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IMAGINAIRE ET IMAGINATION

Sédimentation sociale de l'imaginaire

La tâche est relativement aisée, puisqu'on dispose désormais dans cette vue d'un fil directeur. Partons en effet du rêve. Il se caractérise par la suspension de la position de l'ego, sujet de l'énonciation, et par son éclatement en une multiplicité d'acteurs imaginaires qui sont les protagonistes du rêve. La même raison qui fait que sont convertis en inscriptions plastiques les signifiants dont est tissée la parole vigile préside donc à l'aliénation du locuteur, précipité en une position narcissique. Oubliera-t-on que Narcisse n'est voué à s'abîmer dans l'image où il brûle de se rejoindre, que pour avoir ignoré les appels lointains d'Echo ? Mais s'anéantir en son image, le rêveur ne le peut, qu'il ne s'éveille : le désir de dormir l'en détourne, et le rêve ainsi le soutient, faut-il dire sur une autre scène, ou mieux dans les coulisses de son désir, parmi les panoplies qui sont les défroques de sa vie ? Jamais le pessimisme de Freud ne s'est plus profondément exprimé qu'en cette épigraphe où il a placé sous le signe de l'Achéron son interprétation des rêves.

Mais si la vie éveillée est le songe d'un songe, c'est un songe où l'ego tente d'abord d'assumer ses rôles, et les différents types de fantaisie peuvent être alors distribués en série, selon les divers modes de son implication ; et d'abord le fantasme déjà évoqué en sa spécificité dans l'expérience même de la cure, et dont les caractères les plus généraux nous deviendront clairs si nous y reconnaissons la marque, encore voilée, de la renaissance de l'ego.

Essayons, en effet, de le rendre à son contexte. L'ego est sorti de son silence, mais il est confronté au silence d'autrui, en l'occurrence de l'analyste. Nous comprenons donc que l'initiative que prend le sujet de se dire, et qui est l'apanage de la veille, s'écrase en une production imaginaire où se perpétue la fonction du rêve. L'image s'énonce elle-même, l'énonciation s'actualise en image : compromis désigné par Freud comme relevant du registre du jeu. Mais, avec l'éveil de l'ego, le temps, ignoré de l'inconscient, a repris son cours. Déjà, s'y est inséré, dans l'amorce d'une dramatisation, le fantasme où l'ego s'énonce ou plutôt s'annonce. À mesure cependant que se déploie le sujet, à mesure aussi le temps s'ouvre, jusqu'au point où l'intentionnalité de la fantaisie représentera, comme par réfraction, les premiers moments de sa genèse. « Ne nous figurons pas, écrit Freud dans un article de 1908 sur la création littéraire, que les créations de cette activité de l'imagination, les divers fantasmes, châteaux en Espagne ou rêves éveillés, soient fixes et immuables. » En effet, « ils se modèlent bien plutôt sur les impressions successives qu'apporte la vie, ils se modifient avec chaque oscillation dans la situation de vie ». En dépit des difficultés de traduction, le sens paraît clair : le fantasme trahit la recollection par le sujet de son propre devenir.

Recueillir sur l'écran d'une vision spéculaire le reflet mobile d'une identité personnelle dont il échoue à se donner en autrui le soutien, telle est donc la fonction qu'assume le fantasme dans l'économie d'un sujet voué à l'expression. Aux différents niveaux où le situera l'extension généralisée de la notion, du rôle inscrit au théâtre du rêve jusqu'à ces formations fuligineuses qui traversent à la façon de météorites le champ de l'analyse, elle nous atteste cette position paradoxale et toujours précaire de l'ego : je ne parle en mon nom propre qu'à la condition de me désigner en tant que « je » parle comme inscriptible dans le champ d'expression d'un[...]

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Écrit par

  • : professeur honoraire de philosophie à l'université de Paris-X-Nanterre

Classification

Média

Gaston Bachelard - crédits : Éditions Corti, 1984

Gaston Bachelard

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