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FICHTE JOHANN GOTTLIEB (1762-1814)

Fichte et son destin

On conçoit qu'une telle pensée ait suscité des interprétations divergentes. Évolution dialectique pour certains, transformation complète et rupture pour d'autres. La question reste ouverte. Une chose est certaine : sur le plan politique, la philosophie de Fichte a fini par s'opposer à elle-même. Et cela milite dans le sens de la rupture.

Fichte défend d'abord les idéaux de la Révolution française avec une extraordinaire vigueur. Après la faillite de la Révolution française, Fichte se tourne avec violence contre Napoléon (« l'homme sans nom »), qui a trahi les espérances de 1789, et rêve d'une monarchie européenne. De là, les célèbres Discours à la nation allemande. Ces textes ont fait de Fichte l'un des prophètes de l'Allemagne dont la mission est de sauver la paix de l'Europe et du monde. Fichte souligne le caractère originel du peuple allemand et affirme qu'il doit suivre les règles d'une nouvelle pédagogie inspirée de Rousseau et de Pestalozzi.

X. Léon a estimé que les Discours à la nation allemande, loin de marquer « une sorte de conversion au nationalisme », ne sont [...] que « la continuation [...] de la lutte que Fichte n'avait cessé de poursuivre pour le règne de la liberté et pour le triomphe de la démocratie ».

Cependant Fichte a lié ces vues à une stratégie politique, fondamentalement opposée aux théories de l'internationalisme pacifiste. Dans un opuscule, Machiavel comme écrivain (Über Machiavelli, als Schriftsteller..., 1805), chaleureusement approuvé par Clausewitz, il déclare faire sien le principe du Florentin : « Quiconque veut fonder un État et lui donner des lois doit supposer d'avance les hommes méchants. » Il en tire deux règles fondamentales : saisir sans perte de temps toute occasion de se fortifier dans la sphère de ses influences ; ne jamais se fier à la parole d'un autre État ; il conclut : « Dans les rapports avec les autres États, il n'y a ni loi, ni droit, si ce n'est le droit du plus fort. »

Fichte prononçait donc à la fois la faillite de l'humanisme révolutionnaire, la future apothéose de l'Allemagne comme nation salvatrice – idée dont les développements furent tragiques – et la naissance de la Realpolitik, comme charte des Temps modernes. Ces idées vivaient encore alors que l'empire napoléonien s'était depuis longtemps effondré et elles furent exploitées. L'historien doit constater combien elles furent puissantes et meurtrières et comment, pour l'opinion commune, le nom de Fichte y demeure attaché. Peut-être Fichte a-t-il été mal compris ; tel fut toutefois son destin.

— Alexis PHILONENKO

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Écrit par

  • : professeur à l'université de Genève
  • Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis

Classification

Pour citer cet article

Universalis et Alexis PHILONENKO. FICHTE JOHANN GOTTLIEB (1762-1814) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Johann Gottlieb Fichte - crédits : Fine Art Images/ Heritage Images/ Getty Images

Johann Gottlieb Fichte

Autres références

  • LA DESTINATION DE L'HOMME, Johann Gottlieb Fichte - Fiche de lecture

    • Écrit par Francis WYBRANDS
    • 857 mots
    • 1 média

    C'est humilié, poussé à quitter l'université de Iéna, à la suite de fâcheuses accusations d'athéisme, que J. G. Fichte (1762-1814), réfugié à Berlin, trouve le temps de rédiger, de juillet à novembre 1799, ce qu'il veut être un écrit « populaire » : La Destination...

  • ROMANTISME

    • Écrit par Henri PEYRE, Henri ZERNER
    • 22 170 mots
    • 24 médias
    L'aspect proprement philosophique en fut dégagé par Fichte, dont toute la pensée est fondée sur l'opposition du moi au non-moi. Tous les rapports entre l'individu et le monde extérieur sont ainsi mis en cause et envisagés de façon toute neuve par rapport à la philosophie kantienne. Dans cette difficulté...
  • DÉTERMINISME

    • Écrit par Étienne BALIBAR, Pierre MACHEREY
    • 9 713 mots
    ...aux phénomènes. Confondant volontairement, dans une même réfutation, l'organicisme des philosophies de la nature et le mécanisme (ou le matérialisme), Fichte peut écrire (dans sa Staatslehre de 1813) : « Pour ouvrir la voie à notre doctrine de la liberté, il faut la distinguer rigoureusement du système...
  • HISTORIQUE ALLEMANDE ÉCOLE

    • Écrit par Jean-Marc DANIEL
    • 1 016 mots

    Le raisonnement économique fondé sur l'intérêt, la concurrence et le marché qui s'affirme au xviiie siècle se heurte d'emblée, en terre germanique, à une pensée économique originale. Face aux physiocrates, les caméralistes se font les défenseurs de l'efficacité de la politique...

  • IDÉALISME ALLEMAND

    • Écrit par Jacques d' HONDT
    • 7 102 mots
    Après quoi J. G. Fichte (1762-1814) métamorphosa sa doctrine en un idéalisme plus authentique et plus hardi, proche du subjectivisme, et même du solipsisme (« Tout est par le moi, pour le moi ! »), qui s'accompagne d'une dépréciation du monde extérieur, de la nature tenue pour secondaire et...
  • Afficher les 7 références

Voir aussi