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ATHÉISME

Littéralement, le mot « athée » veut dire « sans dieu ». Pour comprendre ses divers emplois dans le cours de l'histoire, il convient de noter que ce terme négatif n'inclut spécialement aucun verbe. Suivant le contexte, plusieurs pourront être sous-entendus : on est tenté de privilégier le verbe « croire » (l'athée est celui qui ne croit pas à l'existence de Dieu – ou des dieux), mais on parle aussi d'une « doctrine athée », ce qui suppose le verbe « nier » (une doctrine est athée lorsqu'elle nie l'existence de Dieu). D'autres fois, l'athée est celui qui refuse de « vénérer » les dieux et de leur « rendre un culte ». Dans certains cas, il faudra sous-entendre un verbe passif, l'athée étant alors un être abandonné de Dieu, un maudit ou encore un adversaire de la religion, un antithéiste... L'adjectif « athée » est préfixé d'un alpha privatif que l'on retrouve en français tantôt sous la forme a (comme dans « apolitique », « atone », etc.), tantôt sous la forme in (dans « incolore », « immoral », etc.), et qui indique une qualification négative sans autre précision. Il peut donc s'appliquer à tout ce qui est privé d'un dieu, exclu de cela même qui fonde la communauté religieuse. Il dépendra du contexte que l'accent négatif porte sur une signification intellectuelle d'incroyance ou sur une signification sociale d'exclusion.

La notion d'athéisme conduit à s'interroger sur les significations religieuses de la négation. Quelle est, par exemple, la différence entre le mystique, qui nie les représentations de la divinité, et l'athée, qui en nie l'existence ? Quand il s'agit de Dieu, il est difficile de faire le départ entre jugement de réalité (portant sur l'existence) et jugement de valeur (portant sur les représentations). C'est ainsi que, pour saint Anselme, la négation de l'existence divine est rationnellement impossible (l'athée serait donc un mystique raté, un « insensé »), alors que pour David Hume, au contraire, les mystiques seraient de « véritables athées », mais inavoués. Dans l'histoire des religions, le mot « athée » permet de tester la rationalité de la croyance sous la forme suivante : comment la pensée religieuse perçoit-elle la négation ? Les logiciens disent qu'une négation est « vérifonctionnelle » lorsqu'elle oppose contradictoirement le vrai et le faux. Mais la négation, dans le langage courant, peut avoir des fonctions psychologiques et sociales complexes : elle peut exprimer des antagonismes, des conflits, des rejets... Les fameuses « contradictions économiques », par exemple, sont rarement vérifonctionnelles. Les passions politiques et le sentiment religieux peuvent donner à la négation une force émotionnelle si complexe qu'il est difficile de savoir sur quoi elle porte. Au cours des siècles, l'athée est apparu diversement comme : un négateur de Dieu, coupable d'un orgueil « prométhéen » ; un négateur de la foi, un renégat ; un négateur de la religion, un impie ; un libertin sans idéal, contempteur des valeurs morales ; un désespéré, un nihiliste... Toutes ces formules sont logiquement inconsistantes par défaut d'analyse, mais on aurait tort de n'y voir qu'une réaction d'intolérance. C'est qu'en réalité on ne sait pas exactement ce que nie l'athée ou ce que l'on rejette en lui. La difficulté est d'ordre intellectuel. Pour se défendre contre une menace obscure, diffuse, insaisissable, l'intolérance crée des étiquettes infamantes, qui transforment la victime obnubilée en accusateur véhément. Si l'on veut rendre à la négation sa fonction logique nécessaire au raisonnement, il faut substituer à la pensée globale des sentiments collectifs une pensée analytique et argumentative. La négation nous contraint à l'analyse. L'image confuse du négateur reflète quelque secrète équivoque dans le « Je crois en Dieu ». Les ambiguïtés de l'affirmation religieuse ou la violence inavouable du sacré se révèlent au négatif dans l'autre inconcevable, ce prochain qui n'a pas de dieu.

