (MONDE) - Littérature

    • Écrit par Jamel Eddine BENCHEIKH, Hachem FODA, André MIQUEL, Charles PELLAT, Hammadi SAMMOUD, Élisabeth VAUTHIER
    • 29 246 mots
    • 2 médias
    ...Naḥda. On peut lui trouver des racines dans la maqāma (séance) ou la qịṣsa (conte), mais sans rendre réellement compte de l'apparition du roman et de la nouvelle. La littérature moderne est en fait issue de l'émergence d'exigences nouvelles et du vaste mouvement de traduction et d'adaptation...
  • ARTHURIEN CYCLE

    • Écrit par Cedric E. PICKFORD
    • 5 689 mots
    • 1 média
    Il existe des versions anglaises, galloises, de Wace. Son Roman de Brut marque un tournant dans l'évolution du cycle arthurien. En choisissant la langue française, langue du peuple, Wace a voulu offrir l'histoire de Brutus, fondateur de la « Bretagne », à un public plus étendu. Il y ajouta, à titre...
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Voir aussi