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IMPRESSIONNISME

La révolution apportée dans la peinture par l'impressionnisme est un de ces événements au cours desquels l'homme apparaît comme prenant conscience de son caractère temporel : il se situe dans le temps, se saisit dans le temps. Une telle prise de conscience s'est produite de façon particulièrement aiguë dans le dernier quart du xixe siècle, et l'impressionnisme en est une manifestation. Mais non la seule, car non seulement la peinture mais tous les arts de l'espace ont, dans cette période, tendu à devenir des arts du temps. La sculpture qui est, essentiellement, pétrification du temps, s'efforce, sous la main de Rodin, de contrarier sa nature propre, de rompre son immobilité, sinon d'embrasser en celle-ci différents instants d'un mouvement. Cette volonté paradoxale du sculpteur constitue le principal moteur de son génie, sa détermination majeure, ainsi qu'il ressort de magnifiques propos recueillis par Paul Gsell dans L'Art.

Plus tard, après que cette intention d'exprimer le temps aura bouleversé les arts plastiques, elles apparaîtra dans l'art qui est pourtant l'art temporel par excellence : la musique. Mais les formes par lesquelles celle-ci exerçait sa puissance de développement semblaient souvent courir le risque de se raidir dans du convenu et du mécanique, de se configurer, c'est-à-dire de se fixer dans le milieu qui leur est contraire : l'espace, ou une sorte d'espace. La révolution produite par le génie de Debussy les situe expressément dans la liberté du temps, leur imprimant des modulations excessivement subtiles et comme imprévisibles et surprenantes. Une telle nouveauté devait venir d'un créateur n'écoutant de conseils que « du vent qui passe ». Elle consistait donc en une réaffirmation de la nature spécifique de la musique, en une restitution, par des moyens inédits, de la musique à son élément. Et si l'on veut faire référence à une révolution analogue qui s'effectuait alors dans un autre domaine, celui de la philosophie, on dira que, en s'affranchissant de la temporalité arithmétique, la musique est devenue expression de la durée bergsonienne. Enfin, en poésie, le symbolisme et le vers libre ont, pareillement, tenté de rendre, par de quasi imperceptibles glissements de rythmes, de silences, de séquences verbales, les plus secrets et nuancés déroulements de la rêverie subliminale. Tout cela est du règne du temps, dépendance du temps, exploration du temps.

Une philosophie du changement

Au milieu du siècle, Baudelaire avait découvert l'héroïsme de la vie moderne et introduit dans la méditation du beau l'idée de modernité. L'esprit, en concevant cette idée et en s'y tenant, choisit la position la plus propre à percevoir le temps en son essence, c'està-dire en son écoulement. Position difficile et restreinte, véritablement critique, coincée entre le plaisir de se réfugier dans la nostalgique répétition du passé et celui de se projeter et de se complaire dans les exaltantes perspectives de l'avenir. Le sentiment du présent, au contraire, s'accompagne d'une constatation de précarité. Il n'a pas le loisir de s'épanouir ; il n'est ni attendrissant comme le sentiment du passé, ni réconfortant comme celui du futur. Le regret et l'espérance sont également délectables : l'appartenance à un présent qui, de nature, est menacé, qui incessamment s'arrache à un passé périmé et s'altère en un avenir incertain suscite, au contraire, des réflexions pénibles et douloureuses, crée un état de profonde mélancolie. Il y a une profonde mélancolie à se connaître transitoire. La seule consolation, c'est qu'une telle connaissance mérite, elle aussi, le qualificatif d'héroïque, celui-là même qu'elle attribue aux scènes, aux personnes, aux mœurs, aux costumes de l'actualité, à ses modes, ce dernier terme devant être doublement entendu, en son sens[...]

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Pour citer cet article

Jean CASSOU. IMPRESSIONNISME [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

<it>Émile Zola</it>, É. Manet - crédits : Erich Lessing/ AKG-images

Émile Zola, É. Manet

<it>Le Poème de l'oreiller</it>, K. Utamaro - crédits :  Bridgeman Images

Le Poème de l'oreiller, K. Utamaro

<it>La Grande Vague</it>, K. Hokusai - crédits : Christie's Images,  Bridgeman Images

La Grande Vague, K. Hokusai

Autres références

  • ART (Aspects culturels) - L'objet culturel

    • Écrit par Jean-Louis FERRIER
    • 6 295 mots
    • 6 médias
    ...l'antique. La nature, mon ami, c'est très bien comme élément d'étude, mais ça n'offre pas d'intérêt », enseignait encore Gleyre à Claude Monet. L' impressionnisme a été, au contraire, le premier grand mouvement pictural à rompre avec les « sujets nobles » dont on pensait jusqu'alors qu'ils étaient...
  • ATELIER, art

    • Écrit par Marie-José MONDZAIN-BAUDINET
    • 5 946 mots
    • 9 médias
    ...travail est prolétarien. L'artiste trouve une nouvelle matière qui lui est propre au sein du grand atelier naturel où il se réfugie : c'est la lumière. La lumière est « matière première » de l'impressionnisme ; contre l'espace de l'appropriation et de l'accumulation se crée une esthétique du fugitif, dans...
  • BARBIZON ÉCOLE DE

    • Écrit par Jacques de CASO
    • 3 471 mots
    • 7 médias
    ...fait, Corot continuait à travailler d'après nature, peu fidèle aux limites géographiques de Barbizon, au moment (1863) où les jeunes peintres de paysage, Monet, Sisley, Bazille et Renoir – qui allaient créer l'impressionnisme – venaient peindre en forêt de Fontainebleau. Dans la dernière phase de son style,...
  • BAZILLE FRÉDÉRIC (1841-1870)

    • Écrit par Alain MADELEINE-PERDRILLAT
    • 2 465 mots
    • 5 médias

    Un peintre qui eut la chance de rencontrer très tôt Monet et Renoir, et de travailler avec eux, la chance de voir son talent vite reconnu par Émile Zola et par de bons critiques comme Edmond Duranty et Zacharie Astruc, la chance aussi de n'avoir jamais été dans le besoin ; mais qui eut le malheur de...

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