L'athéisme relatif

Les mots « athée » et « athéisme » n'appartiennent pas au vocabulaire technique de la philosophie ou de la théologie. Nous verrons que, pour interpréter l'athéisme, les philosophes et les théologiens ont créé un certain nombre de catégories savantes (c'est-à-dire de concepts méthodiquement définis), mais en lui-même l'athéisme n'est pas une catégorie, c'est une appellation. Cette appellation a souvent un sens très relatif. L'historien Josèphe, par exemple, se plaint de ce que les païens traitent les juifs d'« athées et de misanthropes » (Contre Apion, II, 148). Inversement, saint Ignace d'Antioche traite les païens d'athées (Lettre aux Tralliens, III, 2) et il en dit autant des hérétiques docètes (ibid., X, 1). Il peut arriver que cet athéisme relatif suscite la commisération, comme dans l'épître de saint Paul aux Éphésiens : « Souvenez-vous qu'autrefois vous étiez des gentils selon la chair, appelés incirconcis... Vous étiez, en ce temps-là, sans Christ, sans droit de cité en Israël, étrangers aux alliances prophétiques, sans espérances et athées[atheioi]dans le monde » (Éph., ii, 11-12). Athée veut dire ici « sans protecteur divin », sans dieu-gardien spécialement attaché à votre salut. Il ne s'agit pas d'une absence de croyance religieuse, mais d'une absence de statut ou de droit de cité dans la communauté sainte. D'ailleurs, ceux qui, dans l'Antiquité, font figure d'athées légendaires ne sont pas les grands philosophes, mais plutôt des réprouvés, tels Diagoras de Mélos, Cinésias ou Hippon, qui ont déchaîné contre eux les puissances célestes et sont morts dans la honte. Ne dit-on pas que Lucrèce, l'auteur du De natura rerum, est mort fou ? Et, plus près de nous, Nietzsche, cet athée relatif qui aimait tant Dionysos, n'est-il pas là pour confirmer que la légende a toujours force de loi ?

Au Moyen Âge, le mot « athée » a complètement disparu (c'est l'« insensé » qui, chez saint Anselme, est chargé de dire en son cœur : « Il n'y a pas de Dieu »). « L'athéisme, écrit Henri Busson, paraît bien avoir été inconnu en France avant la seconde moitié duxvie siècle. Ce mot même d'athée n'existe pas. Je le trouve pour la première fois (en grec, car le mot n'est pas latin non plus) dans la préface de Hervet (1543) qui vise peut-être Des Périers, puis en latin chez Nicolas de Neufville (1556). M. Huguet relève le mot « athéiste » chez Le Caron (1556) et il se trouve aussi dans l'Athéomachie de Bourgueville (1564). Ce même Charles de Bourgueville est aussi le premier, ce me semble, qui dénonce et attaque de « vrais athéistes ne reconnaissant pas le Dieu éternel ». La même année, Pierre Viret nous apprend que leur nombre en est beaucoup plus grand qu'on ne pense. Et, depuis cette époque, les dénonciations se font de plus en plus fréquentes » (La Pensée religieuse française de Charon à Pascal, Vrin, Paris, 1933, pp. 15-16). Lucien Febvre s'étonnera qu'au temps de Rabelais les polémistes chrétiens se traitent mutuellement d'athéistes (Le Problème de l'incroyance au XVIe siècle, A. Michel, Paris, 1942). Mais, par là, les Modernes ne faisaient que reprendre un usage courant à l'époque hellénistique. Que l'accusation d'athéisme soit relative à celui qui l'énonce tient à deux sortes de raisons : il faut pouvoir identifier le dieu que l'autre nie, or comment identifier un dieu sinon par la relation que nous avons avec lui ? D'autre part, il est difficile de concevoir l'incroyance pure et simple en matière théologique, non pas seulement pour des raisons sentimentales ou sociologiques, mais aussi parce que l'emploi de la négation avec des verbes tels que « croire » ou « vénérer » pose des problèmes logiques d'une traîtreuse difficulté. Tant qu'on en reste au niveau des appellations populaires, il est impossible de contrôler la fonction logique de la négation, de telle sorte que l'athéisme radical ou absolu n'apparaît pas autrement qu'en asymptote d'un athéisme relatif poussé à la limite (ou à l'infini, comme diraient les partisans de saint Anselme). Le psychologisme de la négation est un cercle vicieux. C'est par une pétition de principe qu'une religion tend à concevoir ce qui n'est pas elle comme étant sa propre négation, son image inversée, et donc à faire que cette négation soit encore sienne et lui rende témoignage.

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  • ALBANIE

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    ...des touristes étrangers, possédant des livres ou des œuvres d'art officiellement réprouvés et écoutant des radios ou télévisions étrangères. En Albanie, « premier État athée du monde » depuis 1967, une centaine de religieux et de religieuses seraient morts en prison en 1981 selon une déclaration du Vatican....
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