TEMPEST PROJECT (mise en scène P. Brook et M.-H. Estienne)
En 1968, le Britannique Peter Brook (1925-2022) fut invité au théâtre des Nations par Jean-Louis Barrault, pouranimer un stage avec de jeunes acteurs de tous bords autour de Shakespeare. L'expérience tourna court en raison des événements qui agitaient Paris, etBrook présenta à la Roundhouse de Londres des « exercices » d’après La Tempête. L’œuvre de la fin pour engager un nouveau cycle ! Au moment de l’éloignement de Londres, il prenait appui sur Shakespeare, qu’il avait déjà mis en scène en 1957 avec son ami sir John Gielgud dans le rôle du magicien Prospero.
C’est en 1990, au théâtre des Bouffes du Nord cette fois, que Brook s'attaque de nouveau à La Tempête parce que, dit-il, son acteur fétiche, Sotigui Kouyaté, venu d'une famille de griots et griot lui-même, est porteur d’un savoir complexe des rituels africains et lui semble le seul à pouvoir incarner Prospero. Ainsi s'opère un déplacement de l'Europe de la Renaissance vers l'Afrique, où les traditions ésotériques ont été préservées et le rapport à la magie conservé. Sotigui Kouyaté sera le Prospero des temps modernes, comme Bakary Sangaré, tout de rouge vêtu, incarnera un Ariel sans rien d'aérien, mais avec la volonté de servir et, surtout, le désir de s'affranchir. Dans cette mise en scène de La Tempête, Brook intègre l'Afrique dans une double perspective : la pensée magique, d'un côté, la fin de l’esclavagisme, de l'autre.
Dans la solution spatiale adoptée, Peter Brook renvoie discrètement au sable du désert, en l’associant àune seconde référence, japonaise, qui reprend le modèle d'un jardin zen, le jardin sec. On retrouve également les signes du naïf chers à Brook : le bateau miniature, les bâtons de bambou déjà présents dans les « exercices »de 1968.
Le pardon et la révolte
Pour TempestProject, Brook fait un retour au théâtre des Bouffes du Nord, du 21 au 30 avril 2022. Dans la première version, qui a pour sous-titre Résonances, il nous convie à un récit qui se présente comme un concentré de l’œuvre d’origine. Le texte met en valeur l’opposition qui l’a passionné, dans le traitement de cette œuvre, entre le pardon et la révolte. Brook, tout seul, devant nous, témoigne à la première personne, et alors, l’humain le dispute à l’art, ou, plus exactement, ils font ensemble corps commun au nom d’une affection jamais diminuée ni pour Shakespeare ni pour le théâtre. Cette fois, nous assistons plutôt à une performance, dans le sens d’un événement unique en direct, d’un dialogue fragile et essentiel pour tout spectateur présent, où la fiction et l’aveu s’enlacent.
C’est par la présence de Peter Brook que chaque soirée fut exceptionnelle. Il entre doucement, aidé par l’acteur le plus âgé, Marcello Magni, le futur Ariel dans le spectacle à venir. Dès qu’il s’assied, au centre du plateau, sa voix de toujours se met à murmurer avec réserve, en alternant l’ironie et la gravité. Brook ne présente pas le spectacle mais égrène des scènes de vie ou de théâtre pour se livrer le plus souvent à un voyage au cœur de soi, passant des souvenirs personnels à des références shakespeariennes. Il ne parle pas des grandes interprétations, des provocations extrêmes ou des réussites hors pair. Il invite les témoins que nous sommes à trouver et garder ces mots que l’on sauvegarde en silence. Grâce à « la résonance », précise-t-il, se poursuit la vie des mots, leur « vibration », une véritable « réminiscence vivante », qui respire et nous habite !
Brook, en douceur, répond aux interrogations formulées par des spectateurs avant de conclure par un de ces conseils que seuls les maîtres dispensent : « Apprenez à poser des questions, mais sans toujours chercher des réponses. Gardez en vous-mêmes une question, définitivement, une question en attente de réponse[...]
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Écrit par
- Georges BANU : critique de théâtre, professeur émérite à l'université Paris Sorbonne
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