MOYEN ÂGE La littérature en prose

Les premiers textes en prose en langue d’oïl

Les emplois oraux de la prose des premiers siècles peuvent être seulement documentés d’une manière indirecte. Nous savons, par exemple, que la mémoire des événements passés se transmettait souvent dans des formes réfléchies et élaborées de discours en prose, sans pouvoir toujours se distinguer des contes traditionnels ; des formes douées d’une indéniable stabilité, comme en témoignent les récits recueillis et enregistrés en latin par Grégoire le Grand, et plus tard Gautier Map et Gervais de Tilbury.

Les deux premières attestations de la prose française enregistrent en effet deux performances orales, bien que d’un tout autre genre : le discours politique des Serments de Strasbourg (842) et la prédication du Sermon sur Jonas (milieu du x e siècle). Ces formes relèvent de pratiques codifiées et bien établies : la prédication vernaculaire, instituée par le concile de Tours (813) et, bien qu’il n’y ait aucune trace de dispositions comparables pour le discours politique, la pratique des chefs de guerre de s’adresser à leurs armées d’une manière compréhensible est bien documentée. Les deux textes répondent à des situations d’urgence, respectivement à l’échelle européenne (la crise de l’empire des Francs) et locale (une invasion qui menace la communauté de Saint-Amand-les-Eaux). Leurs finalités sont claires : l’établissement d’un pacte de fidélité et la sauvegarde de la communauté. Leur caractère réfléchi et « monumental » est assuré par l’immanence de modèles illustres, à savoir la tradition juridique latine et celle du commentaire biblique (le commentaire de saint Jérôme au Livre de Jonas). En revanche, le caractère plurilingue (latin, roman et germanique) et supralocal des Ser ments implique une définition des groupes et des identités linguistiques et géopolitiques tout autre par rapport à celle qui découle du caractère régional du Sermon. Enfin, sur le plan matériel, les Serme nts sont intégrés dans les Historiae (ou De dissensionibus) filiorum Ludovici Pii de Nithard, petit-fils de Charlemagne et conseiller de Charles le Chauve, tandis que le Sermon est transmis par un simple feuillet de parchemin, probablement un brouillon, ce qui en fait le premier autographe de la littérature française (avec des révisions d’auteur).

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Écrit par

  • Nicola MORATO : professeur, chargé de cours de littérature française du Moyen-Âge, université de Liège (Belgique)

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Pour citer cet article

Nicola MORATO, « MOYEN ÂGE - La littérature en prose », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le . URL :

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