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IMAGINAIRE ET IMAGINATION

Fantasme et communication

De tous les phénomènes sur lesquels porte l'investigation psychanalytique, le fantasme est en effet celui dont il est le plus difficile de procurer la notion, en l'absence d'une expérience directe de la cure dont il est une production spécifique ; représentation intermédiaire entre l'image et l'événement, représentation de chose qui serait en même temps sillage d'un processus, traversant inopinément le champ perceptif du patient à l'approche, par exemple, d'une séance d'analyse, différant aussi bien d'une échappée de rêverie par la vivacité avec laquelle elle se noue et s'impose, d'une quasi-hallucination par le sentiment qu'a le sujet d'y être impliqué, d'une hallucination vraie par le fait qu'aucune créance ne s'y attache en ce qui touche son appartenance à l'ordre des choses, en bref, le phénomène le plus propre à illustrer par sa densité cette notion de « réalité psychique », qui, en opposition à la réalité extérieure, en soutient l'élaboration théorique. De fait, c'est par l'analyse critique du statut de réalité des prétendus « souvenirs » hystériques que Freud en a progressivement dégagé les traits spécifiques.

La question primitive est d'ordre psycho-pathologique : quel crédit faire à l'hystérique, lorsqu'elle produit le récit des entreprises de séduction dont elle aurait été l'objet, enfant, de la part de personnes de son entourage ? Freud s'y est d'abord trompé, acceptant, ainsi qu'il en était sollicité, de reconnaître aux scènes évoquées par ses patients le statut psychologique de souvenir, et à leur contenu, celui d'événements effectifs. Ainsi s'est constituée sa première théorie de l' hystérie, théorie traumatique, héritière à certains égards de l'ancienne théorie du choc, et selon laquelle l'événement infantile, censé réel, de la séduction, aurait eu par lui-même portée étiologique.

L'évidence psychologique du témoignage a dû cependant céder à l'analyse : le noyau du récit hystérique n'est pas nécessairement, il n'est pas généralement un souvenir. Sa modalité n'est pas celle de la réalité, au sens de la réalité effective d'un événement passé. Qu'est-ce à dire, et comment en comprendre le surgissement ? C'est en réponse à cette question critique que s'est constituée la notion du fantasme – dont la terminologie précisera immédiatement la fonction, en tant qu'il est fantasme de désir : le sujet hystérique n'a pas été l'objet d'une agression, il traduit dans son imagerie fantasmatique le désir qu'il a eu, et dont il repousse l'aveu, d'être l'objet de cette agression.

Soulignons donc ce fait essentiel : ce que le désir vise à travers le fantasme, c'est une initiative d'autrui. Autrement dit, le sujet du fantasme, en l'occurrence, actualise sous les espèces d'une agression étrangère le désir qui est le sien. Et nous ne pouvons dès lors nous défendre de ce principe qu'il se donne pour objet de désir l'actualisation du fantasme de désir de l'autre, formulation dont la première suggestion dans la Phénoménologie de Hegel n'infirme en rien l'originalité, lorsqu'elle est avec Lacan transposée dans le registre de la psychanalyse. Aussi bien Freud en donne-t-il lui-même l'indication précise, lorsqu'il interprète le fantasme du Vautour de Léonard. « La violence des carences qu'il révèle, écrit-il, n'était que trop naturelle ; la pauvre mère abandonnée devait épancher dans l'amour maternel et tout son souvenir des tendresses perdues et sa nostalgie de tendresses nouvelles ; elle se sentait poussée, non seulement à se dédommager elle-même de[...]

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Écrit par

  • : professeur honoraire de philosophie à l'université de Paris-X-Nanterre

Classification

Média

Gaston Bachelard - crédits : Éditions Corti, 1984

Gaston Bachelard

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