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HOMOSEXUALITÉ

L'Antiquité grecque et romaine

Pour comprendre les pratiques homosexuelles dans l'Antiquité, l'une des portes d'entrée les plus passionnantes reste l'ouvrage classique de l'historien Kenneth J. Dover, Homosexualité grecque. Au-delà de ses mérites et de l'érudition de son auteur, ce livre a la particularité d'être un exercice utile de démystification d'une période longtemps considérée comme un « âge d'or » de l'homosexualité. Certes, Dover et de nombreux autres auteurs après lui, notamment Claude Mossé et Paul Veyne, mettent bien en lumière l'existence de rapports sexuels fréquents entre individus de sexe masculin dans l'Antiquité. Et lorsqu'on voit sur un vase un jeune homme donner un lièvre à un garçon, c'est bien d'un cadeau d'amour qu'il s'agit ; ou quand un garçon caresse le menton d'un autre, c'est bien d'une proposition dont il est question. Toute une littérature évoque d'ailleurs l'amour des garçons, depuis Platon (Le Banquet, Phèdre), jusqu'à Plutarque (Dialogue de l'amour). Mais Dover montre très bien qu'il y a une grande différence entre le rapport sexuel avec une personne de son sexe et la situation qui consiste à « aimer » le même sexe. Dans la société grecque classique, les rapports charnels entre individus de sexe masculin étaient très codifiés et très hiérarchisés. Il y avait surtout la distinction, dans l'éthique grecque, entre le rôle actif et valorisé de l'éraste, qui prenait l'initiative de la conquête amoureuse, et le rôle passif de l'éromène, le partenaire le plus jeune, objet du désir. Pour les adolescents, la passivité était tout simplement une étape normale de leur préparation à la vie d'homme. Pour autant, il serait réducteur de soutenir que ces pratiques se justifiaient uniquement par leur usage initiatique, en tant que rites de passage dans la société des adultes. Une multitude de textes et de représentations iconographiques indiquent que dans la Grèce classique et, plus tard, dans le monde hellénisé, ces pratiques sont d'une fréquence, d'une banalité et d'une visibilité telles qu'elles ne cadrent absolument plus avec une explication rituelle. Elles disent plus simplement le statut socialement privilégié des rapports sexuels masculins dans cette civilisation d'avant le péché.

Ces relations prendront une forme encore différente dans le monde romain : des garçons libres de Grèce initiés par leurs aînés, compagnons de jeunesse ou d'armes célébrés et recherchés pour leur beauté parce qu'ils offrent un idéal de perfection au monde masculin de la cité, on passe au modèle de la puissance absolue du maître romain sur sa maison : femmes, enfants et esclaves. Toutefois, l'hellénisation de la société romaine transparaît clairement dans l'exemple célèbre de la relation d'amour entre l'empereur Hadrien et Antinoüs, l'éphèbe grec (relation magnifiée dans l'Histoire augusteau IVe siècle, dont Marguerite Yourcenar s'inspirera pour Les Mémoires d'Hadrien)

Dans tous les cas, en Grèce comme à Rome, l'homme qui désire un autre homme ne fait pas, selon Dover, une expérience assimilable à ce que nous appelons aujourd'hui « homosexualité ». L'alternative qui voudrait qu'une personne soit hétérosexuelle ou homosexuelle n'est pas alors concevable. S'il y eut probablement, comme partout ailleurs, des cas d'attachement sexuel plus intense entre certains « porteurs de barbes », ceux-ci restèrent secrets car ils n'étaient nullement encouragés par la société. Dans la vie publique, les hommes libres, qui constituaient le petit nombre des citoyens de plein droit, se devaient de rester virils et « actifs », qu'ils fussent en relation avec des esclaves, de jeunes adolescents ou des femmes. Jamais,[...]

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Frédéric MARTEL. HOMOSEXUALITÉ [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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