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BROOK PETER (1925-2022)

Un nouveau départ : le Centre international des recherches théâtrales et les Bouffes du Nord

Installé désormais à Paris, Peter Brook, libéré des exigences de la production théâtrale habituelle, se lance d’abord dans une recherche radicale qui porte sur la voix et les sons « premiers ». Il fait travailler les membres de son équipe sur des langues anciennes dans les espaces mythiques de Persépolis. Les recherches aboutiront à une version du mythe de Prométhée placée sous le signe de la quête des origines : Orghast(1971), proche du « théâtre sacré ». Il entraîne ensuite sa troupe dans une expédition de trois mois en Afrique, afin d’expérimenter les ressources du « théâtre brut ». Là, les comédiens, privés de leurs appuis habituels, du prestige de leur statut ou de celui du texte, jouent dans des villages et découvrent les ressources de l’improvisation aussi bien que l’obligation de fonder l’échange avec le public sur la base d’un élément concret, matériel, compréhensible : une botte, un pain, un chapeau. L’année suivante, l’équipe part aux États-Unis où elle intervient dans des réserves indiennes et participe à des actions de théâtre militant, comme celles d’El Theatro campesino, fondé par le dramaturge et réalisateur Luis Valdez. La même quête de communication se poursuit.

Après ces années de voyage, Brook décide de revenir à une activité publique. Pour abriter le Centre international des recherches théâtrales, la salle des Bouffes du Nord est mise à sa disposition à partir de 1974. Restauré, le lieu répond à ses attentes, synthétise son esthétique et constitue un véritable sceau identitaire. Il tient de « l’édifice », dont il a la structure, et de « l’abri », marqué par l’usure du temps que Brook s’est employé à préserver. Par ailleurs, en shakespearien jamais démenti, il distribue les volumes du théâtre selon les principes du modèle élisabéthain.

Avec Timon d’Athènes (1974), le metteur en scène choisit de nouveau une « œuvre secondaire » de Shakespeare, retenue pour tout ce qu’elle contient comme références à un monde dominé par la loi de l’argent et de la dépense, comportements auxquels Brook associe l’esprit de l’époque. Parallèlement débute la collaboration avec l’écrivain Jean-Claude Carrière (1931-2021), qui signe ici une version française adaptée au langage contemporain. Brook vient de donner le coup d’envoi au grand mouvement du renouveau des traductions.

Selon son principe d’alternance, il s’attaque ensuite au « roman anthropologique » avec Les Iks (1975), de Colin Turnbull, qui met en scène la destruction d’une tribu africaine. Il réaffirme explicitement ce qui va s’imposer comme étant le propre de son travail : la liberté de distribuer les acteurs sans tenir compte de l’origine de chacun. Suit Ubu aux Bouffes (1977) où Brook révèle les potentialités du « théâtre brut » qui le rattache à Alfred Jarry. Puis, il s’engage sur la voie des adaptations des grands textes épiques et, après plusieurs années d’exploration, présente, en 1979, La Conférence des oiseaux du poète persan du xiie siècle Farid al-Dīn Attār, accompagnée de la farce africaine de Birago Diop, L'Os. Ici se retrouvent réunis le « brut » et le « sacré » grâce à une alliance rare de masques, marionnettes et procédés farcesques.

Une nouvelle étape s’achève. Peter Brook délaisse son équipe pour deux projets inattendus : La Cerisaie (1981), pièce à laquelle il insuffle une énergie qui met un terme à la célèbre lenteur tchékhovienne, et La Tragédie de Carmen (1981-1983) où, en collaboration avec le compositeur Marius Constant, il aménage l’opéra afin d’en proposer une « version de chambre » centrée sur la passion entre les protagonistes, qui acquièrent ici une inhabituelle liberté de jeu. Brook signe un spectacle où, comme rarement,[...]

