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IMPRESSIONNISME

La réaction contre l'impressionnisme

Le retour à la forme, si net chez Seurat, on l'a vu aussi s'exprimer dans la vieillesse de Renoir. Il s'est tout naturellement imposé à l'inverse d'un art dont la conséquence extrême devait être l'indéfini déroulement circulaire des Nymphéas, paradoxe et merveille par quoi l'art de peindre a pu paraître frôler de si près l'art musical. Mais toute l'époque est polarisée par la musique ; la poésie, elle aussi, a cherché avec Verlaine « de la musique avant toute chose » et avec Mallarmé à « reprendre à la musique son bien ». Une réaction était fatale. Elle se manifeste par Gauguin et Cézanne, qui ont parfois exposé avec les impressionnistes, mais se sentent des vocations tout opposées.

<it>Le Talisman, ou Paysage du bois d'Amour</it>, P. Sérusier - crédits : Peter Willi/  Bridgeman Images

Le Talisman, ou Paysage du bois d'Amour, P. Sérusier

Ce qu'il y a d'exclusivement sensoriel, matériel chez les impressionnistes, cet art acéphale, choque Gauguin. « La pensée n'y réside pas. » « Ils cherchèrent autour de l'œil, dit-il encore, non au centre mystérieux de la pensée, et de là tombèrent dans des raisons scientifiques. » On ne saurait mieux résumer la singularité de cet itinéraire qui est allé de la plus totale sensualité à une ambition de système et à un excès d'abstraction. Gauguin et ses amis de Pont-Aven récuseront ces deux attitudes et aboutiront à une alliance, non moins paradoxale : celle du primitif avec un intellectualisme réduisant le monde à un plan bidimensionnel et avec une rigoureuse volonté de style. Il est certain que le fameux « Talisman », ce couvercle de boîte de cigares barbouillé sous la direction de Gauguin, au bois d'Amour, par Sérusier et que celui-ci a apporté à ses amis de l'académie Julian comme les tables de la nouvelle loi, marque une orientation de la peinture dans des voies tout à fait opposées à celles de l'impressionnisme. La couleur n'y obéit plus aux lois de l'optique : elle est un phénomène mental, elle est le fruit de la fantaisie intérieure. Aussi est-elle franche et pure, telle que jaillie du tube, sa combinaison avec d'autres couleurs, sur la surface à peindre, se fait selon les volontés de l'artiste et à des fins d'intense expressivité.

Cézanne n'a pas eu, dans ses commencements, des visées aussi lucides et résolues. Aussi bien cet homme de réflexion et qui créera un nouveau classicisme n'a-t-il jamais œuvré que dans le doute, le scrupule, la patience, la recherche passionnée d'une impossible « réalisation ». S'il s'est trouvé dans le groupe des impressionnistes, c'est sur les instances du toujours chaleureux Pissarro. Mais à cette époque, il fait une peinture noire, lourde, étrangement romantique, qui n'a rien à voir avec l'impressionnisme. Et quand il sera engagé dans la voie de sa profonde vérité personnelle, il sera plus éloigné encore de l'impressionnisme : l'esprit de géométrie l'aura emporté chez lui, l'aura rendu maître de la nature. C'est de lui que s'inspirera expressément une révolution nouvelle, celle du cubisme.

Un troisième grand initiateur de l'art moderne est Van Gogh. Celui-ci, venant d'Anvers, arrive à Paris en 1886, l'année où s'achève la fête de l'impressionnisme. Mais les feux en brûlent encore. Van Gogh, après les sombres périodes nordiques de sa jeunesse, commence par l'étape de Paris sa marche vers le soleil, et tout de suite l'impressionnisme l'éblouit. Désormais il peindra clair. Mais ici encore, c'est une réaction contre l'impressionnisme qui se manifeste, une réaction non pas de l'intellect comme chez Gauguin et Cézanne, mais du cœur. Van Gogh est un amoureux éperdu des couleurs, de leurs jeux, de leurs drames, de leur valeur symbolique, de leur puissance émotive. Sa peinture déborde d'humanité, elle en atteint au paroxysme du tragique. Tandis que Cézanne est une des sources du cubisme,[...]

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Pour citer cet article

Jean CASSOU. IMPRESSIONNISME [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

<it>Émile Zola</it>, É. Manet - crédits : Erich Lessing/ AKG-images

Émile Zola, É. Manet

<it>Le Poème de l'oreiller</it>, K. Utamaro - crédits :  Bridgeman Images

Le Poème de l'oreiller, K. Utamaro

<it>La Grande Vague</it>, K. Hokusai - crédits : Christie's Images,  Bridgeman Images

La Grande Vague, K. Hokusai

Autres références

  • ART (Aspects culturels) - L'objet culturel

    • Écrit par Jean-Louis FERRIER
    • 6 295 mots
    • 6 médias
    ...l'antique. La nature, mon ami, c'est très bien comme élément d'étude, mais ça n'offre pas d'intérêt », enseignait encore Gleyre à Claude Monet. L' impressionnisme a été, au contraire, le premier grand mouvement pictural à rompre avec les « sujets nobles » dont on pensait jusqu'alors qu'ils étaient...
  • ATELIER, art

    • Écrit par Marie-José MONDZAIN-BAUDINET
    • 5 946 mots
    • 9 médias
    ...travail est prolétarien. L'artiste trouve une nouvelle matière qui lui est propre au sein du grand atelier naturel où il se réfugie : c'est la lumière. La lumière est « matière première » de l'impressionnisme ; contre l'espace de l'appropriation et de l'accumulation se crée une esthétique du fugitif, dans...
  • BARBIZON ÉCOLE DE

    • Écrit par Jacques de CASO
    • 3 471 mots
    • 7 médias
    ...fait, Corot continuait à travailler d'après nature, peu fidèle aux limites géographiques de Barbizon, au moment (1863) où les jeunes peintres de paysage, Monet, Sisley, Bazille et Renoir – qui allaient créer l'impressionnisme – venaient peindre en forêt de Fontainebleau. Dans la dernière phase de son style,...
  • BAZILLE FRÉDÉRIC (1841-1870)

    • Écrit par Alain MADELEINE-PERDRILLAT
    • 2 465 mots
    • 5 médias

    Un peintre qui eut la chance de rencontrer très tôt Monet et Renoir, et de travailler avec eux, la chance de voir son talent vite reconnu par Émile Zola et par de bons critiques comme Edmond Duranty et Zacharie Astruc, la chance aussi de n'avoir jamais été dans le besoin ; mais qui eut le malheur de...

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Voir aussi