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MOYEN ÂGE La littérature en prose

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Narration et textualité

La prose des premiers textes narratifs n’a pas l’aspect de la prose latine et ne prétend pas avoir le même statut rhétorique. L’absence presque totale de codification explicite avant Brunetto Latini est compensée par un investissement formel très important ; il s’agit surtout d’une compétence collective des écrivains, une codification implicite qui touche en premier lieu à la cohérence et à la cohésion du texte : le réseau des causes et conséquences, les commentaires, la progression thématique. Il s’agit aussi d’une nouvelle conception de la textualité et de la construction de l’intrigue, qui devient évidente lorsque l’on compare les narrations en prose avec leurs modèles en vers. C’est le cas, par exemple, des mises en prose du Roman de Troie avec l’original en vers de Benoît de Sainte-Maure. Mais la prose française montre surtout son originalité au niveau de l’organisation des rapports temporels et logiques de la narration, de la distribution spatiale et chronologique des actions et de leur ordre dans le récit. Des constructions sophistiquées, fondées sur l’ordo artificialis, où la succession logique et temporelle est brisée, et l’illusion de simultanéité produite par l’entrelacement d’un grand nombre de lignes narratives, permettent de maîtriser de vastes étendues chronologiques et géographiques.

<em>Livre des merveilles du monde</em>, M. Polo - crédits : BnF/ AKG-images

Livre des merveilles du monde, M. Polo

À ce propos, on a souvent parlé d’une « horreur du vide » de la prose médiévale. En réalité, le temps narratif qui lui est propre est structuré aussi – et même surtout – autour de vastes vides temporels et psychologiques offerts à l’imagination des lecteurs, à la manière des immenses espaces vides qu’une cathédrale gothique rend disponibles au regard et à la médiation de l’observateur. En effet, les éléments plus modernes de cette production sont plutôt l’étendue et l’échelle des architectures narratives que la densité ou l’encombrement de la représentation. Ainsi, les romans arthuriens en prose comptent parmi les plus longs textes de la tradition narrative occidentale, et pourtant leurs protagonistes, leur passé ou leurs intentions demeurent souvent mystérieux. L’historiographie, dans ses formes monographiques (par exemple les chroniques des croisades), universelles, ou encore de récits de voyage (Marco Polo, Odoric de Pordenone et, un siècle et demi plus tard, Jean de Mandeville), condense l’ampleur, l’expérience vécue et celle du monde exploré, outre l’ouverture ethnographique.

La prose moderne est l’héritière des textes en prose du xiiie siècle et des traditions qu’ils ont inaugurées ; elle leur doit non seulement un grand nombre de personnages, de thèmes et de motifs, mais aussi la capacité de concevoir et de mettre en place de grands organismes narratifs.

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Écrit par

  • : professeur, chargé de cours de littérature française du Moyen-Âge, université de Liège (Belgique)

Classification

Pour citer cet article

Nicola MORATO. MOYEN ÂGE - La littérature en prose [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 10/10/2018

Médias

<em>Livre des merveilles du monde</em>, M. Polo - crédits : BnF/ AKG-images

Livre des merveilles du monde, M. Polo

<em>Lancelot-Graal</em> - crédits : BnF, cote cliché RC-B-09666

Lancelot-Graal

<em>Chroniques</em>, J. Froissart - crédits : British Library/ AKG-images

Chroniques, J. Froissart

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