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HOMOSEXUALITÉ

Le XIXe siècle aliéniste

L'apport des auteurs qui se sont penchés sur le xixe siècle est essentiel, et parmi eux bien sûr celui de Michel Foucault dans La Volonté de savoir. Le philosophe a tenté de comprendre comment les comportements homosexuels restent des « problèmes » au xixe siècle et donnent même lieu à des multitudes d'analyses qui constituent autant d'objets de savoir. Foucault parle de « l'entrée bruyante » au milieu du xixe siècle de l'homosexualité dans la réflexion médicale. Ce tournant permet de faire des relations homosexuelles une pathologie et aux psychiatres de prendre le relais des prêtres et des policiers. Ils ont alors à leur disposition un mot nouveau, « homosexuel », inventé on l'a dit en 1869 par le médecin autrichien Benkert et très vite diffusé, justement, par l'intermédiaire des études médicales, même s'il reste concurrencé par les termes d'inverti, d'uranien ou uraniste.

Il serait vain de revenir longuement sur les discours médicaux du xixe siècle qui traitent de l'homosexualité avec une insistance tournant à l'obsession et sur la multiplication des études psychiatriques qui « analysent » l'homosexualité en termes de « dégénérescence » physique et morale, héréditaire ou acquise. Dans des recensions ironiques, les écrivains Dominique Fernandez et surtout Jean-Paul Aron ont donné la parole à ces étonnants médecins et ont sorti de l'oubli cette littérature sinistre.

Magnus Hirschfeld - crédits : Keystone-France/ Gamma-Keystone/ Getty Images

Magnus Hirschfeld

De ce point de vue, le médecin allemand Magnus Hirschfeld (1868-1935) apparaît comme une exception : définissant un « troisième sexe » composé d'hommes de dispositions sexuelles féminines, ses études veulent montrer que l'homosexualité est constitutionnellement déterminée, donc innée, non modifiable et par conséquent non répréhensible. Hirschfeld sera l'un des plus actifs militants en faveur de la dépénalisation de l'homosexualité, au nom de la science, non du principe juridique de non-discrimination. De son côté, Sigmund Freud, dans ses Trois Essais sur la théorie sexuelle parus en 1905, s'oppose à ce déterminisme biologique et soutient un schéma d'explication où l'homosexualité est acquise dans le développement personnel, du fait de la constitution fondamentalement ambivalente du sujet, de la bisexualité originelle de l'être humain. Pour la plupart des psychiatres, si l'homosexualité n'est plus un crime, elle devient une maladie ou au mieux une anomalie – ce qui n'est qu'un progrès très relatif. L'homosexuel est rangé parmi les victimes de pathologies perverses. Considéré comme un malade ou un inadapté, l'examen et le traitement de son cas relèvent de la clinique.

Pourtant, à travers ces études et cette définition de l'homosexualité (non plus en termes de « pratiques » ou d'« actes » comme c'était le cas auparavant, mais en termes de constitution psychique maladive), se constitue l'idée de l'homosexuel comme individu singulier, et de l'homosexualité comme trait distinctif d'un groupe. Face aux discours psychiatriques qui les constituaient en « espèce », les homosexuels ont d'abord choisi de se cacher ou de se confesser (aveux poignants et déchirants qui vont constituer le cœur de la réflexion de Michel Foucault). Bientôt pourtant, ils vont se réunir collectivement sous des formes variées. Voilà comment, et aussi paradoxal que cela paraisse, le langage psychiatrique donne corps à l'idée des homosexuels comme groupe.

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Frédéric MARTEL. HOMOSEXUALITÉ [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Magnus Hirschfeld - crédits : Keystone-France/ Gamma-Keystone/ Getty Images

Magnus Hirschfeld

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