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Écrit par

  • : professeur émérite à l'université Sorbonne nouvelle

Classification

Pour citer cet article

Georges BANU. BROOK PETER (1925-2022) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

<em>La Tragédie de Carmen</em>, opéra de G. Bizet, mise en scène de Peter Brook - crédits : Robbie Jack/ Corbis/ Getty Images

La Tragédie de Carmen, opéra de G. Bizet, mise en scène de Peter Brook

<em>Titus Andronicus</em> de W. Shakespeare, mise en scène de Peter Brook - crédits : Pierre Vauthey/ Sygma/ Sygma/ Getty Images

Titus Andronicus de W. Shakespeare, mise en scène de Peter Brook

<em>Une flûte enchantée</em> d'après W. A. Mozart, mise en scène de Peter Brook - crédits : Robbie Jack/ Corbis/ Getty Images

Une flûte enchantée d'après W. A. Mozart, mise en scène de Peter Brook

Autres références

  • BATTLEFIELD (mise en scène P. Brook et M.-H. Estienne)

    • Écrit par Didier MÉREUZE
    • 1 002 mots
    • 1 média

    Il est l’homme de l’espace vide. Du plateau nu, débarrassé de tout accessoire ou décor, à l'exception, parfois, d'un arbre, d'une chaise, d'un tapis. À 90 ans, Peter Brook demeure le grand maître d’un théâtre où le réel naît de l’imaginaire, où la vérité surgit de l’illusion....

  • HAMLET (mise en scène P. Brook)

    • Écrit par Christian BIET
    • 1 071 mots

    « Qui est là ? ». C'est la première réplique d'Hamlet. C'était aussi le titre du travail de recherche présenté, il y a trois ans, par Peter Brook. « Qui est là », sur cette scène ? Et qu'est-ce qui est là ? Du théâtre, des corps, un corps en mouvement surtout, des mots proférés,...

  • OUBLIER LE TEMPS (P. Brook)

    • Écrit par Raymonde TEMKINE
    • 1 080 mots

    Dans Oublier le temps (Seuil, Paris, 2003), initialement publié en anglais sous le titre Threads of Time (1998), Peter Brook retrace le parcours qui l'a conduit à devenir un metteur en scène connu et admiré dans le monde entier. Pour lui, « succès et argent ne valent pas la peine d'être atteints »....

  • TEMPEST PROJECT (mise en scène P. Brook et M.-H. Estienne)

    • Écrit par Georges BANU
    • 1 065 mots

    En 1968, le Britannique Peter Brook (1925-2022) fut invité au théâtre des Nations par Jean-Louis Barrault, pouranimer un stage avec de jeunes acteurs de tous bords autour de Shakespeare. L'expérience tourna court en raison des événements qui agitaient Paris, etBrook présenta à la Roundhouse...

  • ANGLAIS (ART ET CULTURE) - Littérature

    • Écrit par Elisabeth ANGEL-PEREZ, Jacques DARRAS, Jean GATTÉGNO, Vanessa GUIGNERY, Christine JORDIS, Ann LECERCLE, Mario PRAZ
    • 28 170 mots
    • 30 médias
    ...symptomatique : sa théorie et sa pratique y ont presque toujours été soit mal comprises, soit déformées, même par des hommes de théâtre aussi distingués que Peter Brook et Peter Hall, ou par Edward Bond, qui déclare que « ce qui se rapproche le plus d'une pièce de Brecht, c'est le mélodrame...
  • DIOP BIRAGO (1906-1989)

    • Écrit par Jean-Louis JOUBERT
    • 301 mots

    Les morts ne sont pas sous la terre : / ils sont dans l'arbre qui frémit, / ils sont dans le bois qui gémit, / ils sont dans l'eau qui coule, / ils sont dans l'eau qui dort, / [...] les morts ne sont pas morts.

    Ces vers souvent récités, où se condense le vieil animisme africain,...

  • GIELGUD ARTHUR JOHN (1904-2000)

    • Écrit par Didier MÉREUZE
    • 731 mots

    Né le 14 avril 1904, fils de financier, annobli en 1953, sir Arthur John Gielgud grandit dans le quartier huppé de Kensington. Son père aurait aimé qu'il suive ses traces. Mais, en digne descendant, par sa mère, d'une lignée ininterrompue d'acteurs depuis le xviiie siècle et en...

  • KOUYATÉ SOTIGUI (1936-2010)

    • Écrit par Universalis
    • 369 mots

    Acteur et dramaturge d'origine malienne, Sotigui Kouyaté fut l'un des comédiens les plus respectés d'Afrique de l'Ouest. Il s'est fait connaître du public occidental pour avoir incarné le sage Bhishma dans l'adaptation du Mahabharata que donna Peter Brook, avec la...

  • Afficher les 7 références

Voir aussi