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IMAGINAIRE ET IMAGINATION

L'imagination matérielle

Gaston Bachelard - crédits : Éditions Corti, 1984

Gaston Bachelard

Sommes-nous cependant en droit de prendre pour index d'une déduction de l'imaginaire un dynamisme dont c'est l'essence d'être une construction de l'analyse ? La question est d'autant plus pressante que nous cherchons à restituer la fonction du fantasme dans l'élaboration de l'imaginaire : nous ne saurions donc préjuger de l'origine du dynamisme qui y préside. Les analyses qui précèdent tendaient à contester à l'imagination toute autonomie. Mais nous avons de son travail une expérience intime, et celle-ci semble témoigner en sens opposé : non seulement, en effet, l'imagination ne prend conseil que d'elle-même dans son déploiement, mais ce déploiement est actualisation. Nous n'assistons pas à l'investissement d'objets ni même de représentations internes, par une puissance avide de s'y matérialiser. Cette matérialisation s'opère du dedans même de l'intention imageante ; bien plus, elle s'effectue selon des lignes de force qui en autorisent un classement systématique selon les grandes catégories entre lesquelles se distribuent les substances. En bref il existe une « imagination matérielle » distincte de l'imagination formelle, et dont Bachelard, en des travaux célèbres, s'est employé à illustrer la notion, imagination du feu, de l'air, de la terre et de l'eau avec laquelle nous familiarisera la pratique des poètes et que nous pourrons cultiver dans le secret de nos prédilections méditatives, qui n'intéresse pas moins l'épistémologue que le rêveur, ou plutôt qui fait sa part au rêveur dans le travail de l'épistémologue, dans la mesure où cette imagination de la matière sous-jacente à la science appellera cependant de sa part les rectifications d'une rationalité en devenir.

La question, néanmoins, ne peut être éludée du rapport de cette analyse, ou même, selon le témoignage initial et jamais entièrement répudié de Bachelard dans son premier essai sur le feu, du rapport de cette « psychanalyse » à une psychanalyse entendue de façon quelque peu rigoureuse, c'est-à-dire dans l'acception précise où son inventeur l'a prise. Or, Bachelard ne s'est jamais prononcé clairement sur ce point, et si l'on doit même reconnaître en ses références quelque laxisme à cet égard, l'explication peut en être simplement cherchée dans la décadence des études freudiennes à l'époque où il développait ses premières recherches. Par un incroyable renversement, le Freud auquel il nous renvoie parfois fait en effet figure d'organiciste. Nous ne pouvons cependant, du seul point de vue méthodologique, ignorer aujourd'hui tout le parti qu'un liseur de poèmes aurait pu tirer, entre bien d'autres, des pages du commentaire de la Gradiva de Jensen, dans lesquelles Freud a si fortement marqué l'analogie de la démarche poétique avec l'intervention psychanalytique. Et cette sensibilisation, dont le mérite initial revient à Lacan, nous engage tout naturellement, sur le fondement même de la documentation réunie par Bachelard, en une élaboration nouvelle de la notion d'imagination matérielle.

Il est clair tout d'abord que l'image matérielle de Bachelard est de part en part traversée par une intention de communication affective, dont les nuances concernent seulement le degré d'anthropomorphisme de l'image explicite. Mais toute la question est de comprendre comment cette évocation ou cette invocation s'accommode de la théorie de l'imagination matérielle professée par Bachelard. Celle-ci se donne prise sur l'étoffe des choses par elle-même et par ses pouvoirs propres. Comment ce mouvement d'actualisation intérieure, où rien ne se produit que le style de surgissement de l'image, se trouve-t-il donc porter la marque d'une certaine qualité[...]

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Écrit par

  • : professeur honoraire de philosophie à l'université de Paris-X-Nanterre

Classification

Média

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