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IMAGINAIRE ET IMAGINATION

L'expression onirique : psychanalyse et phénoménologie

Que l'apport de la psychanalyse freudienne ait été décisif à cet égard, on s'en convaincra d'autant mieux qu'on l'aura plus précisément déterminé sur le terrain qui lui est propre.

De toute évidence en effet, Freud n'aurait en rien innové, s'il s'était borné à assigner pour ressort aux processus d'imagination une force pulsionnelle. Une telle conception « dynamique » de l'imaginaire est déjà présente dans l'œuvre d'Aristote. Elle ne fait que prolonger, sous forme systématique, la tradition ancestrale des poètes et des moralistes, et depuis Aristote, à travers les stoïciens, elle se perpétuera jusqu'aux prédécesseurs immédiats de Freud.

Mais l'originalité de la psychanalyse freudienne n'a pas été d'enrichir une tradition spéculative. Elle a été de fonder cette tradition, plus précisément de lui prêter forme théorique sur le double fondement empirique de l'analyse du rêve et de l'analyse des névroses. Sur ce terrain, la solidarité du désir et de l'image s'est révélée bien autrement profonde qu'une représentation purement spéculative ne l'aurait laissé soupçonner.

Qu'est-ce en effet que le désir ? La réponse apportée par Freud en un passage fameux du viie chapitre de L'Interprétation des rêves repose sur la distinction, et en même temps sur la liaison de fait, entre le besoin et le désir. Le nourrisson, en situation d'impuissance, fait appel à l'adulte tutélaire pour la satisfaction de son besoin. Désormais, il gardera la hantise du retour de cette présence bénéfique, et par là se trouve défini le désir. Cette première conception, il est vrai, s'est trouvée, vingt ans plus tard, profondément remaniée, avec la conception des pulsions de mort. La satisfaction du désir, tel qu'on vient de le situer, étant laissée à l'arbitraire d'autrui, on pourra dire en effet que le désir qu'on vient d'évoquer n'a d'autre objet, en son fond, qu'un désir étranger. Quant au désir propre, il se déterminerait en tout premier lieu comme agressivité.

Encore reste-t-il qu'il ne s'actualisera que par le détour d'un investissement d'objet, en sorte que demeure entièrement légitime la conception du désir comme renvoyant de cet investissement à la perception effective de la première présence secourable.

Or une telle notion du désir n'assigne pas seulement en cet objet primordial le pôle ultime de sa visée. Elle fournit en même temps l'explication du mode sous lequel le rêve satisfait à la fonction qui est la sienne. L'Interprétation des rêves apporte en effet la preuve que le rêve est la « réalisation » d'un désir. Mais le désir tend à la réactualisation, à la reviviscence d'une présence. Sa « réalisation » doit donc se produire sous les espèces d'un sentiment de présence effective, et il revient précisément à l'image de rêve de satisfaire à cette exigence. En bref, le « phénomène » du rêve, ou la manière dont il se donne à l'imagination du rêveur, ne sont pas extérieurs à la fonction du rêve, ils traduisent l'essence même du désir que le rêve a pour fonction de réaliser.

La théorie freudienne du rêve ne se cantonne donc pas dans une « interprétation » du vécu. Elle en fonde la reconstruction ; et l'intérêt spécifique d'une telle démarche se dégagera mieux encore de sa confrontation avec le plus attachant des commentaires philosophiques auxquels le rêve ait donné matière, celui de Sartre dans L'Imaginaire. « Psychologie phénoménologique de l'imagination », le sous-titre de l'essai fixe en effet les limites de l'entreprise : elle vise essentiellement à « décrire » la grande fonction « irréalisante »[...]

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Écrit par

  • : professeur honoraire de philosophie à l'université de Paris-X-Nanterre

Classification

Média

Gaston Bachelard - crédits : Éditions Corti, 1984

Gaston Bachelard

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